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Sociétal - Olivier Millet : La raison d'être, désormais une évidence

Olivier Millet, président du directoire d’Eurazeo PME et membre du conseil exécutif du MEDEF, estime que la raison d’être, à la fois composante d’une démarche ESG1 et aboutissement du rôle de l’entreprise, permet un équilibre pérenne de l’ensemble des parties prenantes. L’ancien président de France Invest encourage donc les acteurs du Private Equity, « contributeur à la construction des écosystèmes de demain », à s’emparer du sujet pour créer « une finance durable, verte et inclusive ».

Jusqu’où sommes-nous prêts à nous engager, et jusqu’où devrions nous aller ? Telles sont les interrogations au coeur des équipes de gouvernance politique et économique de notre époque, en France et partout dans le monde. Il faut agir, il faut s’adapter, il faut révolutionner. Il faut aller vite, et il faut que ce soit global.

Il y a encore quinze ans pourtant, prêcher le sens, la responsabilité, l’engagement ou encore la raison d’être d’une entreprise prêtait à sourire, et certains précurseurs en la matière étaient alors étiquetés de crypto communiste ou d’Ayatollah vert. En effet, l’entreprise était alors généralement restreinte à sa production de richesses, elle devait être rentable. Pour subsister, pour maintenir et créer des emplois, pour permettre à d’autres entreprises de prospérer, pour s’adapter et innover, et pour reverser des dividendes à ses actionnaires.

Désormais, l’entreprise doit toujours être rentable, mais elle ne peut plus se limiter à la recherche simple du profit. En effet, plus d’un Français sur deux considère que l’entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble devant ses clients (34%), ses collaborateurs (12%) ou ses actionnaires (3%)2. Elle doit être le lieu de création et de partage de valeurs et prendre en compte les enjeux liés à son activité, regroupés sous le sigle ESG : environnementaux, sociaux et de gouvernance.

En quinze ans, ces politiques se sont développées et sont désormais généralisées. Les paradigmes de la responsabilité et de la durabilité sont omniprésents : dans les organisations, la publicité et le marketing, les programmes politiques, les industries, les médias… et peut-être demain dans le statut légal de nos entreprises. L’ESG est partout et son intégration au sein des activités et stratégies économiques devient un élément attractif dans de nombreux secteurs, y compris celui du non-coté. Dans la lignée de cet essor est apparue il y a deux ans la notion de label « raison d’être », qui tend de plus en plus à se normaliser. À la fois composante d’une démarche ESG et aboutissement du rôle de l’entreprise, la raison d’être est finalement une manière de formaliser cette évolution de nos sociétés et de ses considérations. C’est aussi la recherche et la synthétisation d’un équilibre pérenne destiné à l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, d’un consensus fragile mais nécessaire.

 

L’entreprise doit être le lieu de création et de partage de valeurs et prendre en compte les enjeux liés à son activité, regroupés sous le sigle ESG : Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance.

 

Une concrétisation du contrat entre parties prenantes

Une entreprise, en tant qu’organisation, est composée de différents acteurs ayant chacun pour objectifs la préservation de leurs intérêts et la majoration de leurs gains personnels. Les dividendes pour les actionnaires, la rémunération et les conditions sociales pour les salariés, ou encore la qualité et l’éthique, mais au prix le plus bas, pour le client, qu’il soit fournisseur ou consommateur.

Dans ce noeud d’injonctions contraires et paradoxales, l’entreprise doit cependant trouver un équilibre car elle est responsable de ses parties prenantes du fait des externalités positives et négatives qu’elle crée. De plus, la hausse de conscientisation des salariés-citoyens met nos gouvernants et nos organisations sous pression. L’entreprise doit évoluer, réguler et se contrôler. La raison d’être permet de concrétiser ce besoin et à l’ensemble des acteurs de s’y retrouver. En effet, elle instaure un équilibre et garantit de l’attractivité en externe et en interne : pour recruter des talents, pour innover et produire des biens et services qui répondent aux attentes des consommateurs, pour développer le chiffre d’affaires et le maintenir sur la durée et pour attirer des capitaux.

La raison d’être bénéficie donc autant aux collaborateurs qu’aux actionnaires, et ce malgré leurs objectifs divergents : assurer la stabilité et la durabilité globale de l’entreprise permet de consolider ses activités, capitaliser sur sa valeur et pérenniser le rendement des capitaux engagés. Les actionnaires - en tant que propriétaires de leurs actions et donc copropriétaires et co-responsables de l’entreprise - bénéficient de ces transformations et ont tout intérêt à investir et soutenir des entreprises au fait de ces enjeux. De plus, cette réconciliation des différentes parties prenantes est nécessaire pour le monde économique, notre société et notre planète.

