Le Cérémé (Cercle d’Etude Réalités Ecologiques et Mix Energétique), présidé par Xavier Moreno, cherche les meilleures voies pour atteindre les objectifs climatiques et de neutralité carbone au moindre coût pour les consommateurs et aux moindres nuisances pour l’environnement, tout en préservant l’indépendance énergétique de la France. Dans ce but, il préconise un scénario, distinct de ceux de RTE, reposant sur un retour à 80% de nucléaire dans le mix électrique d’ici 2050, grâce à la construction de 24 EPR 2 et à la prolongation du parc actuel jusqu’à 70 ans.
SOCIÉTAL.- Le Cérémé vient de faire des propositions pour une relance du nucléaire civil plus ambitieuse que les scénarios étudiés par RTE et l’ADEME ou que celui évoqué par Emmanuel Macron lors de son discours de Belfort le 10 février. Quelles sont vos préconisations ?
Xavier Moreno.- Quand on s’efforce de prévoir la consommation d’énergie en France en 2050 et les moyens de production qui permettront d’y répondre, on s’attaque à des sujets très techniques et à des évolutions marquées par de grandes incertitudes. Mais on touche aussi à un bien vital pour un pays et les erreurs sur les choix industriels se payent cher et longtemps. L’exemple que nous donne aujourd’hui l’Allemagne est celui de l’échec criant d’une politique énergétique devenue anti-nucléaire pour des raisons politiques et émotionnelles. Celui d’un pays qui a surinvesti dans des énergies intermittentes - éolien et solaire - et qui a rendu sa sécurité énergétique entièrement dépendantes du charbon et du gaz. Un pays qui veut imposer sa politique à toute l’Europe, mais qui réussit l’exploit de produire l’électricité presque la plus chère et la plus émettrice de CO2 d’Europe et d’être sous la totale dépendance de la Russie pour le gaz.
On aurait pu espérer que cet échec monumental ramène à la raison les leaders politiques français qui, dans le prolongement de l’accord de 2012 entre les socialistes et les écologistes, ont gravement affaibli le secteur électronucléaire français et lancé une politique aussi coûteuse qu’inutile pour le climat, consistant à couvrir la France d’éoliennes et de panneaux solaires. Mais il n’en n’est rien. Certes un petit vent de soutien au nucléaire s’est levé dans l’opinion. Et nous y avons sans doute contribué. Certains leaders ont récemment osé rappeler que disposer d’un grand parc nucléaires est un atout considérable pour la France. Mais vous remarquerez que ces mêmes leaders s’empressent aussitôt d’aller s’agenouiller devant l’autel des énergies renouvelables intermittentes qui sont devenues une vache sacrée à ne critiquer sous aucun prétexte. Dans les milieux dirigeants, il est ainsi de bon ton de dire qu’il ne faut pas opposer le nucléaire et les renouvelables et qu’il faut au contraire les qualifier de «complémentaires ». En réalité rien n’est plus faux. Le vrai complément technique d’une énergie qui n’est produite que quelques heures par jour comme le solaire ou quand le vent se lève comme l’éolien, c’est le gaz qui seul a la souplesse de s’adapter à ces brutales fluctuations. Autrement dit quand on diminue le nucléaire, il faut le remplacer par le gaz ou le charbon, temporairement relayés, selon la météo, par le vent et le soleil. Mais cette vérité technique est taboue car derrière les discours des dirigeants favorables aux renouvelables, il y a des intérêts industriels et financiers considérables et l’obtention d’aides ou de garanties publiques qui sécurisent la rentabilité des investisseurs et se soldent sur la facture fiscale ou énergétique payée par les Français.
C’est pourquoi le Cérémé, qui n’est attaché à aucun intérêt et réunit des experts animés par la seule recherche du bien commun, en toute indépendance, a commandé au Cabinet Roland Berger la modélisation d’un scénario de relance plus ambitieuse du nucléaire et d’arrêt des subventions aux énergies intermittentes. Ce scénario est parfaitement cohérent avec les conclusions de l’étude RTE sur les futurs électriques 2050. Il démontre que si la filière industrielle française réussit à s’organiser d’ici à 2040 pour construire plus rapidement les nouveaux réacteurs dits EPR 2, tout en faisant les investissements nécessaires pour prolonger les centrales actuelles à 70 ans en toute sûreté, les Français gagneront sur tous les tableaux : électricité plus fiable, moins chère, moins dépendante de l’étranger, émettant moins de CO2 et avec moins de nuisances aux paysages et pour les populations.
