Le PDG de Saint-Gobain explique pourquoi la rénovation énergétique des bâtiments est l’un des secteurs clés de la relance économique. Il souligne que la pandémie l’a convaincu des bienfaits de la décentralisation et plaide pour « un usage modéré de la loi ». Pierre-André de Chalendar constate que la finance et les salariés, et tout particulièrement la jeune génération, sont les deux forces qui « poussent » les entreprises à réduire leur empreinte environnementale.
Le directeur de l’engagement d’entreprise et membre du comité exécutif de BNP Paribas décrypte pourquoi la transition verte est une transformation en profondeur de l’économie. Cette mutation concerne toutes les entreprises. Antoine Sire explique comment BNP Paribas se positionne en moteur de la transition écologique.
SOCIÉTAL.- BNP Paribas a été à l’initiative d’une tribune publiée début mai 2020, signée par plus de 90 dirigeants d’entreprises dans laquelle Jean-Laurent Bonnafé, administrateur directeur général de BNP Paribas, a plaidé pour « que les plans de relance soient un accélérateur d’une relance verte et inclusive [1]». Pourquoi ?
Antoine Sire.- La tribune reflète une conviction personnelle de Jean-Laurent Bonnafé qui est président d’Entreprises pour l’Environnement [2] et, à ce titre, très engagé sur le sujet. En tant que banquier, ingénieur, et connaissant bien les sujets climatiques dans tous leurs aspects techniques et pas seulement économiques, Jean-Laurent Bonnafé a des convictions très fortes. Il intègre dans ses choix les réalités du climat et de ses échéances. Le fait qu’il ait mobilisé 90 dirigeants d’entreprises sur cette tribune a permis de constater que l’engagement est très largement partagé. Ces patrons ont une véritable conscience des enjeux climatiques et la volonté de faire comprendre à quel point le défi du climat est aussi un défi technologique et un défi d’investissement. Très souvent, on oublie que le fait d’orienter les infrastructures, de développer les technologies et donc de faire des choix industriels et d’investissement vont être essentiels dans l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris.
Les vingt-sept pays européens sont tombés d’accord mardi 21 juillet sur un plan de relance à 750 milliards d’euros. Cette décision est-elle historique ? Permettra-t-elle de favoriser une relance verte ?
C’est incontestablement historique. Cela marque le retour d’une Europe cohérente sur la résolution de grands problèmes économiques. Ce qui est important dans cette décision n’est pas uniquement la décision en elle-même mais bien le fait qu’elle signe la volonté des européens de travailler et de prendre ensemble des mesures importantes sur les domaines qui mêlent économie et bien commun. Cette décision emblématique sera sans doute suivie de beaucoup d’autres.
Nous cherchons à nous doter d’outils qui vont nous permettre réellement d’aligner la gestion de notre portefeuille de crédits sur les objectifs de l’Accord de Paris.
Quelles leçons tirez-vous de la crise sanitaire et économique qui a paralysé l’économie mondiale ?
La première leçon que tout le monde tire de cette crise est que lorsqu’un problème collectif existe, personne n’est à l’abri. Les destins individuels sont indissociables du destin collectif de l’humanité. Cette crise sanitaire a conduit à confiner simultanément la moitié des habitants de la planète. Elle a touché les personnes, les familles et les économies de tous les pays du monde. Il y a donc forcément la conviction que les sujets collectifs sont des questions qui concernent tout le monde. Cette vision collective peut se projeter sur d’autres problèmes qui se posent comme, par exemple, celui du climat. À partir du moment où l’on comprend qu’un risque sanitaire est un risque réel et sérieux, il n’y a pas de raison de ne pas imaginer qu’on puisse courir un jour des risques de même nature en raison de l’évolution du climat. La valeur des réponses collectives qui vont être apportées au problème du climat va donc être encore mieux comprise demain.
Le monde de la finance et les banques dont BNP Paribas ontils une responsabilité particulière dans la réussite de la transition écologique ? Les banques sont-elles l’une des grandes forces qui peuvent encourager les entreprises à réduire leur empreinte environnementale ?
La finance a toujours eu un rôle d’accélérateur des transitions. Les banques qui ont donné naissance à BNP Paribas ont été créées – il y a près de 200 ans – pour aider les entreprises à prendre part à la révolution industrielle. Nous avons ensuite participé à toutes les transformations du monde.