L’affrontement qui perdure et qui s’intensifie décennies après décennies doit cesser. Nous sommes désormais sous contrainte et il nous faut assumer nos contradictions et étudier notre champ des possibles et moyens disponibles. Chaque acteur doit être conscient de ses propres enjeux et intérêts, mais également de celui des autres. C’est ce que permet la formalisation de la raison d’être, qui n’est d’ailleurs qu’une brique d’une démarche plus globale, comprenant notamment la réduction de l’empreinte carbone, la lutte contre le changement climatique et la meilleure inclusion des personnes en interne et en externe.

 

En tant que contributeur à la construction des écosystèmes de demain, nous tendons à inspirer et déployer nos valeurs et notre croyance en une finance durable, verte et inclusive.

 

Le Private Equity, un acteur essentiel du monde à venir Depuis sa création en 2019, la raison d’être se développe dans les entreprises, et notamment au sein des grands groupes français. Déjà précurseurs sur les sujets ESG, ils ont été les premiers à se doter du label. Depuis peu, le non-coté, au sein duquel les considérations environnementales, sociales et sociétales se développent depuis une dizaine d’années, s’est mis en marche juste derrière les grands groupes.

À la fois responsable de ses parties prenantes et des actifs confiés, il incombe aux acteurs du Private Equity de se positionner sur ces sujets et d’en être les précurseurs, pour pouvoir ensuite faire prévaloir leurs expertises auprès de leurs participations. En effet, en Growth ou en Venture, nous finançons et accompagnons des entreprises sur une période de trois à dix ans en moyenne. Cette marge d’action sur le long terme est un formidable levier de transformation et d’influence auprès de nos PME et ETI, et l’intégration des enjeux ESG au sein de notre secteur est donc très positive. En tant que contributeur à la construction des écosystèmes de demain, nous tendons à inspirer et déployer nos valeurs et notre croyance en une finance durable, verte et inclusive.

 

L’investissement ne peut se faire en masse que s’il a du sens.

 

Créer des licornes c’est évidemment excitant, mais il est donc temps de dépasser ces considérations pécuniaires et de jouer notre rôle, considérable, au sein de notre société : stabiliser le tissu économique, payer des impôts, créer des emplois, etc. Notre responsabilité est d’ailleurs proportionnelle aux capitaux gérés ; l’investissement ne peut se faire en masse que s’il a du sens. Au delà de la raison d’être, ce sont la performance, l’équilibre et la conscience globale qui façonneront les entreprises agiles de demain.

C’est grâce aux talents qui constitueront nos équipes, au management et aux organes de surveillance qui valideront nos stratégies, aux capitaux responsables et durables qui nous financeront et à la société civile à qui nous devrons rendre des comptes, que nous pourrons exceller et atteindre le niveau d’exigence nécessaire aux défis de notre époque. Notre environnement avance et se transforme bien plus vite que ce que nous imaginons, et la période post-Covid qui s’amorce sera un formidable terrain d’opportunités pour revisiter les acquis et les incohérences qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui.

Ainsi, l’accélération de la prise en compte de ces enjeux et le déplacement de la norme en la matière est un véritable encouragement, car c’est en favorisant ensemble une prospérité partagée et durable que nous serons vecteurs de changements positifs dans la société. Dans un futur plus ou moins proche, la raison d’être ou les critères ESG seront sans doute une clause indispensable à la réalisation d’un investissement. L’entreprise à raison d’être d’aujourd’hui sera peut-être l’entreprise à mission de demain.

Enfin, ne laissons pas de côté l’enjeu de la diversité déjà au coeur des organisations anglo-saxonnes, pour preuve l’instauration prochaine d’un index de la diversité pour les entreprises volontaires annoncé par la ministre Élisabeth Moreno le 26 janvier dernier. Finalement, et de manière sommaire, il semblerait que le meilleur soit à venir, du moins il n’en tient qu’à nous.


 

Biographie de Olivier Millet

Président du directoire d’Eurazeo PME & Membre du directoire d’Eurazeo et ancien président de France Invest

Olivier MILLET est actif dans le capitalinvestissement depuis plus de 30 ans, comme entrepreneur et professionnel de l’investissement de long terme au capital de PME et ETI.

Administrateur, vice-président et trésorier de France Invest depuis 2014, il a été président de l’Association de juin 2016 à juin 2018.

Il a également été membre du Conseil Exécutif du MEDEF de 2018 à 2020.