Quelles en sont les caractéristiques ?
Quand on évoque différents scenarios pour la production d’électricité la tentation de la simplicité pousse à les distinguer en mesurant en cumul sur une année des quantités d’électricité, exprimées en Kilowatts heure ou Térawatts heure, qui ont été produites par les différentes sources d’énergie. Mais il y a une autre donnée qui est essentielle pour la sécurité d’approvisionnement, c’est la puissance électrique, exprimée en Kilowatts ou en Gigawatts, que le système peut envoyer sur le réseau au moment où la demande est la plus forte. C’est une donnée vitale car si la puissance est insuffisante il faut d’urgence couper l’approvisionnement de certains consommateurs pour éviter que l’ensemble du réseau ne disjoncte.
Vous remarquerez que dans les scénarios RTE dans lesquels il y a beaucoup de renouvelables intermittentes, il est prévu trois remèdes à l’intermittence : la flexibilité, c’est à dire demander aux Français de réduire ou de couper leur consommation d’électricité lors des pointes, la construction de nouvelles centrales à gaz, dont on dit qu’elles fonctionneront au gaz vert mais sans vraie validation de cette hypothèse, et l’appel massif à des importations d’électricité venant des pays voisins. Ce que nous disons c’est que miser sur plus de flexibilité, sur un apport complémentaire de centrales à gaz ou d’importations, n’est pas en soi un mauvais choix . Mais tout est dans la proportion. Trop d’exigence de flexibilité c’est supprimer la fiabilité de l’électricité en France qui est un service auquel nos concitoyens sont attachés et c’est cette fiabilité qui demain attirera les industries pour des implantations d’usines sur notre territoire. Trop de centrales fossiles de complément c’est retomber dans les émissions de CO2, une fois épuisées les ressources en gaz vert avec la dépendance au gaz Russe ou venu d’ailleurs. Enfin beaucoup miser sur la disponibilité de surplus d’électricité chez nos voisins, cela reste un pari risqué et aussi un risque économique sur le prix de ces importations.
Telles sont les raisons pour lesquelles notre scénario préconise un développement accéléré du nouveau nucléaire dit EPR 2 et la prolongation du parc actuel pour disposer en 2050 d’une puissance de près de 100 GW en nucléaire. Si l’on y parvient on aura un système de production offrant une bien plus forte sécurité pour les pointes que dans tous les scénarios étudiés par RTE.
Si on entre dans les chiffres, on voit que RTE boucle son scénario avec 50% de nucléaire ( N03) en estimant que sur les 110 à 120 gigawatts de besoin de puissance de pointe après flexibilité, 30 proviendront des importations. Mais, aujourd’hui, il n’y a que 15 gigawatts de puissance qu’on peut importer par les lignes hautes tension qui nous relient à l’Allemagne, à la Suisse, à l’Italie, à l’Espagne où la Belgique. Donc ce scénario exige le doublement des lignes haute tension qui traversent nos frontières. Et il fait surtout le pari - à partir de la modélisation des systèmes électriques futurs de tous les pays européens en 2050 - qu’en période de pointe tous ces pays auront 30 GW de puissance électrique disponibles pour la France.
Pour notre part, nous partons de l’idée qu’un système électrique dans lequel un quart de la puissance nécessaire à la France pour passer les pointes de consommation dépend des disponibilités des pays voisins est une atteinte grave à notre souveraineté énergétique et qu’il faut donc prévoir une puissance de pointe localisée sur notre territoire bien supérieure à celle prévue dans les scénarios RTE.
La seule solution pour y parvenir est de disposer sur notre sol d’une énergie pilotable ne dépendant ni du vent ni du soleil. Il faut rappeler que le stockage de l’électricité dans les proportions qui seraient requises pour compenser l’intermittence et passer les pointes de consommation est totalement impossible aujourd’hui. Un chiffrage d’EDF montrait il y a quelque temps que pour stocker la production d’un réacteur nucléaire pendant un mois, il faudrait un million de conteneurs remplis de batteries.