Il est essentiel que nous soyons au rendez-vous de la transition écologique qui est maintenant devant nous. Si nous ne le sommes pas, cela voudra dire que nous ne correspondons pas à ce que nos clients attendent d’une grande banque au XXIème siècle. Nous sommes convaincus de la nécessité d’être moteur de cette transformation. La difficulté vient sans doute du fait que la collecte des informations et la création des indicateurs de succès en matière de transition écologique sont assez différentes de celles qui permettaient d’assurer la réussite des transitions précédentes. Cela demande un travail de transformation méthodologique et culturel assez radical.
Alors que de grands groupes du CAC 40 ont annoncé des pertes au premier semestre, BNP Paribas est resté profitable. La crise sanitaire et économique conforte-t-elle votre stratégie ?
BNP Paribas a construit patiemment, au fil des années, un dispositif bancaire qui le rend très proche des entreprises dans toute l’Europe. Elle est devenue, au fil du temps, la première banque des entreprises européennes. Dans un moment où les besoins des entreprises ont été particulièrement importants en matière de crédits et d’émissions obligataires, ce positionnement auprès des entreprises a en effet créé les moyens d’une coopération confiante. BNP Paribas a mobilisé plus de 250 milliards d’euros pour l’économie européenne depuis le début de la crise.
Quels sont les chantiers de transformation de BNP Paribas ?
Jean-Laurent Bonnafé a défini deux objectifs de transformations majeures qui sont la transformation digitale et la transformation à l’aune du développement durable. Cette transformation concerne nos clients « entreprises » mais aussi nos clients particuliers qui doivent être accompagnés.
La transition implique une transformation des outils de pilotages, des indicateurs de succès et de la culture de l’entreprise, avec de nouveaux outils de mesure des impacts à élaborer.
La transformation « verte » est-elle plus complexe à mettre en place que la transformation numérique ? Est-elle votre plus grand challenge ?
Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur systémique de la transformation digitale, mais la transformation du développement durable est d’une nature inédite ! La transformation digitale est ardue en raison de sa complexité industrielle et de ses ramifications dans l’entreprise et dans les usages faits par les clients. La transition écologique et sociale est compliquée parce qu’elle implique une transformation des outils de pilotages, des indicateurs de succès et de la culture de l’entreprise, avec de nouveaux outils de mesure des impacts à élaborer.
Pourquoi est-il difficile d’inventer de nouveaux outils et indicateurs ?
La difficulté tient en grande partie au fait que le sujet est en train d’émerger et tous les outils de pilotage, de mesure et d’information sont en train de se développer depuis quelques années seulement. Il y a les travaux que chacun fait de son côté, les travaux collectifs et les normes que préparent les gouvernements et les organismes internationaux. Le train continue de se construire alors qu’il a déjà démarré !
Comment coopérez-vous avec vos clients – les grands groupes, les PME et les artisans pour qu’ils réussissent leur transformation écologique ? Allez-vous abandonner des clients qui ne s’engagent pas dans la transition verte ?
Si la transformation verte se limitait à exclure des entreprises, il ne s’agirait plus d’une transformation mais d’une sorte d’abandon de poste. Nous exclurions alors toutes les entreprises qui ont un lien avec les énergies fossiles et nous les laisserions entre les mains d’acteurs financiers que la transition écologique n’intéresse pas. Ce n’est pas notre choix.
Notre approche est d’exclure progressivement les acteurs qui ne veulent pas « transitionner » et d’être résolument aux côtés de ceux qui sont engagés dans un processus réel de transition. Cela concerne en premier lieu l’énergie mais aussi à terme tous les autres secteurs économiques.
C’est pour cela qu’aujourd’hui, nous cherchons à nous doter d’outils qui vont nous permettre d’aligner la gestion de l’ensemble de notre portefeuille de crédits sur les objectifs de l’Accord de Paris. Concrètement, nous financerons de plus en plus les acteurs engagés dans la transition et de moins en moins ceux qui ne le sont pas, en tenant bien entendu compte du contexte propre à chaque type d’activité. Nos choix d’allocation de nos crédits, qui intègrent différents critères de nature financière, prendront également en compte cet objectif climatique.
Le groupe a annoncé en mai un renforcement de sa politique de sortie progressive du charbon, en étendant notamment l’arrêt complet de ses financements au secteur à l’ensemble des pays de l’OCDE en 2030. En novembre 2019, le groupe avait annoncé l’arrêt de ses financements au secteur du charbon en 2030 dans l’Union européenne et en 2040 pour le reste du monde. Sur quels critères avez-vous pris cette décision ? Préparez-vous votre sortie dans d’autres secteurs ?
