La secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, analyse la façon dont les entreprises se sont progressivement emparées des dispositifs de la loi PACTE. Un texte dont elle a été l’une des initiatrices à l’Assemblée nationale. Olivia Grégoire appelle de ses voeux la poursuite du déploiement de ses dispositifs avant de franchir une nouvelle étape.
Propos recueillis par Philippe Reiller et Aude de Castet
SOCIÉTAL.- En 2018 vous avez présidé la commission spéciale de l’Assemblée nationale sur la loi PACTE. Pourquoi vous êtes-vous engagée personnellement sur ce dossier, notamment concernant la raison d’être et les entreprises de mission ?
Olivia Grégoire.- Dès 2017, en tant qu’élue, je me suis intéressée à la future loi PACTE et me suis mobilisée pour la croissance et la transformation des entreprises pour des raisons claires. Je fais partie de celles et de ceux qui sont convaincus que le capitalisme a certes des défauts et des faiblesses mais que, pour autant, c’est le moins mauvais régime économique. Il a permis le développement de classes moyennes dans les pays en voie de développement, la diffusion du progrès médical comme de l’éducation. Il a connu ces dernières années, notamment avec la crise de Lehman Brothers, des épisodes qui ont démontré ses excès.
Le capitalisme a certes des défauts et des faiblesses mais pour autant, c’est le moins mauvais régime économique.
J’ai souhaité m’investir sur la responsabilisation du capitalisme et sur ce qu’il faut faire changer encore pour qu’il soit plus adapté à la société dans laquelle nous évoluons aujourd’hui. On est passé d’une société de la consommation à une société de la responsabilisation : en réalité le citoyen est tout à la fois client, épargnant, salarié et dans chacun de ses domaines d’expression, il ne cherche plus uniquement le meilleur prix, le meilleur rendement, le meilleur salaire, mais il se préoccupe de plus en plus du sens et de l’impact de ses actes. Partant de ce constat, plutôt que de se focaliser uniquement sur les règles, il faut songer à changer les outils qui sont à la disposition des entreprises.
Avec la loi PACTE, nous avons essayé de faire évoluer de multiples outils dans la boîte à outils à la disposition des entreprises : avec dans le chapitre 3 des outils de gouvernance avec la mise en place de la raison d’être, de la société à mission mais aussi des fondations d’actionnaires, avec dans le chapitre 2 des outils au service du financement avec le fléchage de l’épargne retraite et de l’assurance-vie vers des produits responsables. C’est grâce à la loi PACTE depuis le 1er janvier 2020 et à compter du 1er janvier 2022 que chaque Français disposera dans chacun de ses contrats d’épargne-retraite ou d’assurance-vie d’une unité de compte aujourd’hui, de trois unités de compte à partir de 2022, pour venir financer de la finance solidaire, des labels ISR ou verts. On a commencé avec la loi PACTE à faire évoluer l’orientation de l’épargne de l’ensemble des Français vers des produits plus responsables au service de la transition écologique ou sociale. Ce texte porte aussi deux autres dimensions : le partage de la valeur avec la suppression et la baisse du forfait social sur l’intéressement et la participation, l’actionnariat salarié ainsi que le partage du pouvoir dans l’entreprise avec l’augmentation du nombre des administrateurs salariés au sein des conseils d’administration. La loi PACTE m’a donc permis de poser toute une boite à outils pour accompagner les entreprises au service d’un capitalisme plus responsable.
Cette réforme a-t-elle été votée facilement au Parlement ?
À l’aune des derniers textes de loi, la loi PACTE est plutôt bien passée avec des oppositions dont, pour chacune d’entre elles, nous avons, avec Bruno Le Maire, réussi à embarquer certaines des propositions et amendements. Le groupe communiste a présenté des amendements en matière d’information des salariés et de transparence concernant la possible évolution du Groupe ADP, que nous avons retenus.
