Le PDG de Dassault Aviation, par ailleurs président de l'Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM), propose une feuille de route pour stimuler l'industrie en France. Éric Trappier définit les actions prioritaires à conduire en insistant sur deux principaux leviers - compétitivité et compétence - à déployer dans les prochaines années pour que notre pays retrouver son rang de grande nation industrielle.
Notre pays vient de traverser deux ans de crise sanitaire qui ont à la fois tristement révélé notre déclassement industriel, et suscité une prise de conscience salutaire d’une évidence : avoir une industrie forte est crucial pour notre souveraineté.
C‘est crucial dans un contexte de mutations technologiques, numériques, environnementales profondes.
C’est fondamental avec le retour tragique de la guerre en Europe il y a quelques semaines, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Alors que les discours politiques de tous bords prônent désormais la réindustrialisation de notre pays - et c’est heureux après des décennies d’errements politiques - le prochain quinquennat devra impérativement être celui des actes.
À l’UIMM, nous considérons qu’il faut une mobilisation générale pour agir résolument sur les deux principaux leviers de développement de nos entreprises et de leurs emplois : la compétitivité et les compétences. Ce n’est qu’à cette condition que la France retrouvera son rang de grande nation industrielle. Ce n’est qu’à cette condition que nos territoires retrouveront leur dynamisme économique et leur cohésion sociale.
Adapter notre modèle social pour répondre aux transformations économique et sociale de la France
Le financement actuel de notre modèle social est inadapté pour permettre à nos entreprises de faire valoir leurs atouts dans la compétition économique internationale. Son morcellement institutionnel et financier rend difficile les arbitrages collectifs sur l’importance de la dépense de protection sociale et sur son partage entre les différents risques. Enfin, la réindustrialisation du pays devra passer par un choc de compétitivité avec la baisse de 35 milliards d’euros des impôts de production. Repenser la fiscalité et les charges sociales tout en essayant de préserver notre modèle représente un défi essentiel auquel nous devons répondre collectivement.
C’est pourquoi la refonte de notre système de protection sociale devient un impératif pour le rendre plus lisible, plus efficace, et que son financement soit compatible avec l’exigence indispensable de compétitivité. Nous prônons une véritable partition entre d’un côté un volet de solidarité géré par l’État et financé par l’impôt, et de l’autre côté un volet assurantiel géré par les partenaires sociaux et financé par les cotisations sociales. Nous appelons également à alléger les charges sociales sur les salaires jusqu’à 4,5 fois le smic pour permettre in fine le développement de l’emploi et du pouvoir d’achat. Rappelons également qu’il faudra travailler plus longtemps pour garantir l’équilibre financier à moyen et long terme de notre système de retraites.
Répondre à la pénurie de compétences et aux grandes mutations du travail
L’industrie subit une pénurie de compétences qui s’explique en partie par l’inadéquation de l’offre et de la demande sur le marché du travail, principal frein en termes de compétitivité hors coût au développement industriel des entreprises et de la réindustrialisation en France. Chaque année, la métallurgie aurait besoin de recruter 120 000 à 150 000 salariés. Plus de 70 000 emplois sont non pourvus à l’heure actuelle dans l’industrie, dont la moitié dans la métallurgie. L’un des enjeux est de restaurer le prestige des carrières industrielles. Travailler dans l’industrie c’est accéder à un métier qui a du sens mais également contribuer à la réussite du pays.
Pour résoudre ces difficultés, il nous semble indispensable de faire de l’acquisition par tous les élèves des savoirs de base la priorité n°1 de notre système éducatif.
Nous souhaitons également mettre en place dès le primaire, un plan de promotion de la culture scientifique à l’école, pour sensibiliser les jeunes.
Forts de la réussite de l’apprentissage (+ 24% de nouveaux contrats dans notre branche cette année !) nous proposons de poursuivre ce mouvement. C’est pourquoi nous souhaitons, à l’instar du modèle agricole, confier la responsabilité des lycées professionnels sur les filières industrielles au ministère de l’Industrie.
Pour finir, nous devons intégrer les nouvelles compétences requises par les mutations de l’industrie, les évolutions du travail vers un modèle hybride et répondre aux aspirations des nouvelles générations. Cela implique de faire évoluer les pratiques pédagogiques, et de mettre en place une véritable politique pour faciliter, sécuriser et simplifier les transitions professionnelles.
Menons ces chantiers ensemble et faisons de la réindustrialisation de la France la grande cause nationale du prochain quinquennat. L’UIMM y apportera toute sa contribution comme sa vigilance en s’assurant de la progression de la réindustrialisation par un baromètre ad hoc. L’un des marqueurs de la réindustrialisation sera d’ailleurs le retour à une balance commerciale positive.
L’industrie française est à la croisée des chemins et les prochaines années seront donc déterminantes pour l’avenir de notre pays, comme pour faire de l’Europe une grande puissance autonome et indépendante du point de vue économique, énergétique et industriel.
Éric Trappier est président-directeur général de DASSAULT AVIATIONS depuis 2013, qu'il a rejoint en 1984.
Il est également président du CIDEF (Conseil des Industries de Défense Françaises).
Depuis avril 2021, Éric Trappier est président de l'UIMM.