Les politiques de sortie sont un élément du plan plus vaste qui consiste à accompagner progressivement les acteurs qui sont engagés dans une vraie transition écologique. Si on regarde trop rapidement notre politique de sortie du charbon, on a l’impression que nous attendons 2030 pour sortir du charbon.
En réalité, c’est une politique qui consiste à accompagner les compagnies d’électricité qui, lorsqu’elles recourent encore au charbon, s’organisent dès maintenant pour en être sorties totalement en 2030. Et a contrario, nous cessons, dès à présent, de soutenir les compagnies qui ne sont pas engagées vers une sortie totale du charbon d’ici 2030.
Quand nous avons cessé de travailler avec les acteurs spécialisés dans le gaz de schiste en 2017, c’était la même logique consistant à n’accompagner que des acteurs pour qui une transition est envisageable. Lorsqu’un acteur est spécialisé dans le gaz de schiste, il est évident que la transition écologique ne l’intéresse pas. Lorsque le gaz de schiste est un élément d’une stratégie diversifiée, cela peut être compatible avec le fait que l’entreprise en question souhaite s’engager dans cette transition.
Redoutez-vous d’être la cible d’ONG environnementales ? Allez-vous de plus en plus coopérer avec des associations et des ONG ?
Les ONG ont un double agenda. Elles veulent faire progresser les banques et sensibiliser l’opinion pour que tout le monde aille plus loin dans la démarche. D’un côté, nous avons avec elles un dialogue technique qui nous aide dans l’élaboration de nos politiques de transition. D’un autre côté, comme toute grande entreprise industrielle, nous faisons face à la pression globale des ONG qui veulent que le monde s’améliore. Il y a à la fois une coopération très forte sur le plan technique et une dimension de pression comme leur rôle leur suggère de le faire.
Les salariés sont-ils une des forces qui pousse les entreprises à s’engager en faveur de la transition climatique ?
Oui, les salariés sont une force très positive en faveur de l’engagement dans la transition écologique. Eux-mêmes demandent à être très fortement acteurs de cette transition. On le voit avec le succès obtenu dans des programmes comme Green Company for employees, que nous avons développé pour permettre aux collaborateurs de participer au développement durable par des gestes quotidiens. Nous avons, par exemple, supprimé tous les plastiques à usage unique chez BNP Paribas depuis presqu’un an.
Nous observons aussi leur engagement au travers de la formation en ligne au développement durable que nous avons développée et lancée récemment. Cette formation est proposée aux 200 000 collaborateurs de BNP Paribas et rencontre un grand succès.
Cela montre bien l’appétit fort des collaborateurs pour ces sujets. Ils sont force de proposition et de soutien quant à la transformation écologique de l’entreprise.
Lorsque l’on rentre dans la réalité concrète, comme toute transformation, cela oblige à changer les habitudes de chacun. Il est donc important que l’entreprise sache expliquer que les questions environnementales et sociales sont bien les priorités, et qu’elle donne aux collaborateurs les outils et les formations qui permettent de s’y adapter.
Faut-il former un grand nombre de salariés pour réussir la transition écologique ?
L’un des enjeux majeurs est notre capacité à avoir suffisamment de personnes formées aux techniques permettant de réellement trouver des solutions et de transformer les choses sur le terrain.
Le numérique favorise-t-il la transition verte ?
La transition écologique est un sujet qui peut s’appuyer sur des solutions technologiques. Le digital a beaucoup de connexions avec la transition écologique parce qu’il peut être un facteur d’augmentation des consommations mais aussi un facteur de régulation et de recherche de solutions technologiques.
Il est important que l’entreprise sache expliquer que les questions environnementales et sociales sont des priorités et qu’elle donne aux collaborateurs les outils et les formations qui permettent de s’y adapter.
Comment convaincre les consommateurs et les associations qui doutent de la sincérité des engagements en faveur du climat de BNP Paribas comme de ceux de beaucoup d’entreprises ?
Les questions environnementales sont des sujets sur lesquels il existe de nombreux raccourcis et de nombreuses logiques qui se confondent. Nous devons faire un travail de pédagogie pour expliquer ce que nous faisons.