On a embarqué des propositions de la gauche sur les administrateurs salariés et la nécessité de mettre à leur disposition des formations pour qu’ils puissent mener à bien leur rôle de façon pleine et entière. Néanmoins le texte a fait l’objet de résistances, évidemment au sujet du Groupe ADP, mais ce n’était pas le coeur du texte et elle a surtout été le moyen pour une opposition en mal d’arguments d’en faire un point d’achoppement.
Car qu’il s’agisse de l’allégement des seuils de 50 salariés, de l’orientation de l’épargne au service d’actifs plus verts, plus solidaires, de la raison d’être et des sociétés à mission, l’ensemble des groupes parlementaires étaient plutôt en soutien de ces trois fondamentaux. Il y a même eu certains points d’unanimité notamment lorsque j’ai porté avec Laure de La Raudière des propositions concernant les conjoints collaborateurs afin de protéger les femmes des artisans.
Comment définiriez-vous l’ambition de la loi PACTE ?
C’est une loi de responsabilisation du capitalisme qui a le mérite d’être extrêmement opérationnelle. C’est une clé de douze pour faire pivoter son modèle capitalistique au service d’un modèle qui intègre mieux les salariés, qui partage plus la valeur et le pouvoir et qui se positionne sur les enjeux d’aujourd’hui, notamment en matière de transition écologique et sociale.
La loi PACTE comportait-elle une clause de revoyure ?
La loi PACTE apporte des modifications en profondeur et lance des chantiers dans le temps, nous avons donc souhaité prévoir dans la loi un bilan de sa mise en oeuvre. Il s’est amorcé dès l’année dernière avec France Stratégie.
À quelques mois du deuxième anniversaire de la loi, combien d’entreprises ont adopté leur raison d’être et sont devenues à mission ?
Au plan qualitatif, je soulignerai un premier point. Cette loi démontre que le législateur doit aussi croire à ce que nous disent les entreprises qui, pour certaines, avaient des velléités de se transformer, d’intégrer une raison d’être, de devenir société à mission. Pourtant en 2018 quand on a missionné Nicole Notat et Jean- Dominique Senard, beaucoup de gens me disaient être convaincus que cela ne marcherait jamais et m’avaient annoncé des cascades de contentieux dans les cabinets parisiens ! Aujourd’hui, cette loi fonctionne et de nombreuses entreprises sont en train de se l’approprier. À date, 130 entreprises sont déjà devenues sociétés à mission, elle étaient 50 début octobre et 67, en novembre.
Les entreprises se positionnent de façon assez équilibrée entre l’environnemental et le social et beaucoup mettent en avant la notion d’accessibilité au plus grand nombre.
Ce n’est pas réservé aux grandes entreprises, 2/3 d’entre elles sont des TPE de moins de 50 salariés. Huit groupes du CAC 40 ont déjà inscrit leur raison d’être dans leurs statuts et on compte plus d’une centaine d’entreprises qui ont choisi une raison d’être. L’année 2021 devrait être celle de l’amplification de ce mouvement et du changement d’échelle. 10 000 entreprises pourraient faire évoluer leurs statuts d’ici 2025.
S’agissant du contenu des raisons d’être, quelles thématiques se sont le plus imposées ?
Je ne dispose pas encore d’étude qualitative précise. J’observe que beaucoup d’entreprises affirment leur souhait de participer à la société dans son ensemble, ce qui était le but même de la loi PACTE. Les entreprises se positionnent de façon assez équilibrée entre l’environnemental et le social et beaucoup mettent en avant la notion d’accessibilité au plus grand nombre, que ce soit pour l’alimentation, le logement, le véhicule.
Quels sont les freins à l’extension des dispositifs de la loi PACTE ?
