Aller au contenu principal
Anton Brender : La crise actuelle a révélé l'incapacité grandissante de nos sociétés à mobiliser l'énergie du capitalisme
Gouvernance et Raison d'être

Anton Brender : La crise actuelle a révélé l'incapacité grandissante de nos sociétés à mobiliser l'énergie du capitalisme

1min
#Gouvernance et Raison d'être Note de lecture

Le chief economist de Candriam Investors Group analyse comment le capitalisme peut devenir plus responsable. Professeur associé honoraire à l’université Paris-Dauphine, Anton Brender a publié Capitalisme et progrès Social aux éditions La Découverte.

« Rien ne sera plus comme avant, le capitalisme va changer... ».

Ces mots, nous les avons entendus, répétés depuis que la pandémie s’est répandue sur la planète... Mais on les avait entendus aussi, il y a à peine une décennie, lors de la dernière crise financière ! Les grandes catastrophes ont cette vertu de remettre en cause l’ordre des choses. Pour un temps au moins. Car assez vite les forces que l’on croyait épuisées retrouvent leur vigueur, et ce que l’on pensait irréversiblement changé reprend son visage d’avant.

En ira-t-il de même cette fois ? Le monde d’après ressemblera-t-il effectivement « au monde d’avant... mais en pire », comme l’a écrit Michel Houellebecq ? Ou bien allons-nous voir cette crise précipiter effectivement un changement qui semblait s’amorcer et le capitalisme devenir plus « responsable » ?

Il y a un an à peine, les dirigeants des plus grandes sociétés américaines avaient surpris, en déclarant s’engager à ne plus avoir le profit pour seul objectif. Quelques mois plus tôt, la loi PACTE avait créé, en France, le statut d’entreprise à mission, qui ouvre à une société la possibilité d’avoir des objectifs autres que la rentabilité financière.

 

Assez vite les forces que l’on croyait épuisées retrouvent leur vigueur et ce que l’on pensait irréversiblement changé reprend son visage d’avant.

 

Depuis longtemps maintenant, la montée des inégalités, l’affaiblissement de la cohésion sociale, la détérioration de l’environnement ont conduit à une prise de conscience : si le capitalisme reste animé par la seule recherche du profit, il aura du mal à redevenir le moteur du progrès social qu’il a été par le passé. Cette évidence aujourd’hui largement acceptée est toutefois lourde d’ambiguïtés.

Si l’on poursuit plusieurs objectifs, il faut, en effet, d’abord pouvoir les définir précisément et dire comment on décide de la pondération qui leur sera accordée. Jusqu’où laissera-t-on baisser la rentabilité d’un site de production pour éviter les dommages sociaux que sa fermeture occasionnerait immanquablement ? Jusqu’où ira-t-on en termes de discrimination positive, si cela détourne certains clients de l’entreprise ? Quelle hausse de prix de revient est-on prêt à accepter pour favoriser un producteur local ?...

On peut bien sûr parier qu’il n’y a pas d’opposition entre les différents objectifs poursuivis, et donc pas d’arbitrages à rendre. Avoir une préoccupation sociale, lutter contre les exclusions, se fournir localement, produire de façon responsable, en un mot, finira par rendre l’entreprise plus efficace et plus résistante aux aléas de la vie des affaires.

Sur le long terme sa rentabilité, loin de baisser, en sera accrue. Mais si tel est bien le cas, rien n’aura changé dans la logique du capitalisme : en s’adaptant à un environnement politique, social et économique en évolution, en répondant à des demandes nouvelles, le capitalisme fera simplement preuve d’une plus grande longueur de vue dans sa recherche du profit !

 

Ce que la crise actuelle a révélé ce ne sont pas les faiblesses du capitalisme mais bien l’incapacité grandissante de nos sociétés à mobiliser son énergie.

 

Penser qu’un capitalisme moins aveuglé par le court terme puisse suffire à remettre nos sociétés sur la voie du progrès social est toutefois illusoire. La volonté du capitalisme d’assumer une responsabilité sociale est bien sûr bienvenue, mais elle est loin encore d’être générale et sa solidité reste à mettre à l’épreuve des faits. Surtout, si le capitalisme a bien été, par le passé, le moteur du progrès social, il n’en a jamais été l’instigateur.

Ce que la crise actuelle a révélé, ce ne sont pas les faiblesses du capitalisme, mais bien l’incapacité grandissante de nos sociétés à mobiliser son énergie. Si bien qu’aujourd’hui, ce moteur tourne largement à vide.

Par le passé en effet, les sociétés occidentales ont connu des avancées sociales parce qu’elles sont parvenues à les imposer au capitalisme, et non parce qu’elles l’ont laissé faire. Elles ont su, par les contraintes qu’elles lui ont imposées, le guider et mettre en place les institutions qui, de l’école à la police, en passant par la banque centrale, ont permis de réguler son activité et de soutenir son développement. Il y a peu de chances qu’il puisse en aller autrement aujourd’hui.

Ce que la pandémie a révélé, ce sont les insuffisances des politiques publiques menées dans nos démocraties. Elle a ainsi mis au jour le peu de lucidité avec lequel nos pays ont accepté la globalisation du capitalisme, sans voir les efforts qu’ils avaient à faire pour s’y adapter et en contrôler l’intensité.

Elle a montré aussi à quel point l’investissement public, au sens le plus large du terme, est essentiel à la bonne marche de l’économie : dans chaque pays, la contraction de l’activité a été d’autant plus forte que le nombre de lits de réanimation était réduit, et que la capacité a gérer localement les mesures de confinement était faible.

Pour que le monde d’avant soit différent du monde d’après – mais en mieux ! – ce n’est pas le capitalisme qui doit changer. Ce sont les lois et les taxes que nous lui imposons, la manière dont nous redistribuons les revenus qu’il génère, les efforts que nous faisons pour moderniser les infrastructures matérielles et surtout sociales sur lesquelles repose son efficacité, mais aussi la cohésion de chacune de nos sociétés.

Sur le même thème