Cela dit, la période de la Covid-19 est une période qui a renforcé la confiance des Français envers les banques. Là où la crise de 2008 avait mis les banques sur la sellette avec un impact sur le moral des troupes, celle de 2020 a été l’occasion de nous engager pour la société et pour nos clients, et de retrouver ainsi une certaine estime de nous-mêmes. Et l’image des banques s’est spectaculairement améliorée entre 2019 et 2020. Les salariés des banques comme leurs dirigeants ont compris que la crise était une épreuve de vérité dans l’opinion.
Depuis le début de la crise sanitaire, la demande de produits d’épargne responsable a fortement augmenté. Les clients intéressés par ces solutions cherchent à comprendre notre stratégie et se rendent compte de nos actions.
Les investisseurs vont-ils être de plus en plus vigilants vis-à-vis de votre stratégie climatique ?
Nous-mêmes en tant qu’investisseurs le sommes de plus en plus. BNP Paribas Asset Management est l’un des deux investisseurs mondiaux qui votent le plus de résolutions climatiques aux assemblées générales des entreprises. Nous nous engageons à être net zéro émission sur notre portefeuille en 2050. Nos propres investisseurs sont dans cette logique. C’est le mouvement vers lequel nous nous engageons.
BlackRock, le numéro un mondial de la gestion d’actifs, a rendu public un document qui recense ses votes lors des assemblées générales des sociétés dont ses fonds sont actionnaires. Les critères retenus tiennent notamment compte de la lutte contre le changement climatique et les pratiques sociétales (ESG). Comment jugez-vous sa démarche ?
Chacun transite à sa manière. Je pense que tout le monde converge vers ce type d’approche. Chez BNP Paribas, nous sommes en train de faire évoluer nos modèles de décision en matière de crédit pour qu’à côté de la notation purement financière, il y ait une évaluation ESG. Notre ambition est d’introduire des critères sociaux et environnementaux précis, homogènes, traités de manière systématique dans tous nos processus de crédit et d’acquisition de nouveaux clients.
La Commission Européenne a choisi les équipes de BlackRock à l’issue d’un appel d’offres pour définir des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les Européens doivent-ils définir des normes extra-financières et ne pas laisser le champ libre aux Anglo-saxons ?
Il est important de faire prévaloir une approche européenne – qui inclut les Britanniques – sur le sujet. Nous y travaillons, par exemple à travers des outils communs pour l’alignement des portefeuilles de crédit des banques sur les objectifs de l’Accord de Paris.
BNP Paribas fait partie d’un groupe de 5 banques européennes – qui inclut Société Générale, l’espagnol BBVA, le néerlandais ING et le britannique Standard Chartered, qui travaillent sur un outil commun appelé Pacta. L’outil a été initié conjointement par ces cinq banques européennes avec l’objectif de faire rentrer à bord d’autres banques – y compris non européennes.
Comment jugez-vous les 150 propositions de la Convention Citoyenne sur le Climat ?
Il est tout à fait légitime d’avoir un dialogue citoyen sur le sujet. La partie la plus intéressante du débat est lorsqu’elle aide à la recherche de solutions techniques car la volonté de faire avancer le climat est très forte chez tout le monde. La question de savoir comment l’on va réussir techniquement est assez compliquée. La Convention Citoyenne pour le Climat a permis de montrer aux citoyens qui en faisaient partie que très souvent les obstacles à faire mieux sont pratiques. Cela les a conduit à auditionner beaucoup d’experts, dont certains du secteur financier.
BNP Paribas a par exemple été auditionné sur les questions liées au crédit immobilier et au rôle qu’il peut jouer pour accélérer l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments.
La transition climatique et écologique est-elle synonyme de décroissance ou de croissance ?
Il est probable que les indicateurs de croissance comme ils ont été pensés dans la première partie du XXème siècle ne sont pas les indicateurs de croissance qui répondent aux enjeux du XXIème. Les problèmes collectifs qui existaient au début du XXème siècle ont abouti à la création d’indicateurs de succès qui ne sont certainement pas les indicateurs de succès dont on a besoin au XXIème. La transformation que nous avons à mener va requérir à la fois des investissements massifs, des évolutions technologiques importantes et des changements profonds de nos comportements.
Plutôt que de parler de croissance ou de décroissance, il faudrait s’interroger sur les nouveaux outils que l’on peut créer pour comprendre si l’on est en train d’aller dans la bonne direction.
La transition écologique et climatique est-elle une nouvelle révolution industrielle, agricole, économique et sociale ?
On est encore sur la lancée de la révolution digitale qui est en cours depuis plusieurs décennies. Petit à petit, la révolution écologique est en train de naître. Cette révolution va appeler des transformations importantes de travail collectif.