Il y a toujours un décalage entre la loi votée par le Parlement et ce que l’opinion publique, les salariés, les chefs d’entreprise ressentent dans leur quotidien. Il y a toujours un temps de latence pour que l’ensemble des acteurs se l’approprient. Depuis la promulgation de la loi, je me rends compte que les solutions que l’on a mises en place intéressent mais il faut lever les freins sur certaines craintes par rapport à l’engagement que cela suppose des entreprises. Faire bouger ses statuts et introduire une raison d’être dans ses statuts, c’est aussi faire bouger et réaffirmer le positionnement de son entreprise.
J’ai entendu des interrogations sur les conséquences d’un non-respect de la raison d’être ou si la mission ne converge pas bien avec ce qui avait été annoncé. On doit rassurer sur le fait que c’est une démarche volontaire et non coercitive. La loi ne prévoit pas de sanction, de menace, si jamais la raison d’être ou le statut d’entreprise à mission n’est pas exactement respecté. C’est une question d’équilibre à tenir : rassurer les entreprises qui veulent prendre ce virage tout en leur expliquant que ce n’est pas l’absence de mesure coercitive qui devrait le faire considérer comme un gadget. Les entreprises doivent comprendre qu’elles prennent cet engagement, bien sûr par rapport à leur communauté interne, mais surtout vis-à-vis de leurs communautés externes et des parties prenantes. Il n’était pas nécessaire de prévoir de menace parce que c’est le regard des parties prenantes sur la réalité de leur engagement qui évaluera la véracité de ce dernier.
Enfin, n’oublions pas le sujet de l’attractivité des talents en France. On n’attire plus les talents par les seuls salaires, notamment pour les jeunes diplômés. La rémunération n’est plus le seul élément d’arbitrage et donc le positionnement d’une entreprise en matière de raison d’être ou de société à mission constitue un outil formidable pour attirer des talents, qui sont prêts à s’engager, mais avec du sens. Être une société à mission est un élément extrêmement fort pour rendre plus attractive la marque employeur et donc attirer des talents dans un contexte général plus difficile.
Le positionnement d’une entreprise en matière de raison d’être ou de société à mission constitue un outil formidable pour attirer des talents, qui sont prêts à s’engager, mais avec du sens.
Le cas Danone est intéressant. D’un côté, Emmanuel Faber a été précurseur en revendiquant très rapidement le statut de société à mission. De l’autre les actionnaires du groupe ont semblé plus circonspects et plus attentifs aux résultats financiers. Qu’en pensez-vous ?
Cela démontre d’abord que la loi PACTE est faite aussi pour des entreprises qui sont au coeur de la bataille de la mondialisation. Devenir entreprise à mission ne signifie pas accéder à un statut d’entreprise hors sol, détachée des concepts de pertes, de profit, de compétitivité. Une entreprise à mission, comme n’importe quelle autre, aura à traiter des sujets sur les licenciements ou sa masse salariale. On peut être une société à mission et en même temps être complétement insérée, comme Danone, dans la guerre économique globale. On ne devient pas une entreprise à mission parce que cela rapporte de l’argent mais parce que cela rapporte du sens. L’essentiel est de ne pas se détourner de la mission économique que l’on s’est donnée. Danone a fait énormément au service de la responsabilisation du capitalisme en devenant une société à mission, en revanche il faut être vigilant sur les assertions qui ont pu être celles du groupe. Ce n’est pas son statut d’entreprise en mission qui est en cause, ce sont des affirmations comme celle selon laquelle le groupe n’opérerait jamais de licenciement dans le futur sous la pression des actionnaires, qui ont pu semer quelques troubles. Soyons vigilants sur les expressions qui engagent l’avenir. Mais qu’une entreprise à mission puisse être amenée à devoir licencier, cela ne me choque pas !
Que répondez-vous aux critiques de la gauche sur des dispositifs de la loi PACTE qui seraient seulement de l’affichage, du marketing, voire un coup de bluff ?