Concrètement notre scénario est fondé sur deux hypothèses concernant le nucléaire. La première est inspirée de ce qui se passe aux Etats-Unis qui sont plus avancés que nous en matière de durée de vie de leurs réacteurs nucléaires. Ils ont aujourd’hui un parc nucléaire qui fonctionne très bien avec un taux de disponibilité meilleur que le nôtre. Et ils ont décidé de prolonger certaines de leurs centrales jusqu’à 80 ans après avoir démontré à leurs autorités de sûreté qu’on peut le faire techniquement sans dégrader la sécurité. En réalité, dans une centrale nucléaire, c’est pour l’essentiel la résistance de la chaudière qui assure la pérennité de l’installation. Et les Américains ont montré que ces cuves ont conservé des qualités métallurgiques qui leur donnent la capacité de fonctionner jusqu’à 80 ans. En France, nous observerons au fil des années à venir les conditions de vieillissement des cuves, qui sont plus récentes que les américaines. Mais on peut raisonnablement déduire de l’expérience américaine qu’elles ont toutes chances de pouvoir être prolongées en toute sûreté au-delà de soixante-dix ans.
La première hypothèse de notre scénario est qu’EDF pourra prolonger jusqu’à soixante-dix ans le fonctionnement de la plupart des 56 réacteurs en activité. Il faut préciser que lors des travaux de grand carénage, non seulement EDF remplace tous les équipements qui ont pu s’user mais EDF fait aussi les transformations parfois très lourdes permettant de mettre les centrales anciennes aux normes édictées depuis pour les nouvelles centrales . Il y a donc des modifications très substantielles pour que leurs tests de résistance et d’incidents soient aussi sévères que ceux appliqués aux nouvelles centrales. Cela doit rassurer les Français : nos systèmes de validation des prolongations sont conçus pour avoir des réacteurs quasiment remis à neuf et aux normes de sécurité actuelles.
Quelle est la seconde hypothèse de votre scénario ?
Nous faisons l’hypothèse que les nouveaux réacteurs EPR 2 pourront au fur et à mesure de l’expérience industrielle acquise par la filière être produits non pas à la cadence de deux réacteurs tous les deux ans mais à celle de deux réacteurs tous les ans. C’est d’ailleurs une forme d’apprentissage des processus de production classique de n’importe quelle filière industrielle comme il en existe par exemple dans l’automobile. Nous formulons l’hypothèse qu’à partir de 2040, on mettra en service deux réacteurs EPR 2 par an au lieu de deux tous les deux ans. Ce qui amène à vingt-quatre réacteurs nucléaires de deuxième génération en fonctionnement en 2050 au lieu de douze dans le scénario N03 de RTE.
Au total, avec la mise en service de vingt-quatre réacteurs EPR2 d’1,6 gigawatt et la prolongation du parc actuel, on disposerait entre 90 et 100 gigawatts de puissance en 2050, soit pratiquement le double de la puissance du scénario N03.
Nous avons demandé au cabinet Roland Berger d’introduire une troisième hypothèse dans laquelle on arrêterait les nouveaux champs éoliens et où on ne renouvèlerait pas ceux qui existent. Et, pour l’énergie solaire, on retiendrait les hypothèses de RTE d’installations solaires seulement sur les bâtiments ou dans les friches industrielles, terrains de la SNCF, parkings des supermarchés. Ce qui revient à arrêter les champs photovoltaïques construits sur les terres agricoles ou forestières pour éviter l’artificialisation des sols. Nous retenons aussi les politiques favorisant l’autonomie locale avec des systèmes de batteries individuels évitant de faire appel au réseau lors des pointes de consommation.
Le non-renouvellement du parc éolien, voire son arrêt, est-ce bien le scénario que vous privilégiez ou est-ce un scénario parmi les autres ?
Quand Yannick Jadot interpelle le président de la République devant le Parlement européen, et lui demande de remplacer le nucléaire par les renouvelables, notre président s’est fait le meilleur avocat de ce que je viens de vous dire, en expliquant que l’énergie éolienne dépend du vent, qu’elle est intermittente et qu’en absence de vent, si on n’a pas le nucléaire, on doit la remplacer par du charbon ou du gaz. Aujourd’hui, il ajouterait par du …gaz russe ! Chaque fois qu’on ajoute de l’éolien dans la programmation énergétique de la France, on crée un besoin d’une énergie de complément qui va s’adapter aux sautes de vent . Et cette énergie sera la plupart du temps du gaz.
