Le PDG de Jouve, spécialiste de la transformation digitale et du traitement de données, qui a conclu récemment un contrat d’1,4 milliard de dollars avec le gouvernement américain, estime que l’innovation « réelle » de son entreprise, au-delà de ses technologies, repose sur son expertise métier qui lui permet d’accompagner les clients de façon plus pointue. Selon Thibault Lanxade, le crédit d’impôt recherche (CIR) reste insuffisant, en montant et en domaines d’intervention. Il plaide également pour une meilleure articulation de la recherche publique et privée.
SOCIÉTAL.- Vous avez annoncé la transformation de Jouve en groupe 100% tourné vers le digital juste avant le début de la crise sanitaire. Quel impact a eu la crise sanitaire sur ce nouveau chapitre pour l’entreprise ?
Thibault Lanxade.- J’avais décidé de vendre nos activités d’impression le 1er février 2020, date à partir de laquelle nous sommes devenus un groupe 100% digital. Nous étions alors loin d’imaginer que quelques mois plus tard nous nous retrouverions totalement en télétravail.
Près de 1 500 collaborateurs ont été mis en télétravail du jour au lendemain en France, aux États-Unis, dans les sept pays où nous sommes implantés. À l’exception de quelques collaborateurs qui sont restés sur site et ce, lié à des données très sensibles à traiter. Cela s’est mis en place de façon très rapide mais nous étions dans l’inconnu pour la suite. Pendant cette période, nous n’avons mis personne en chômage partiel à l’exception de douze collaborateurs et nous n’avons pas eu recours à un prêt garanti par l’État (PGE).
Pendant la crise, il a fallu à la fois continuer à travailler normalement et tenter de donner davantage de sens à notre travail. D’abord on a décidé de payer l’ensemble des très petites entreprises et petites et moyennes entreprises (TPE-PME) au « cul du camion », on a voulu être ainsi exemplaires vis-à-vis de notre écosystème (sites de Laval, Mayenne, Rennes, Lens). Ensuite, notre département santé a cherché à innover pour aider à lutter contre la pandémie en mettant en place un processus d’admission à distance du patient dans les structures hospitalières autour de l’offre « Know Your Patient ». Et avec nos équipes en Inde et à Madagascar nous avons également aidé les populations locales qui ont souffert différemment de la crise.
Mais dès juin 2020, nous avons récupéré l’intégralité de nos flux antérieurs.
Avez-vous accéléré sur l’élargissement de l’offre de Jouve ?
Fortes de ces nouvelles offres pour les structures hospitalières, nos équipes ont travaillé sur la donnée de la santé, la façon de mieux la travailler, pour mieux élargir notre offre santé. Cette année nous avons lancé une offre qui permet de digitaliser toutes les données des dossiers patients qui sont conservés dans les hôpitaux. Avec un double objectif : limiter les contraintes administratives liées au stockage d’archive (place, classement…) et exploiter les données pour améliorer la prise en charge des patients. Nous proposons d’extraire toute la donnée, puis grâce à nos algorithmes nous pouvons faire du pilotage par les données de santé : aide au diagnostic, meilleure prise en charge de certaines pathologies dans certains bassins de vie…
Que représente chez Jouve l’activité santé ? Quelle nouvelle étape préparez-vous dans ce secteur ?
Deux ans après son lancement, cette activité s’élève à plusieurs millions d’euros. On a adapté nos outils d’extraction, de reconnaissance automatique, d’océrisation, et au regard de nos compétences métiers dans le domaine médical. Ce mouvement a été accéléré par la crise où nous avons déployé très rapidement notre offre d’eadmission.
Nous avons commencé avec une bonne dynamique. Notre modèle était prêt à assumer cette évolution, nous avons su embarquer à la fois nos équipes et nos clients, ce qui nous permet aujourd’hui d’être dans une logique d’accélération. En France, une équipe d’une quinzaine de personnes – sur un total de 700 collaborateurs en France – travaille sur ces questions. C’est une task force, agissant en mode start-up et organisée en matriciel, qui va puiser parmi les meilleurs profils pour développer les solutions.