J’accueille bien sûr toutes les critiques mais j’attends surtout les propositions. Sous le dernier quinquennat, nous n’avons pas été assaillis de propositions en matière de responsabilisation du capitalisme pour les entreprises au quotidien. J’ai l’habitude de travailler sur ce sujet avec certains parlementaires de droite comme de gauche, dont certains ont, je le sais, des choses à dire, ce sont de toute façon des sujets d’avenir. Je constate que les entrepreneurs que je rencontre estiment que la suppression du seuil des 50, la réorientation de l’épargne, tout ce qu’on leur a ouvert au chapitre 3 de la loi PACTE, constituent pour eux une boîte à outils fort utile. Bien sûr, comme dans toute dynamique, il existe toujours quelques filous qui pourront en faire du marketing mais la loi mise sur des sujets d’avenir : transparence des entreprises, mise en place d’un indicateur d’égalité professionnelle femmes-hommes qui est en train de se déployer, libre accès des comités de mission aux résultats de l’entreprise ou présence accrue des administrateurs salariés. J’ai du mal avec la métaphore du coup de bluff quand on met justement toutes les cartes sur la table. Avec la société à mission, on est obligé de donner ses preuves. Avec la performance extra-financière, il va falloir même évaluer, quantifier ces preuves. Donc un coup de bluff effectué avec autant de transparence ne peut pas être un coup de bluff !
Ce n’est pas tant la raison d’être qui compte que sa pérennité.
D’où part l’initiative sur le terrain pour se saisir des opportunités du chapitre 3 de la loi ?
L’initiative vient très souvent du patron, du conseil d’administration. J’espère que de plus en plus elle sera portée par les salariés, voire même par les clients ou les fournisseurs.
Inversement, la décision est-elle réversible ? Une entreprise peut-elle revenir en arrière ?
Bien sûr ! Mais, à cette heure, je n’ai pas constaté de cas. On peut faire évoluer sa raison d’être en faisant à nouveau bouger ses statuts. Et si jamais une société à mission ment sur sa mission et que le comité de mission et les parties prenantes estiment que la mission n’est pas assurée, alors l’entreprise perd son agrément de société à mission. Aux yeux de la gauche, cela peut paraître trop léger comme sanction. Mais si l’on veut vraiment impulser de façon significative en France ce mouvement de société à mission et de raison d’être, il ne faut pas commencer par sanctionner, mais par encourager et inciter. Et si une entreprise à mission devait perdre un jour son agrément, les journalistes le dénonceraient tout de suite et le dommage réputationnel serait potentiellement plus considérable qu’une simple sanction pécuniaire ou juridique.
Quels sont les enjeux particuliers de ces sujets pour les groupes du CAC 40 ?
Un groupe du CAC 40 a plus de temps et de moyens pour travailler à sa raison d’être mais le fait que des PME et certaines TPE soient engagées dans la voie de la raison d’être montre bien qu’on peut le faire quand on a connaissance des dispositifs et que l’on a une appétence pour ce sujet. Ce n’est pas tant la raison d’être qui compte que sa pérennité. L’important est de savoir si elle survit aux aléas de la situation économique, au changement des dirigeants notamment avec la crise que nous traversons. C’est peut-être plus facile pour des grandes entreprises de travailler à sa raison d’être grâce à leurs ressources mais les ETI et les PME ne sont pas étrangères à ce mouvement. Des ETI comme, entre autres, Yves Rocher constituent de bonnes locomotives sur ces sujets, parfois davantage que certaines entreprises du CAC 40.
La crise sanitaire a-t-elle constitué un frein ou un accélérateur pour la loi PACTE ?
Je reprendrai la formule attribuée à Churchill : « Never let a good crisis go to waste ». Ne surtout pas gâcher une crise ! Pour une fois la régulation a posé avant la crise un cadre qui est conforté et même revigoré avec cette crise. Par exemple, sur le chapitre 2 de la loi PACTE avec l’orientation de l’épargne des Français et le fléchage d’unités de compte dans chaque contrat d’assurance-vie pour le financement d’actifs ESG. Évidemment cette crise a constitué un choc et un frein, mais sur certains éléments, elle a été un accélérateur, notamment pour la réorientation de l’épargne et pour la gouvernance des entreprises dont on voit que celles-ci veulent associer de plus en plus les salariés et les consommateurs.
