La crise actuelle devrait influer fortement sur la compétitivité des pays en diminuant la productivité, en augmentant les coûts et en perturbant la formation – facteurs auxquels s’ajoute l’interventionnisme étatique via les plans de sauvetage et de relance, dont l’impact demeure encore difficilement mesurable. Alors que les institutions internationales s’inquiètent de divergences croissantes dans les trajectoires de compétitivité de certains « couples » économiques (France-Allemagne, USA-Chine, etc.), le Forum Économique Mondial propose des recettes pour pallier ce problème en sortie de crise.
L'institut COE-Rexecode vient de publier une étude sur l’évolution de la compétitivité française, affirmant que « la situation s’y est davantage dégradée que dans les principaux pays voisins ». Le déficit de la balance commerciale s’est creusé de plus de 7 milliards d’euros (pour atteindre 65 milliards d’euros) et le flux des exportations s’est contracté plus fortement dans l’Hexagone (-19,3%) que dans l’ensemble des pays de la zone euro (-13,2%). Au total, la part de l'Hexagone dans les exportations de la zone euro est passée de 13,9% en 2019 à 12,7% en 2020, et le poids en valeur des exportations françaises dans le commerce mondial est passé de 3,1% en 2019 à 2,8% en 2020 - son plus bas niveau historique.
Les cartes de la compétitivité rebattues dans la crise
À l’échelle européenne, cette baisse française est « atypique », selon l’Institut : « l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie affichent pour leur part une relative stabilité, avec des baisses d’exportations moins marquées » (-0,8 point en Espagne et -0,4 point en Italie) et même +0,5 en Allemagne, qui a profité du redémarrage économique de la Chine en 2020. En cela, explique une note du CEPII, « la crise est révélatrice de la disjonction croissante entre la France et l’Allemagne, et devrait renforcer le déséquilibre du couple européen ». Le déséquilibre entre la Chine et les États-Unis s’est également accentué dans la crise : le déficit commercial américain « s'est creusé de 17,7% en 2020 pour dépasser 678 milliards de dollars », rapporte Reuters ; dans le même temps, la Chine, qui affiche un excédent commercial total de 535 milliards de dollars, a vu son excédent vis-à-vis des États-Unis augmenter de +7,1% en 2020 – pour atteindre 317 milliards.
La Chine a vu son excédent commercial vis-à-vis des Etats-Unis augmenter de +7,1% en 2020.
Reuters
Il demeure trop tôt pour analyser en détail les causes de ces variations : COE-Rexecode précise d’ailleurs que le fort recul français demeure encore « largement inexplicable », et ne réside pas dans le coût du travail ou la forte présence de secteurs particulièrement affectés, comme l’aéronautique. Un récent rapport de France Stratégie tente cependant de répertorier les multiples types d’impacts que la crise a pu avoir sur la compétitivité. Elle a d’abord entraîné une baisse importante – mais très hétérogène entre les pays et les secteurs – de la productivité, liée à une « sous-utilisation de la main d’œuvre » (sureffectif par rapport au carnet de commandes, distanciation sociale, etc.), mais également par « l’apparition de nouveaux coûts pour lutter contre l’épidémie » (nouvelles procédures, produits d’hygiène, etc.) et des coûts unitaires plus élevés du fait de la réduction de la capacité de production (par exemple la réduction du nombre de tables servies dans un restaurant). À plus long terme, la crise actuelle pourrait également avoir un impact sur le capital humain, lié notamment à l’interruption plus ou moins longue en fonction des pays de l’enseignement fondamental, professionnel et supérieur. Si cet impact est naturellement difficile à anticiper, une étude du National Bureau of Economic Research américain a montré que, lors de la pandémie de polio de 1916 – qui a entraîné une fermeture comparable des écoles – la cohorte des élèves de 14 à 17 ans accusait, vingt ans plus tard, un niveau d’études nettement inférieur à la cohorte précédente. Outre les questions de productivité, la crise a également détérioré les comptes publics et engendré un fort interventionnisme des États « qui auront des conséquences majeures sur les trajectoires de compétitivité », rapporte France Stratégie. Si les aides n’ont « pas été conçues pour renforcer la compétitivité de certains secteurs », explique une étude du Parlement européen, « un certain nombre d’Etats en ont toutefois tiré parti pour favoriser leurs grands groupes nationaux [...] ou ont injecté des montants dans certains secteurs supérieurs aux dommages subis » - ce qui, « ajouté aux très importants écarts de montants injectés », devrait changer le paysage concurrentiel.