Dans la plupart des pays du monde l’éolien a toute sa place car ces pays ont une électricité produite principalement par des centrales fossiles, à charbon, fuel ou gaz. L’éolien fait donc économiser, quand le vent souffle, des consommations fossiles et des émissions de CO2.
Mais appliquer aveuglément cette politique à la France est une aberration. Notre électricité est déjà décarbonée et pilotable grâce au nucléaire et à l’hydraulique. En conservant une part élevée de nucléaire on renforce les atouts de la France et on évite de détruire ses paysages, sa faune, de nuire à ses habitants, et d’importer des équipements produits à l’étranger. Donc oui, arrêter de donner des garanties financières à l’éolien en France est un acte d’intérêt général.
Englobez-vous dans votre analyse de l’éolien à la fois le terrestre et l’offshore ?
Dans le scénario modélisé par Roland Berger le développement et le renouvellement de l’éolien terrestre et l’éolien offshore sont tous les deux arrêtés. Ils ont en commun de dépendre de l’aléa du vent ; avec tout de même un petit avantage pour l’offshore car il y a plus de vent en mer. Ils ont en commun de n’avoir que 20 ans de durée de vie quand les centrales nucléaires sont conçues pour des durées quatre fois supérieures. Ils ont enfin une caractéristique économique très discutable compte tenu de leur intermittence : ils exigent qu’on leur garantisse un prix d’achat de l’électricité pour 20 ans.
Concernant l’éolien offshore, si des promoteurs privés s’installent très loin de côtes et financent l’investissement sans garantie de prix donnée par les consommateurs ou contribuables, et s’ils payent eux-mêmes le coût de leur raccordement au réseau terrestre, il n’y aurait pas de raison de s’y opposer. Ce serait une diversification des sources d’électricité, financée à leur risque par des investisseurs privés. Et sans nuisance pour les français à condition d’être suffisamment loin des côtes et de prendre en compte l’impact sur la pêche. Mais je n’ai pas compris que les groupes industriels qui ont poussé le Président à annoncer à Belfort un gigantesque développement de l’éolien flottant offshore, aient renoncé à demander des garanties de prix à l’Etat et donc aux consommateurs et contribuables. Il y a des zones comme la mer du nord où les conditions naturelles de vent et de sols marins sont très favorables à l’éolien off shore. Il peut s’y développer sans garanties financières publiques. En France les conditions sont moins propices car le plateau continental est moins vaste. Nos paysages côtiers sont magnifiques et il faut s’en éloigner beaucoup pour ne pas les détruire. Et il y a aussi moins de vent.
Concernant l’éolien terrestre ses nuisances pour les paysages et pour les riverains sont parfois dramatiques. Pour une énergie inutile pour atteindre nos objectifs climatiques qui déstabilise les réseaux et exige d’être complétée par du gaz, le bilan des avantages et inconvénients est fortement négatif. Surtout si l’on y ajoute les coûts des garanties de prix. Et si l’on tient compte des nuisances pour la biodiversité. C’est aussi une source d’injustices entre les quelques agriculteurs et propriétaires fonciers qui touchent la rente de l’éolien, les quelques communes qui font de même, et tous les autres riverains et habitants des communes voisines qui en subissent les conséquences négatives, y compris la perte de valeur de leur foncier.
L’éolien est donc une très bonne solution dans des pays, comme les Etats-Unis, l’Allemagne et la Pologne, grands utilisateurs de gaz, car lorsque l’éolien fonctionne et fabrique de l’électricité, on réduit les émissions de CO2. Mais s’il y a bien un pays au monde où il est inutile de recourir à l’éolien, c’est la France qui dispose déjà d’une électricité décarbonée à 92% si l’on cumule le nucléaire, l’hydraulique, le biogaz, etc.