Nous souhaitons renforcer notre pôle santé. Sur la partie e-admission à distance du patient à l’hôpital, nous venons de signer un partenariat avec Mancaire, un acteur important, afin d’encapsuler notre solution à la leur pour la diffuser massivement sur les structures hospitalières et fluidifier les parcours des patients. Nous souhaitons aussi amplifier notre présence sur le pilotage par les données et devenir un acteur leader sur la donnée de santé et le dossier patient.
Et par le gain en 2019 d’un marché auprès de l’Union européenne (UE) pour l’e-carnet de vaccination européen...
Nous sommes très mobilisés sur le carnet de santé européen depuis 2019, dans le cadre d’un consortium que nous pilotons. La crise sanitaire a boosté nos réflexions et les travaux que nous avions menés sur ce e-carnet de vaccination ont pu enrichir la réflexion sur le pass sanitaire européen. L’enjeu aujourd’hui n’est pas l’aspect technique du carnet de santé mais plutôt l’harmonisation politique entre États-membres de l’UE sur le sujet.
Jouve a-t-il poussé d’autres offres en dehors du secteur de la santé à la faveur de la crise ?
Nous avons renforcé notre offre brevet depuis un an et demi en espérons devenir un acteur leader mondial du secteur. Nous avons aussi accéléré dans l’univers de la protection sociale (automatisation process, traitement des flux de santé, externalisation des processus de bout en bout). Ce secteur a un peu souffert pendant la crise, nous recevions beaucoup moins de flux, les gens se soignant moins pendant cette période. Nous avons dû réimaginer les schémas documentaires pour les années à venir, remonter dans la chaîne de valeur métier et cela a été possible grâce à nos expertises métiers fortes.
Avez-vous vous dû différer certains investissements avec la crise ?
Nous avons juste un peu décalé certains recrutements, ce qui va nous amener à accélérer. J’ai aujourd’hui 100 postes à pourvoir dans les prochaines semaines. Ces niveaux de recrutement sont plus importants que ceux des autres années à cause des perspectives de croissance, de certains besoins spécifiques et des tensions du marché.
La crise a-t-elle modifié l’échiquier de vos activités à l’international ?
La crise a accéléré un phénomène de réindustrialisation européenne, à la fois dû au Règlement général sur la protection des données (RGPD) et à une logique assumée de souveraineté. De plus en plus d’acteurs souhaitent relocaliser des activités sur le territoire européen.
Nous-mêmes sommes contraints à relocaliser partiellement en Europe certaines activités offshore que nous avions en propre notamment à Madagascar et en Inde, sous la pression de nos clients. Nous avons d’ores et déjà ouvert et renforcé deux sites en Roumanie, en passant de 20 à 200 personnes sur place. En choisissant la Roumanie, j’essaie d’optimiser ma ressource pour pouvoir rester compétitif et y trouver des collaborateurs de qualité. Nous avons des profils types op.rateurs et des Information Technology (IT).
Présent dans huit pays (États-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Inde, Madagascar et Roumanie), Jouve réalise la moitié de son chiffre d’affaires en Europe sur un total composé d’un tiers en Europe, d’un tiers aux États-Unis et d’un tiers en France.
Nous comptons augmenter significativement nos activités aux États-Unis dans les prochains mois, prochaines années.
La crise a-t-elle inspiré de nouvelles méthodes managériales en interne et une réorganisation du travail ?