De nombreux aspects de la société vont devoir être organisés différemment et des choix industriels différents vont devoir être faits. C’est un ensemble de transformations importantes qui commencent tout juste avec le besoin d’avoir des indicateurs de succès et des instruments de mesure nouveaux. Le profit ne peut plus être le seul indicateur de succès dans l’entreprise.
Assiste-t-on à la montée en puissance d’un nouveau capitalisme dont les chefs de file sont les géants du numérique et les acteurs du numérique ?
Toutes les entreprises ont leur place dans la transformation qui est en train de naître. Plutôt que de parler de nouveau capitalisme ou de capitalisme responsable, il faut plutôt parler d’économie positive. Plus qu’une simple transformation du capitalisme, c’est une vraie transformation de l’économie puisque les entreprises vont devoir intégrer plus de bien commun – notamment de priorités environnementales – dans leur gestion. La transformation concerne l’ensemble de la machine économique, la façon dont fonctionnent les entreprises classiques et les entreprises publiques. Il y a également un rôle important pour l’économie sociale et solidaire. Les entreprises dites capitalistes ne sont donc pas les seules à devoir se transformer.
Plutôt que de parler de croissance ou de décroissance, il faudrait s’interroger sur les nouveaux outils que l’on peut créer pour comprendre si l’on est en train d’aller dans la bonne direction.
Comment lutter contre le réchauffement climatique dans ce monde du chacun pour soi ? Au niveau international ? Au niveau de l’Europe ? D’un pays comme la France ? Ou d’une région comme le propose le Haut Conseil pour le Climat dans son rapport « Redresser le cap, relancer la transition » ?
Tous les niveaux sont nécessaires. La prise de conscience est importante car elle seule garantit que l’on va travailler à tous les niveaux.
Les industriels français plaident pour la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe. Cette mesure complexe verra-t-elle le jour ?
Cette taxe est souhaitable, ne serait-ce que par son rôle dans la formation d’un prix du carbone, mais les obstacles géopolitiques sont nombreux. Si l’Europe y parvient, ce sera une vraie preuve de sa force.
Les entreprises et le système économique capitaliste sont-ils les seuls responsables du réchauffement climatique comme l’affirment les adversaires de la mondialisation et de nombreux écologistes ?
Non, le monde carboné dans lequel nous vivons a été un projet conjoint et partagé par tous. Au XXème siècle, les citoyens ont majoritairement souhaité ce modèle qui était un objectif de progrès. Les États l’ont encouragé, les entreprises l’ont développé, les banques l’ont financé et les consommateurs l’ont acheté.
Les pays occidentaux sont passés de sociétés rurales majoritairement pauvres à des sociétés aux classes moyennes hypertrophiées.
Collectivement, on est parti dans une direction qui semblait la bonne pour la plupart des acteurs. À l’époque où il y avait un monde capitaliste et un monde communiste, le monde communiste prenait l’exacte même direction sur le plan du climat et d’écologie. Il n’y avait pas de différence, la priorité à l’écologie y était même encore moindre.
Nous avons collectivement sous-estimé l’enjeu. L’enjeu écologique était parfois compris mais n’était la priorité de personne, à l’époque.
Quand le climat est-il devenu un véritable enjeu politique et économique ?
Les sujets climatiques étaient dans la conscience vague de tout le monde avant 2015. C’est devenu un sujet d’urgence à partir de 2015.
Cette année-là, il y a eu à la fois la signature de l’Accord de Paris, la compréhension plus grande dans la société des évènements climatiques, l’adoption par l’ONU des Objectifs de Développement Durable, la crise migratoire en Europe. Ces événements ont sans doute conduit à une meilleure prise de conscience de la population.
Mais les écologistes défendent leurs convictions depuis des décennies…
La conscience écologique ne date pas d’hier.
En 1970, aux États-Unis, 20 millions de personnes ont participé à la première célébration du Jour de la Terre, qui est une manifestation pour l’écologie.
Mais il faudra attendre 2015 pour qu’il y ait un vrai signal collectif donné par le monde politique – à la hauteur de ce qui avait été réalisé après les guerres mondiales avec la création d’organisations internationales.
Les responsables politiques ont-ils joué un rôle essentiel ?
Le rôle du politique est essentiel. L’urgence climatique est devenue un enjeu partagé en 2015 parce que les États ont mis le sujet au sommet de l’agenda. La réaction d’une partie des États, des entreprises, des banques ne peut en aucun cas se comparer à ce qu’il se passait avant, notamment en Europe.