Les promoteurs d’un mix énergétique et bien sûr les contempteurs du nucléaire avancent qu’il y a peu de documentation sur le coût exact d’entretien des centrales et sur les déchets nucléaires…
Nous avons cofinancé en participant à un crowdfunding deux films, Eoliennes : du rêve aux réalités, et , Nucléaire : une énergie qui dérange. Ces deux films, disponibles sur YouTube, abordent en détail ces sujets des coûts et des déchets.
Concernant les coûts, on connaît les coûts de maintenance du parc nucléaire français. Sont également intégrés dans les provisions des montants pour le démantèlement. EDF et Orano ont une expérience réelle et donc fiable de ce que coûte un démantèlement. Ensuite, il y a le problème de l’EPR de Flamanville ou de Finlande. En réalité, cet EPR est un modèle de réacteur conçu principalement par les allemands, imposé à EDF suite à accord politique conclu avant le renoncement des Allemands au nucléaire. Cet EPR a eu une maladie « génétique » résultant de deux facteurs : il a souffert d’une part, du cumul de toutes les exigences de l’approche allemande -conception des systèmes, sécurité, etc. - et de l’approche française de l’ASN, c’est donc un réacteur d’une grande complexité pour lequel ces deux ingénieries ont rajouté leurs contraintes et, d’autre part, l’EPR a été commercialisé par Areva qui n’avait aucune expérience de management de si grands projets et qui n’avait jamais poussé l’analyse jusqu’au niveau des plans détaillés au moment de signer la vente à prix ferme « clés en main » à la Finlande notamment. EDF a dû prendre le train en marche et s’est lancée à Flamanville avec les mêmes incertitudes. Il n’est pas surprenant qu’on soit passé dans de telles conditions de 3 milliards d’euros de budget à 12 milliards d’euros, voire à 14 milliards. La question pour l’avenir est celle du coût des EPR 2, dont on vient de lancer la commandes pour 6 réacteurs. Leur conception a été reprise à zéro par EDF pour tirer les leçons de Flamanville et de la Finlande. Et EDF a appliqué dans l’EPR 2 les recettes de son expérience d’exploitant depuis quarante ans. Donc a priori le chiffrage des coûts de l’EPR 2 est d’une fiabilité bien supérieure à celui des EPR.
Roland Berger a pris les coûts chiffrés par EDF puis les a rapportés à la puissance électrique installées. Ils évaluent ainsi à 7 milliards le coût de construction par réacteur. Si ce coût devait déraper de 20 à 30 % ramené au coût du Kilowatt heure produit sur la durée de vie prévue de 80 ans, l’impact serait faible. À noter que lorsque l’on fait à la hâte des comparaisons entre le coût du nouveau nucléaire et le coût de l’éolien on néglige souvent l’écart de durée de vie sachant que l’éolien dure quatre fois moins longtemps.
Mais quid du problème des déchets ?
Le nucléaire pose un problème de traitement de ses déchets comme pour toute industrie. Mais les anti nucléaires ont développé une présentation apocalyptique du sujet des déchets nucléaires alors qu’on devrait citer en exemple la filière de traitement de ces déchets. Elle fonctionne depuis des dizaines d’années et n’a jamais subi de défaut en France. Tandis que dans les pays qui abandonnent le nucléaire, on génère, comme le montre l’exemple allemand, une augmentation des émissions de CO2 et des particules venant du charbon qui sont des déchets énergétiques qui font des milliers de morts tous les jours. Il y a donc un fantasme sur les déchets nucléaires qui échappe à toute rationalité. Avec les livres de Fabien Bouglé (Nucléaire, les vérités cachées) ou les documents de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), on comprend comment ces déchets sont gérés depuis deux ou trois décennies. On sait aussi comment enfouir à terme dans de parfaites conditions de sécurité les déchets à longue vie de radioactivité.
Et s’il faut investir massivement dans le nucléaire c’est aussi parce que le savoir-faire accumulé et la recherche permettront un jour de concevoir et construire des réacteurs sans déchets radioactifs. D’abord avec ceux qu’on appelle à neutrons rapides, qui permettront de recycler une partie des déchets actuels. Et à long terme avec la fusion nucléaire sans émission de radioactivité. Un jour ou l’autre, ces chaudières « perpétuelles » élimineront en grande partie le problème des déchets.