Concernant le télétravail, avant la crise, nous avions environ 80 personnes, essentiellement des cadres, qui avaient une journée de télétravail. Nous allons passer à environ 600 personnes en télétravail, suivant un système de 2 jours en télétravail pour 3 jours de présence. L’accord que nous sommes en train de signer sera effectif au 1er octobre après un mois de présentiel pour tout le monde en septembre. Ce sas d’un mois où nous disons à nos équipes : « Revenez tous avant de partir en télétravail ! » nous a paru indispensable. Certaines personnes ne se sont pas revues depuis un an et demi et certains collaborateurs ont pu se sentir un peu isolés, seuls dans leurs projets professionnels ou même personnels. L’idée est de remettre un peu d’ambiance à la machine à café, de recréer de l’esprit de corps au travers nos projets importants, de redonner un sens du travail collectif au gens. La vie en entreprise c’est avant tout un collectif. La conséquence en sera une réallocation de certains de nos actifs de bureaux : réduction d’un tiers de notre surface parisienne, vente d’un bâtiment et réhabilitation d’un autre site à Mayenne et rénovation du site de Rennes. Nous nous renforcerons sur les licences Teams, la sécurisation des réseaux hard et soft…
Par ailleurs, on lance un nouveau programme de formation de nos managers.
Enfin, notre politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) qui était totalement port.e par notre ex-filiale imprimerie a dû être refondée après la vente de celle-ci. On a reconstruit très vite une politique RSE autour de l’excellence opérationnelle, d’indicateurs-clés notamment sur la parité (réajustement des salaires, red.finition des postes de responsabilités). En ligne avec notre positionnement tout digital, on a engagé toute une politique de réduction d’envois de courriels. On a aussi beaucoup travaillé sur nos data centers sur basse consommation, on a équipé tous nos ordinateurs d’écrans qui permettent de s’éteindre rapidement.
Au-delà de la RSE, le groupe Jouve a-t-il engagé une réflexion sur l’adoption d’une raison d’être et le statut d’entreprise en mission ?
Non. En revanche nous avons modifi. l’accord d’intéressement pour avoir un meilleur partage de la valeur, à la fois sur des critères financiers classiques, mais également sur la politique accidents de l’entreprise et l’émission des effets de serre.
Le Groupe est encore en transformation et je ne crois pas que la raison d’être soit adaptée à notre structure, à notre typologie actionnariale et à la dynamique entrepreneuriale que je souhaite mener. En revanche, je vais coller le plus possible à une promesse qui tendrait à être une raison d’être mais ne suis pas prêt à modifier l’objet social de l’entreprise. Dans cette phase d’accélération, c’est encore un peu tôt.
Jouve a dû s’adapter à cette période de pandémie mondiale sur tous les fronts. Avez-vous observé des évolutions dans les relations avec vos clients ?
Dans notre secteur historique banques-assurances-protection sociale, nous avons énormément avancé dans l’expertise métier de nos clients. Ils nous demandent de plus en plus de leur apporter une garantie sur le traitement, une garantie finalement plus humaine que strictement opérationnelle. Cette dimension humaine devient très importante au fur et à mesure que nos algorithmes deviennent de plus en plus puissants. Nos clients recherchent davantage d’automatisation de processus blockchain très fiables mais en parallèle ils mettent en avant une exigence humaine sur la gestion et la sécurisation de la data. Notre force est d’allier cette automatisation des processus et une garantie humaine.
Quels sont les secteurs qui se sont particulièrement développés pendant la période pandémie ?
Outre la santé, le secteur banques-protection sociale a progressé. La crise au fond a été le révélateur d’une prise de conscience d’un certain nombre de retards, générant ensuite une nécessité d’accélérer sur des pans où l’expertise n’existe pas ou se trouve ailleurs. Nous sommes très serviciels avec aussi une position grandissante dans les administrations qui accélèrent leur digitalisation et dans les entreprises de services à parcours clients. L’utilisation de la donnée était une tendance lourde préexistante à la crise mais beaucoup d’acteurs ne savaient pas qu’elle existait, qu’elle n’était pas encore digitalisée et qu’ils pouvaient l’exploiter de façon aussi fine. Nous sommes vraiment dans une phase d’accélération.
Comment définissez-vous l’innovation chez Jouve dans le domaine du digital ?