Quelles perspectives voyez-vous pour l’application de la loi PACTE dans l’ESS ?
L’écosystème de l’économie sociale et solidaire est bien sûr propice pour intégrer et développer la loi PACTE puisque l’ESS est une économie qui depuis des décennies a placé les valeurs sociales, environnementales, de gouvernance et de transparence, devant la seule valeur lucrative, pécuniaire, de profit. Son ADN est justement cette recherche d’impact dans ces domaines et elle a dans son ADN des ferments de ce qui est déployé par la loi PACTE. Cette loi met à disposition de tous les acteurs de l’économie traditionnelle des outils qui étaient jusqu’ici ceux de l’ESS. Par exemple le secteur coopératif et mutualiste, par son essence et son histoire, apporte depuis longtemps des réponses à ces valeurs qui sont au coeur de leur positionnement.
Avec la crise, on peut souligner la manière dont les mutuelles se sont comportées au regard de certains assureurs ou encore la façon dont des coopératives, notamment agricoles, ont apporté des solutions à des problèmes engendrés par l’économie de plateformes et l’ubérisation. Je suis très agréablement surprise, depuis plusieurs mois, par la maturité de l’écosystème ESS. Les acteurs de l’ESS sont disposés à étendre leurs valeurs, leurs pratiques, leurs méthodes et à s’ouvrir au reste de l’économie pour l’inspirer. Ils ne sont pas préoccupés de garder un monopole. C’est très encourageant de voir comment les échanges que l’on insuffle entre l’ESS et l’économie traditionnelle sont devenus très riches. Je me félicite d’une vraie ouverture de l’ESS pour inspirer l’économe conventionnelle.
Quels exemples de modèle vertueux pourriez-vous citer dans le secteur de l’ESS ?
L’ESS n’est surtout pas une petite économie, une économie à part. Jean- Marc Borello démontre depuis des années avec le Groupe SOS, devenu aujourd’hui la première entreprise sociale européenne, qu’on peut être durable, positionné sur ces sujets d’ESS, et en même temps rentable. En décembre, j’étais par exemple avec lui dans un Ehpad non lucratif où chacun paie en fonction de ses revenus.
Le Groupe SOS promeut des modèles économiques et sociaux mais il ne s’agit pas de pro bono, il s’agit d’un champ économique à part entière. Je pense à une autre entreprise inspirante, Phénix, créée par Jean Moreau. Cette société de l’ESS récupère les invendus des entreprises pour les distribuer à des associations. On évolue ici dans une activité de la tech, génératrice de revenus et d’emplois, mais qui a un fort impact social et solidaire. Cet entrepreneur social engagé et ses équipes lèvent des fonds, attirent des investisseurs. Leur démarche correspond à ma conception d’une économie plus responsable, à savoir, mettre la finance au service de ces acteurs qui pensent « impact » et qui sont utiles aux autres et à la planète. En pleine crise de confinement, les équipes de Phénix, à la rentrée, ont recruté entre octobre et novembre plus d’une dizaine de collaborateurs dans toutes les régions de France. Voilà une entreprise de l’ESS résiliente, moderne, portée par des gens qui font à la fois de la rentabilité et de l’utilité sociale. C’est à ce modèle économique-là auquel je crois dans l’avenir !
Le plan de relance vise à sauver nos entreprises, nos emplois et préparer la France de 2030 en matière de business.
Quelle est l’étape d’après la loi PACTE ? Faut-il envisager un PACTE 2 ? Comment avancer sur tous ces sujets ?