En résumé, notre scénario vise à dire au public français : attention au miroir aux alouettes des énergies renouvelables intermittentes, le nucléaire a des défauts, ses dérapages de coût et l’importance des mesures de sécurité à prendre, mais investissons massivement dans le nucléaire non seulement parce que d’ici à 2050, cela nous procurera l’indépendance énergétique que l’on souhaite, mais aussi parce qu’à long terme on aura préparé la France pour être à la pointe des innovations pour de nouvelles formes d’énergie nucléaire, sans déchets, productives, et grâce auxquels on aura un avantage différentiel au niveau mondial.
Pensez-vous que l’opinion publique française puisse se réconcilier massivement avec le nucléaire comme au début de la Vème République ? Les polémiques s’arrêteront-elles sur la localisation des futurs réacteurs ?
C’est toute la question de l’acceptabilité du nucléaire. Il existe une hypothèse majeure selon laquelle les nouveaux réacteurs seront installés sur les sites des anciens réacteurs dans lesquels EDF dispose de réserves foncières. Notre scénario ne prévoit pas de création ex nihilo de nouveaux sites nucléaires. Mis à part les inévitables problèmes techniques, en remplaçant un réacteur ancien par un réacteur nouveau de puissance double on peut théoriquement disposer d’une puissance nettement supérieure sans avoir besoin de site nouveau. Toutefois l’ouverture de quelques sites serait d’une nuisance très inférieure à la construction, pour une même puissance, de parcs éoliens et des centrales à gaz qui les complèteraient.
Quant à l’opinion, elle est diverse et évolutive. Ecoutez par exemple Brice Lalonde dans notre film. On le revoit il y a quarante ans en train de manifester contre le nucléaire et il reconnaît avoir utilisé à l’époque le nucléaire pour fédérer l’écologie parce que cela permettait de mobiliser la population. Mais entre-temps est apparu un risque beaucoup plus important que le risque nucléaire, le risque climatique. Et donc aujourd’hui le risque climatique a en quelque sorte déclassé le risque nucléaire puisque le nucléaire, comme le dit le GIEC lui-même, est la meilleure réponse au risque climatique. Donc, petit à petit, ce qui bouge dans l’opinion, à l’image des écologistes réalistes ou modernistes, c’est le constat que les émissions de CO2 ne diminuent pas et que seul le nucléaire peut avoir un impact sur ces émissions. Comme le constate le GIEC c’est la seule énergie suffisamment concentrée et pilotable pour avoir un impact très significatif sur le CO2. C’est pourquoi il y a des programmes de relance massifs de nucléaire notamment en Chine, un des grands émetteurs de CO2. Et des pays comme la Pologne et la Hongrie, très dépendants du charbon, se prononcent aujourd’hui pour le nucléaire.
Ce nouveau courant est en train de faire basculer l’opinion. Prenez cette députée écologiste danoise qui avec fracas a démissionné pour devenir pronucléaire parce que le Danemark, champion de l’éolien, à travers son producteur industriel Vestas, dépend des centrales nucléaires suédoises, de l’hydroélectricité norvégienne, voire, pire, des centrales allemandes à charbon quand il n’y a pas de vent. Beaucoup d’écologistes basculent. Une autre figure comme Antoine Waechter a lui-même pris parti très clairement pour le nucléaire.
Mais les récents combats autour de Tchernobyl dans la guerre en Ukraine ont montré une hyper sensibilité de l’opinion et ranimé des inquiétudes…
Ce thème a été repris notamment par le candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon avec le brio qu’on lui connaît. On pourrait pourtant lui répondre que les nouvelles centrales avec leur dôme de béton et d’acier pourraient résister sans lâcher quelque radioactivité que ce soit si un Boeing 747 s’écrasait sur celui-ci. On joue sur les peurs et ça marche à court terme . Puis les gens réfléchissent. Toute un littérature, avec notamment les contributions de Jean de Kervasdoué, s’est développée sur le niveau de toxicité réelle de la radioactivité par rapport à la radioactivité naturelle. On dit que les normes que l’on applique aujourd’hui sont extraordinairement basses et ne sont pas documentées par les études épidémiologiques. Et puis il y a le fameux chiffre de morts de Fukushima, 18 000 morts, mais une seule personne morte du nucléaire à Fukushima et pas de la radioactivité !