C’est d’abord posséder une plateforme robuste IT qui assure la réplicabilité de tous nos business. Business Process Outsourcing (BPO), Intelligence artificielle (IA), Robotic Process Automation (RPA), automatisation des processus : grâce à ces technologies innovantes associées à une supervision humaine, nous pouvons traiter tous les workflows des plus simples aux plus complexes.
Notre innovation réelle, au-delà de nos technologies, est notre expertise métier qui permet d’accompagner les clients de façon plus pointue.
La question n’est pas uniquement la data mais comment on peut l’exploiter, par exemple, si je veux lire des documents santé, comment utiliser cette information pour savoir quelle action elle doit entrainer. Idem pour les banques, notre plateforme crédit qui traite des crédits de bout en bout permet aux banquiers d’avoir accès à un portail de scoring pour évaluer le risque de leur client, pour l’entrée en relation c’est notre capacité à aller chercher en blockchain de l’information qui nous permet d’avoir un processus de lutte contre la fraude renforcé. Cela nécessite de disposer d’outils de calcul de plus en plus puissants et de remonter la chaîne de valeur sur l’expertise métier.
La France reste dans la moyenne des pays industrialisés en matière d’innovation même si elle a amélioré sa position récemment. Mais elle reste derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Comment améliorer son rang ?
On a potentiellement récupéré une capacité d’industrialisation, de dynamique de croissance et d’attractivité d’avant la crise Covid-19. Mais il faudra vérifier si dans les 18 prochains mois on se sera vraiment renforcé par rapport à nos voisins.
En termes d’investissement, on est boosté par le crédit d’impôt recherche (CIR), qui reste toutefois insuffisant par rapport . nos défis, en montant et en domaines d’intervention. Il faudrait surtout reconstruire une stratégie de filières et se positionner sur des secteurs où l’on est en capacité d’être leader et non pas forcément suiveur : l’aéronautique, l’automobile, le numérique (hébergement, moteurs de recherche). Sans chercher à pouvoir concurrencer un jour les GAFAM, on doit trouver notre subsidiarité européenne dans l’innovation.
L’innovation se trouve aussi ailleurs. Nous sommes au premier rang européen en termes de licornes avec 17 unités, ce qui nous place devant l’Angleterre et l’Allemagne sur un écosystème numérique IT où ce n’était pas gagné d’avance. Notre environnement entrepreneurial reste très attractif puisque désormais environ 40% d’une promotion de l’École polytechnique va rejoindre une start-up.
En revanche, l’articulation recherche publique et privée ne fonctionne pas assez bien, cela mérite de dresser un bilan des pôles de compétitivité. Ils sont trop nombreux et se sont vu injecter beaucoup d’argent dans une logique d’accès au marché insuffisant. Nombre d’entreprises se sont diluées sur des projets collaboratifs qui ont été faiblement efficients au regard des sommes d’argent engagées.
De son côté, l’intégration régionale fonctionne de mieux en mieux, les régions, ayant acquis une très bonne expertise, constituent le bon niveau, Chaque fois qu’une entreprise connait des difficultés, la région se retrouve au côté de l’État et intervient avec ses propres leviers. On devrait renforcer l’échelon régional avec la création d’un outil fiscal. La région doit pouvoir afficher sa filière et favoriser l’implantation d’usines dans une logique filière. Dans ce but, pouvoir compter sur les budgets de la région, les orienter et tirer parti de l’attractivité fiscale est utile.
Comment jugez-vous le rôle de Bpifrance, notamment par rapport à l’échelon régional ? Quel est le bon interlocuteur pour les entreprises qui veulent investir ?
Tout dépend de l’entreprise, et de sa demande. Pour l’achat d’un bâtiment, l’implantation d’une usine ou la construction d’un système multimodal, la région est le bon interlocuteur, elle sait très bien faire pour le prêt participatif aidé, la syndication avec Bpifrance. Pour une demande d’aide . l’innovation afin de développer un projet, Bpifrance est très adaptée et peut réagir très rapidement car en tant que capital-risqueur, elle a des référentiels de business avec une expertise qui lui permet d’anticiper la réussite. Bpifrance offre une expertise plus pointue sur des business innovants.