Bien sûr, on peut toujours imaginer à compter de 2022 un PACTE 2 allant plus loin : on a toujours besoin de simplifier, d’accompagner les entreprises. Mais pour ce qui est du présent, tâchons de déployer au maximum le potentiel de cette loi. Fait suffisamment rare pour être souligné, ce texte a vu tous ses décrets d’application sortir dans les neuf mois qui ont suivi son adaptation. Ensuite, rien n’indispose plus les entrepreneurs que l’instabilité juridique, les changements de pied, avec les changements de gouvernement.
On a encore beaucoup d’entreprises à convaincre sur la raison d’être et la société à mission, l’ensemble des Français ne sait pas encore que dans leur contrat d’épargne se trouvent des unités de compte solidaires et responsables. Disposons d’abord d’une première évaluation de cette loi et assurons-nous que la loi PACTE 1 soit pleinement appliquée avant de faire une loi PACTE 2. Des sujets sont encore en attente cette année avec notamment la mise en place en 2021 du guichet pour la création d’entreprise et la simplification des formalités.
En amont de la loi PACTE, on se rappelle les inquiétudes d’associations patronales redoutant que la loi PACTE rouvre la boite de Pandore de la judiciarisation et pointant des risques d’encombrement des tribunaux. Autant de contentieux qui n’ont pas eu lieu. Mais seulement 8 entreprises du CAC 40 ont défini leur raison d’être. Pour hâter le mouvement, ne pourrait-on pas conditionner les aides publiques du plan France Relance à la définition de la raison d’être ?
Il ne faut pas faire dévier les actions économiques de leurs objectifs. Le plan de relance vise à sauver nos entreprises, nos emplois et préparer la France de 2030 en matière de business. Il est déjà intégralement conditionné : pas de prime jeune, de prime handicapé ou de prime apprenti si l’entreprise n’embauche pas ce type de profil, pas d’accès à MaPrimeRénov’ sans rénovation globale de son logement, etc. Le seul sujet non conditionné est la baisse des impôts de production car on doit faire baisser le coût du travail en France. Il ne faut pas corréler des évolutions de gouvernance à un plan dont l’objectif est de sauver économiquement la France percutée par une crise historique. Si on établissait ce lien entre plan de relance et raison d’être, les entreprises ne viendraient pas chercher les aides et préféreraient mettre la clé sous la porte plutôt que de se faire aider par l’État. On doit éviter tout contre-signal qui effraierait des entrepreneurs qui ont besoin actuellement de l’État.
Le 7 décembre 2020, l’Union européenne a opté pour une résolution sur la gouvernance durable des entreprises (2020/2137 INI), marque-t-elle une étape supplémentaire dans la conception de l’entreprise par rapport à la loi PACTE ? En quoi l’Europe a-t-elle un rôle à jouer dans la définition des indicateurs de performance des entreprises ?
Le vote de cette résolution a tous les attributs d’un débat de technocrates, mais c’est en réalité un vrai débat de société. La résolution européenne marque un tournant dans une conception européenne de l’entreprise sur laquelle la France a été pionnière, notamment avec la loi PACTE. L’Europe a une place à prendre, pour ses entreprises, et pour ses consommateurs dans la régulation de la performance extra-financière. Si on se laisse dicter les règles du jeu par l’Asie ou les États-Unis, c’est demain toute une conception de société à laquelle il faudra nous plier. Mais le débat ne pourra pas se traiter en un claquement de doigts.
Biographie Olivia Grégoire
Olivia Grégoire est secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, dans le gouvernement Jean Castex, depuis le 26 juillet 2020.
Membre de La République en marche (LREM), elle se lance en politique en 2017, et est élue députée dans la douzième circonscription de Paris lors des élections législatives.
Au début de son mandat de députée, elle aura dissous son cabinet de conseil en stratégie et communication, établi dans la droite ligne de sa carrière dans la communication, au service de grandes entreprises privées et institutions publiques.