Vous pensez donc que le combat pour le nucléaire est en train d’être gagné dans le contexte post-Ukraine…
La signature de notre think tank c’est l’énergie de la raison. Sur la question de savoir quand et comment les émotions vont être remplacées petit à petit par la raison, il faut évidemment rester prudent.
Mais il y a un nouvel élément qui peut toucher l’opinion des français. Un consensus se dessine pour penser que la paix sociale, la croissance économique, le pouvoir d’achat, nécessitent une plus forte proportion d’emplois qualifiés que l’on n’obtiendra que par la réindustrialisation de la France. Quand on parle de réindustrialisation, on évoque les batteries, les semi-conducteurs, un plan hydrogène. Mais quand on regarde concrètement quel est le levier principal que dont dispose le gouvernement pour la réindustrialisation, on constate que c’est essentiellement la filière nucléaire. Cette filière constitue une mine d’emplois qualifiés, depuis le déconditionnement des anciennes centrales jusqu’au traitement des déchets en passant par la production. Elle emploie des ingénieurs, des techniciens, des gens bien payés qui travaillent dans des conditions passionnantes sur le plan technique. Elle a aussi un impact sur des emplois indirects, c’est-à-dire de sous-traitants dans d’innombrables PME. Sans oublier la partie de BTP inhérente à la construction qui sollicite les champions mondiaux français du secteur comme BOUYGUES, SPIE ou VINCI.
Enfin il y a un effet macro-économique : si on dispose d’une énergie moins chère en France, c’est de la pression en moins sur le pouvoir d’achat, c’est une transition écologique qui coûte moins cher au consommateur français que celle qui se base sur des taxes carbones et autres alignements sur les prix du gaz. En outre, c’est un secteur à valeur ajoutée, localisé en France, et donc qui est très peu importateur. Dernier point, récemment Intel ou Tesla ont choisi l’Allemagne pour implanter leurs gigantesques usines européennes. Si le prix du carbone est désormais géré dans l’optique climatique et de transition écologique, je pense que d’ici dix à quinze ans, la compétitivité d’un pays ne sera pas seulement liée à son environnement industriel, mais à la possibilité d’avoir une électricité décarbonée, abondante, stable en termes de fréquence et à des prix abordables. Autrement dit il y a un effet indirect du nucléaire qui est de favoriser l’industrialisation de la France de demain. Je pense que n’importe quel gouvernement qui cherche à industrialiser et à créer des emplois spécialisés ne peut être que pronucléaire.
Que pensez-vous de l’initiative de Bernard Accoyer et de son association Patrimoine nucléaire et Climat (PNC)-France ?
Nos relations sont très amicales. Il a pris le sujet sous l’angle politique et à très haut niveau. Il fait avancer la cause. Il a souligné dans son livre tout récent l’infiltration des antinucléaires au sein du ministère français de l’environnement, voire l’infiltration des intérêts allemands qui sont contre le nucléaire français, au sein de notre administration via l’OFATE. Il a montré que nombre d’anciens de l’Ademe ou du ministère de l’environnement sont recrutés par les lobbys de l’énergie éolienne ou des énergies renouvelables. Bernard Accoyer est un lanceur d’alerte qu’il conviendrait de mieux écouter.
Où souhaiteriez-vous voir rattaché le secteur de l’énergie dans l’architecture d’un gouvernement ? Est-ce qu’une politique européenne de l’énergie conserve du sens pour vous ?
Première question, oui, il faut regrouper l’énergie avec l’industrie et l’économie. L’énergie, c’est un des atouts de la France pour corriger ses déficits commerciaux, voire ses déficits publics.
Deuxième question, c’est parce qu’il y a des divergences fortes avec l’Allemagne qu’il faut plus d’Europe dans l’énergie. Il ne faut pas laisser l’Europe devenir une Europe allemande. Il y a eu un combat sur la taxonomie qui n’a pas tout-à-fait été mené jusqu’au bout. En fait sous une apparente concession de la Commission européenne, celle-ci a renié en fait la philosophie de la taxonomie puisqu’elle a placé le nucléaire dans la catégorie transition. Et elle a inventé sans base légale une nouvelle classification qui discrimine le nucléaire parmi les énergies durables puisqu’elle elle a contraint toute obligation verte qui financerait en partie de l’énergie nucléaire à le préciser dans son prospectus. De sorte que sur les marchés financiers, au lieu d’avoir un critère unique fondé sur la taxonomie pour créditer des financements du label vert, il y aura en réalité deux catégories : le label vert sans nucléaire et le label vert avec nucléaire.