Une combinaison des deux acteurs me parait souhaitable, il ne faut pas les opposer, ils sont très complémentaires. Et puis les situations régionales sont très inégales, certaines régions sont performantes, d’autres moins.
Jouve est-il aidé par la région et Bpifrance ?
Nous n’avons pas de financement ni régional, ni de la part de Bpifrance pour des acquisitions ou notre croissance.
En matière d’innovation, comment embarquer grands groupes et PME à travailler davantage ensemble ?
Dans ce domaine les choses se sont améliorées car on part vraiment de loin, notamment sur les délais de paiement. Mais on s’inscrit faiblement dans des logiques filières, et plus dans des logiques de marchés. Ces logiques filières sont très inégalement poussées par rapport aux logiques marchés. Outre-Rhin, un Lander possède des filières très fortes et . la fois s’est structuré sur une logique de marchés. Nous sommes en retard là-dessus.
Partagez-vous la vision optimiste de la « destruction créatrice » de Philippe Aghion ?
Nous sommes aujourd’hui dans les prémices d’une lune de miel mais dont l’aboutissement va être plus compliqué car, comme le dit l’adage, l’eau emprunte toujours le chemin le plus court. La responsabilité de l’entreprise et le fait qu’on lui demande de peser davantage sur le sociétal, la volonté de l’État d’exister au travers de l’impôt prélevé, la volonté des collaborateurs de s’épanouir en tant qu’acteurs au sein de l’entreprise, toute cette coagulation est positive, intéressante, mais cet ensemble doit avoir un modèle économique.
Certaines grandes entreprises qui se sont engagées fortement dans la responsabilité sociétale n’ont pas eu en effet les taux de croissance les plus importants. Ce qui constitue une entreprise, c’est d’abord la robustesse de ses fonds propres. Un meilleur partage de la valeur ou le fait qu’une entreprise s’inscrive mieux dans un schéma régional ou national, sont bien sûr des éléments importants mais il faut s’assurer que l’entreprise puisse honorer ses promesses. Les entreprises les plus en vue sont construites sur des schémas de croissance qui sont en train de redécoller.
Lorsque les entreprises agiront davantage dans cette optique sociétale et que le système sera plus équilibré, il faudra que les impôts baissent et que les entreprises bénéficient alors de contreparties. L’interaction de l’entrepreneur avec l’État est bien fiscale, elle porte sur le prélèvement des charges qui garantit notre modèle de protection sociale vertueux.
Plus l’entreprise devient sociétale et engagée, plus le modèle devra être révisé. Si nous ne sommes plus dans une logique de croissance, nous n’aurons plus la possibilité d’assurer les financements de ces nouveaux avantages octroyés. La situation de notre économie reste tout de même édifiante. Quelque 400 000 emplois non pourvus, un chômage structurel qui va avoisiner les 6 millions de personnes toutes catégories confondues, et une croissance de 5,75% : dans ce contexte on ne pourra faire baisser le chômage que faiblement et il faudra bien pourtant le financer…
Alors que les aides publiques liées à la Covid-19 vont progressivement disparaître, les entreprises vont-elles pouvoir s’adapter et supporter le choc ?
N’ayant pas reçu d’aide, je suis personnellement assez serein. Plus généralement ce ne sera pas un choc. Car le gouvernement va probablement procéder de façon séquencée avec une dégressivité des aides, il va maintenir les couveuses pour des populations et des entreprises qui connaissent des difficultés notamment dans des filières comme le tourisme, l’a.rien, l‘hôtellerie-restauration. Il n’y aura pas, je crois, la vague attendue de destruction d’entreprises, en tout cas à la hauteur de celle qui avait été imaginée. Nous connaitrons juste une correction haussière par rapport aux 55 000 entreprises qui périclitent chaque année. Le système a en fait été très efficace.
