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La démocratie renforce la mondialisation
Sociétal en partenariat avec l'Académie des sciences morales et politiques et Newpolis a accueilli, Suzanne Berger à l'Institut de France pour une conférence exceptionnelle animée par l'Association des Journalistes Économiques et Financiers. Pour traiter le thème : « Mondialisation et Démocratie sont-elles (ré)conciliables ? »
Suzanne Berger, professeure au MIT, plaide pour que la mondialisation s’accompagne de nouvelles avancées économiques et sociales.
En ces temps de montée des populismes, la mondialisation est la cible de nombreuses attaques. Elle est jugée responsable des maux de notre société. Elle inquiète plus de 60% des Français selon plusieurs sondages.
Suzanne Berger, politologue et historienne, professeure au MIT, analyse son évolution complexe en rappelant son sens initial et ses racines historiques, afin d’adopter une lecture plus juste et nuancée.
Les raisons d’inquiétude sont multiples face à l’ordre mondialisé qui est aujourd’hui le nôtre. Commençons par la gestion des frontières. Nombreux sont ceux qui, de nos jours, désirent (re)fermer les frontières de leur pays, l’ouverture de celles-ci étant tenue pour responsable d’une détérioration massive de leurs conditions de vie.
Une telle réaction surprend car l’ouverture des frontières tout au long des XIX et XXe siècle fut avant tout justifiée par la volonté d’aboutir à un ordre international plus juste et pacifique. L’isolationnisme est-il donc la solution ? Non. Cette situation est dûe à une mauvaise conduite de l’ouverture des frontières. Il convient de se demander sur quels plans.
En parallèle, le rapport entre mondialisation et démocratie doit être posé. La notion si chère aux États démocratiques de welfare state a émergé parmi les élites dans le but de préserver la paix sociale, d’atteindre un plus grand bien-être et une plus grande justice sociale. Les élites se sont alors alliées avec des organisations intermédiaires - partis ou groupements politiques (notamment de gauche) et syndicats.
Il est donc préoccupant de constater la disparition de ces organisations intermédiaires car leur perte d’influence a accéléré un divorce entre les élites politico-sociales et les peuples. La situation est d’autant plus inquiétante qu’elle concerne les pays où ces groupes et liens étaient les plus forts, à l’instar des pays scandinaves qui n’échappent pas à l’émergence des populismes.
Suzanne Berger observe avec pertinence que cette situation est la conséquence de l’échec des politiques de compensation individuelle. Longtemps tenues pour le Graal dans un monde où prime la conception libérale, ces compensations ne sont pas parvenues à générer l’harmonie sociale parce qu’elles négligent une notion essentielle : celle du collectif.
Si les raisons d’inquiétude sont multiples, il ne faut pas pour autant céder au défaitisme ou à l’attentisme. La mondialisation n’est pas un état du monde déjà réalisé. Car les fondations de la mondialisation sont essentiellement politiques. Une action est donc possible pour influer et corriger ce phénomène. Une action qui nécessite d’analyser et de tirer les leçons de la première mondialisation pour tenter de répondre aux défis actuels.
La première mondialisation a manifestement été trop rapide pour les populations - particulièrement depuis les années 70. Sans doute convient-il donc, du moins pour un temps, de commencer par ralentir ce phénomène, afin d’aider à l’acceptation sociétale
des bouleversements qu’il implique. Ce choix s’accompagne d’interrogations sur des pertes de gains de productivité. Mais Suzanne Berger souligne que ce ralentissement peut stimuler des industries nouvelles.
Il est également impératif d’accompagner la politique d’ouverture des frontières d’avancées économiques et sociales. La première ouverture des frontières opérée aux siècles précédents fut étroitement liée à un programme de réformes sociales.
Enfin, recréer des organisations intermédiaires fortes est crucial, afin de retisser des liens entre les peuples et les élites, pour donner du sens à la politique et rebâtir un lien commun entre les groupes sociaux. Des lieux et instruments démocratiques autres que les voix électorales doivent également continuer à se développer pour faire naître une véritable démocratie qui ne soit pas simplement électorale, mais aussi civile et civique.
Suzanne Berger dessine ainsi des éléments de réponse rationnels qui peuvent être mis en pratique. Encore faut-il que la volonté politique ose en prendre le chemin.
Résumé de la conférence par Hélèna Kharmouche, étudiante et secrétaire générale de Newpolis, présidée par Louis Lalanne
En accès libre
À propos de Suzanne Berger :
Suzanne Berger est née en 1939. Elle est historienne et politologue américaine, professeure de sciences politiques à l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT) et directrice de l'Initiative scientifique et technologique internationale du MIT.
En tant que chef de file en politique comparée et en économie politique, elle a souligné le rôle central de la politique dans la médiation et la réorientation de forces apparemment transcendantes, telles que la modernisation économique et la mondialisation.
Elle a étudié au Antioch College pendant deux ans avant d’être transférée à l’Université de Chicago, où elle a obtenu son baccalauréat avec distinction en 1960. Elle a ensuite étudié à l’Université de Harvard où elle a obtenu une maîtrise et un doctorat.
Dans Comment nous sommes en concurrence, sur la base d'une étude de cinq ans par le Centre MIT Industrial Performance, elle présente le résultat des études de cas de plus de 500 entreprises internationales à découvrir quelles pratiques réussissent dans l' économie mondiale d'aujourd'hui, qui échouent, et pourquoi. Elle brosse un tableau bien plus compliqué que les présentations en noir et blanc de la plupart des promoteurs et des opposants à la mondialisation. Une main-d'œuvre bon marché n'est pas la solution, la délocalisation n'est pas une fatalité et les voies ouvertes aux entreprises sont beaucoup plus vastes qu'on ne l'imagine généralement.
Suzanne Berger était membre de la Commission sur la productivité industrielle du MIT, dont le rapport, Made in America, analysait les faiblesses et les forces de l'industrie américaine dans les années 1980. Elle est également associée de recherche et membre du comité du Centre d'études européennes Minda de Gunzburg de l'Université Harvard.
Elle a été vice-présidente de l’American Political Science Association et présidente fondatrice du comité mixte sur l’Europe occidentale du Social Science Research Council. Elle est l'ancienne présidente du département de science politique du MIT. En plus de diriger l’initiative scientifique et technologique internationale du MIT, elle est également fondatrice et directrice du programme MIT-France.
Suzanne Berger a été élu membre de l'Académie américaine des arts et des sciences en 1978. Elle est également chevalier de la Légion d'Honneur en France.
Elle est également membre du conseil d'administration de BNP Paribas.