Les mutations nécessaires pour atteindre la neutralité carbone accéléreront-elles les disparitions d’entreprises ? Les banques seront-elles touchées ?
Toute mutation génère des créations et des disparitions. Les banques sont comme les autres entreprises. Elles ont dû s’adapter aux transformations à toutes les époques. Aujourd’hui, la transition écologique est un besoin collectif sur lequel les banques seront très fortement jugées et sur lequel elles vont très fortement construire leur avenir. Chez BNP Paribas, nous répondons à cette urgence en étant nous-mêmes neutres en carbone sur notre périmètre opérationnel, et en développant de nouvelles méthodologies pour nous assurer que ce que l’on finance est compatible avec la trajectoire de l’Accord de Paris.
La science et les technologies sont mises en accusation par un nombre grandissant d’associations, de responsables politiques et d’élus. Cette tendance est-elle inquiétante ?
Ce qui nous préoccupe est surtout que l’effort de normalisation indispensable – pour avoir des références, un univers de valeurs sur l’écologie, pour comprendre où en sont nos clients, pour comprendre ce qui est vert et ce qui ne l’est pas, etc. – ne doit pas conduire à stériliser l’innovation. Cela ne doit pas conduire à créer des cases qui vont limiter la capacité des gens à faire de la vraie recherche. Il faut mobiliser et orienter l’innovation sur le progrès écologique pour que l’économie atteigne les objectifs de l’Accord de Paris. Il faut que le progrès écologique ait eu le temps de parcourir la chaîne qui débute dans la recherche scientifique, se poursuit dans l’innovation des entreprises et modifie l’échelle de valeurs du public. Cela demande beaucoup de temps.
La transition écologique est-elle la réponse à toutes les difficultés économiques, sociales, sociétales, politiques de la planète ?
Certainement pas. Je pense que les difficultés écologiques sont liées à la transformation du monde, à la vision qu’avaient nos sociétés du progrès au début du XXème siècle. Cette vision du progrès n’intégrait pas suffisamment la dimension écologique. Je pense que c’est la principale cause de la situation actuelle.
À côté de cela, se greffe un autre problème plus spécifique au capitalisme qui est la nécessité d’éviter que la machine économique n’aggrave les inégalités. On voit bien que s’il n’y a pas d’effort spécifique sur la lutte contre les inégalités, même la lutte pour l’écologie peut aboutir à les creuser. L’écologie en elle-même n’a pas la capacité de résoudre la question des inégalités, il faut les traiter.
La lutte contre le changement climatique risque-t-elle d’affaiblir la démocratie et de favoriser l’émergence d’un populisme vert au nom du bien et de la vertu ?
Une société a toujours une vision du bien et de la vertu. Elle va toujours orienter des interdits et des libertés en fonction de la conception qu’elle en a. En 1950, il y avait des usages et des attitudes qui aujourd’hui sont moins bien tolérés, et inversement certaines choses impératives à l’époque ne le sont plus aujourd’hui. En soi, ce n’est pas le sujet.
Le sujet est que lorsque la société impose des choses, elle doit les imposer de manière raisonnée, dépassionnée et parce qu’il s’agit réellement de mettre en harmonie le fonctionnement de la société et les objectifs que l’on veut atteindre.
Lorsque l’on prend une décision en matière écologique, il faut s’assurer que cette décision est bien conforme aux priorités d’intérêt général et qu’elle n’a pas un agenda caché (plaire ou déplaire à un groupe d’opinion).
Je crois que l’important est d’entretenir le rationnel.
Propos recueillis par Aude de Castet et Margaux Terranova - avec la participation de Yann le Galès.
[1] « Mettons l’environnement au coeur de la reprise économique ». Tribune. Le Monde. 3 mai 2020. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/03/mettons-l-environnement-au-c-ur-de-la-reprise-economique_6038523_3232.html
[2] Créée en 1992, l’Association Française des Entreprises pour l’Environnement, EpE, regroupe une cinquantaine de grandes entreprises françaises et internationales issues de tous les secteurs de l’économie qui veulent mieux prendre en compte l’environnement dans leurs décisions stratégiques et dans leur gestion courante. EpE fournit à ses membres un lieu d’échange entre entreprises et avec les ONG, les ministères, les élus, les scientifiques, les milieux académiques. http://www.epe-asso.org