Beaucoup d’experts estiment que par rapport aux États-Unis les montants des plans de relance français et européen seraient trop faibles. Qu’en pensez-vous ?
Je serai sur ce point nuancé. Je prends le cas de nos deux filiales aux États-Unis, l’une réalisant 30 millions d’euros, l’autre 20 millions d’euros, nous avons reçu respectivement 1,8 million et 1,2 million, du cash gratuit. Nous avons simplement dé justifier que cet argent .tait correctement utilisé pour payer les salaires et les loyers. Ces aides viennent d’être transformées en subventions exceptionnelles. Cela fait donc partie du plan de 1 000 milliards mis en place par Joe Biden.
En France, le système a été assez différent avec le PGE qui doit être remboursé et qui constitue de la dette, avec le chômage partiel qui a permis à tous les travailleurs de pouvoir maintenir leur niveau de vie et d’assurer une consommation aujourd’hui en croissance.
Concernant le fléchage du plan de 100 milliards d’euros, il me parait trop éclectique. Je suis dubitatif sur la capacité de l’État de déployer ces 100 milliards, connaissant la difficulté en France à obtenir des financements au travers de projets collaboratifs, d’appels à projets, d’appels d’offres et de cahiers des charges. C’est souvent diffus, peu accessible et cela prend beaucoup de temps. Un deuxième plan suivra parce que le premier n’aura pas été utilisé en pleine capacité et que d’autres idées feront jour pour mieux utiliser cet argent lors de la campagne présidentielle.
Quels enseignements tirez-vous de la crise en matière de relations sociales dans l’entreprise ?
Les partenaires sociaux s’en sont globalement bien tirés. Ils ont joué leur rôle sur les protocoles de confinement et de d.confinement, ils sont apparus crédibles, ils se sont comportés en responsabilité sur l’accord de télétravail en intégrant une mutation de l’évolution du travail qui semble correspondre avec les attentes des organisations syndicales et passe plutôt bien également au niveau des branches.
On constate aussi une prise de conscience générale de souveraineté économique et partagée qui pourrait faire évoluer le dialogue social de façon plus responsable. Nous entrons peut-être dans une nouvelle ère syndicale pour les années à venir.
Est-on également à l’aube d’une nouvelle ère du capitalisme ?
Incontestablement, oui. Le capitalisme va s’articuler sur un meilleur partage de la valeur qui s’imposera comme un grand débat de la présidentielle. Les entreprises qui verseront des dividendes sans participation ni intéressement, ce ne sera plus viable. On développera de nouveaux instruments de participation, des outils d’actions gratuites, d’accès au capital, plus simples pour les petites entreprises. Et il faudra aborder le sujet des très hautes rémunérations. On n’acceptera plus qu’un patron puisse toucher autant de millions intrinsèquement au seul motif qu’il vient tous les jours au travail, cela sera accepté si seulement il a accompli une performance extraordinaire portant création de valeur.
Quel est, selon vous, le bon niveau de souveraineté pour les entreprises ?
La souveraineté ne peut être qu’européenne. Si nous voulons lutter contre les BATX ou les GAFAM, quand bien même ils seraient en partie démantelés, cela ne peut se faire que dans un schéma européen. Si OVH veut être un acteur-clé, il ne peut tenir ce rôle qu’à l’échelle européenne. Si Qwant veut devenir un moteur de recherche européen, il ne peut y prétendre que dans une logique européenne. Si on veut des supercalculateurs en France, ce sera avec Atos mais à l’échelon européen.
Quant à Jouve, l’entreprise, aujourd’hui de taille intermédiaire, est d’ores et déjà européenne avec de fortes ambitions. Nous pouvons faire de la croissance organique et externe en Europe. Nous essaierons de le faire et ensuite de devenir un acteur mondial.