Mais alors quid d’une politique européenne énergétique dans ces conditions ?
Il faut continuer à discuter sur les tarifs de l’électricité. La raison finira par l’emporter. Le mouvement de la Belgique sur le nucléaire annonce peut être un jour un mouvement semblable en Allemagne ? Les industriels allemands espèrent probablement trouver des procédés physiques et chimiques qui permettaient de capturer le CO2 dans les cheminées des centrales à gaz pour en faire une sorte de carburant synthétique. Il y aura peut-être des percées dans ce domaine mais s’ils ne trouvent rien, ils seront obligés relancer le nucléaire un jour ou l’autre. Car il n’y a aucune solution viable économiquement aujourd’hui fondée sur l’éolien et le stockage qui permette de réduire le CO2. Les Allemands continuent de miser sur le gaz. Comme ils voient la France disposer d’un avantage majeur par le nucléaire, il n’est pas surprenant qu’ils cherchent par tous les moyens d’influence dont ils disposent de semer des obstacles contre le nucléaire français pour nous priver de cet avantage compétitif.
Pourrait-on assister à des progrès de la recherche pour que la filière se dote de moyens de stockage ?
Si on arrivait à stocker l’électricité, on se donnerait des souplesses considérables. Il y a certainement des recherches à poursuivre. Elles sont d’ailleurs intenses, hier sur de nouvelles formes de batteries avec Vincent Bolloré, aujourd’hui avec Stellantis sur un énorme projet dans l’automobile. Il faut investir dans le stockage de l’électricité. Mais malheureusement force est de constater que l’on n’a aucun système en vue dont la capacité serait « commensurable » avec le besoin qui correspond au lissage des énergies renouvelables intermittentes.
Un mot de conclusion ?
Je pense que l’énergie est un sujet fondamental pour l’économie aujourd’hui, que c’est un sujet parcouru par des messages qui ne correspondent pas à des analyses raisonnables, soit par ignorance, soit par propagande politique soit par la défense d’intérêts sectoriels de certaines industries, ce qui est très grave pour la démocratie. J‘espère que la raison, grâce aux crises actuelles, permettra de poser les bonnes questions, de débattre sur des bases objectives et de mobiliser l’opinion et surtout les gouvernements vers des politiques raisonnables et non dictées par certains intérêts ou la recherche des suffrages de certains courants politiques très minoritaires.
Vous prévoyez d’autres étapes dans votre communication après les élections ?
Accompagner tous les débats qui président aux choix énergétiques s’apparente à un marathon puisqu’ils se passent en partie à Bruxelles qui nous renvoie à de nouvelles programmations pluriannuelles et au ministère de la transition écologique, qui veut refondre les documents qu’on appelle la Programmation pluriannuelle des énergies et la stratégie nationale bas carbone. Et à chaque fois qu’on a franchi une étape permettant de progresser, on doit souvent repartir à zéro sous l’influence des éléments antinucléaires qui sont toujours en place.
La bataille est loin d’être gagnée. Notre stratégie consiste simplement à essayer de nous démultiplier pour participer à toutes ces instances dans lesquelles les plus nombreux, les plus vocaux, sont les courants antinucléaires. Ces derniers se nourrissent en général de subventions publiques alors qu’au Cérémé, nous ne pouvons compter que sur des contributions de nos membres, personnes physiques . Donc il y a un décalage énorme entre les moyens financiers à la disposition des campagnes pro-énergies renouvelables et les moyens modestes avec lesquels un think tank comme le nôtre essaye de ramener à la raison et à une communication plus équilibrée de la part des institutions ou entreprises publiques .
Diplômé de l’École polytechnique et Sciences Po Paris et ancien élève de l’ENA, Xavier Moreno a commencé sa carrière au ministère des finances. Après plusieurs années chez Sanofi, en tant que responsable de la division Agro-Vet et membre du comité exécutif, il rejoint Suez en tant que vice-président directeur, puis co-fonde la société d’investissement Astorg en 1998.