Des déséquilibres préjudiciables à tous
Les risques pesant sur la compétitivité des pays et « les déséquilibres excessifs qui pourraient persister ou s’aggraver en sortie de crise sont en définitive préjudiciables à tous et doivent être diminués », martèle le FMI. Pour l’Europe, un nombre croissant d’observateurs invite à ne pas tenter de résorber l’hétérogénéité des niveaux de désindustrialisation et de balances commerciales en continuant à baisser le coût du travail en France, mais plutôt en tentant d’harmoniser les politiques de demande. C’est notamment le parti pris d’une analyse des économistes au CEPII Thomas Grjebine et François Geerolf, qui exhortent les pays en surplus commercial, et notamment l’Allemagne, à « accepter de relancer leur demande de façon pérenne par exemple en baissant la TVA et en augmentant les dépenses sociales ». Aux États-Unis la question centrale agitant les observateurs est le devenir des droits de douane, alors que « la nouvelle administration Biden s’est lancée dans une mission d’évaluation qui pourrait prendre des mois », rapporte le Wall Street Journal. Pour l’heure, aucun infléchissement ne semble entériné, et il est même prévu qu’un nouveau lot de mesures protectionnistes issues de l’ère Trump et visant « à lutter contre les menaces technologiques chinoises » entre en vigueur le mois prochain.
L’effort de R&D stagne autour de 2,2% du PIB en France, contre plus de 3% en Allemagne.
Frédéric Cherbonnier
Plus généralement, à l’échelle mondiale, le Forum Economique Mondial (WEF) identifie dans son Global Competitiveness Report de 2020 quatre grands axes de développement de la compétitivité applicables à tous les pays. D’abord une meilleure intégration du numérique au sein des entreprises et des ménages ainsi qu’une digitalisation des services publics. Ensuite, pour préserver la compétitivité-prix et limiter l’impact des plans de relance sur les finances publiques, le WEF préconise également des réformes fiscales visant à rendre l’impôt plus progressif, et incite à lancer de grands chantiers d’harmonisation des régimes de taxation à l’échelle internationale. Autre levier clef de compétitivité : l’investissement dans l’amélioration des compétences et leur adéquation avec le marché du travail, assorti d’un effort pour déployer de « nouvelles technologies et indicateurs permettant de mieux anticiper les besoins de demain ». Enfin, l’institution de Davos invite à davantage investir dans la R&D, qu’elle soit publique ou privée, notamment en récompensant les efforts de recherche de long terme. C’est là un enjeu-clef, qui explique même « en grande partie » la divergence entre les trajectoires de la France et de l’Allemagne, selon l’économiste Frédéric Cherbonnier : de fait, alors que « l’effort de recherche et développement stagne en France autour de 2,2% du produit intérieur brut, il dépasse désormais 3% en Allemagne ».
Liens des articles :
« Les indicateurs de compétitivité de la France reculent nettement en 2020 », COE Rexecode : http://www.rexecode.fr/public/Indicateurs-et-Graphiques/Competitivite-l-observatoire/Enquete-qualite-prix-aupres-des-importateurs-europeens/Enquete-competitivite-2020-Amelioration-globale-pour-la-pharmacie-hygiene-beaute-deterioration-pour-les-produits-agro-alimentaires-francais/Enquete-Competitivite-2020-classement-des-10-principaux-exportateurs-mondiaux-de-biens-de-consommation
« Les effets de la crise Covid-19 sur la productivité et la compétitivité », France Stratégie : https://www.strategie.gouv.fr/publications/effets-de-crise-covid-19-productivite-competitivite
Anne-Sophie Bellaiche, « Le Covid est aussi un choc de productivité pour les entreprises », L’Usine nouvelle : https://www.usinenouvelle.com/article/le-covid-est-aussi-un-choc-de-productivite-pour-les-entreprises.N1046489
Keith Meyers & Melissa A. Thomasson, « Paralyzed by Panic: Measuring the Effect of School Closures during the 1916 Polio Pandemic on Educational Attainment », National Bureau of Economic Research : https://www.nber.org/papers/w23890
Jan van Hove, « Impact of state aid on competition and competitiveness during the COVID-19 pandemic: an early assessment », Parlement Européen : https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2020/658214/IPOL_STU(2020)658214_EN.pdf
Frédéric Cherbonnier, « Recherche française : les raisons d'un échec », Les Échos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-recherche-francaise-les-raisons-dun-echec-1285083
Peggy Hollinger, « EU industrial strategy needs to be measured to succeed », The Financial Times : https://www.ft.com/content/4990d9e4-9135-4084-a838-4e49affbfe1d
« Global Competitiveness Report Special Edition 2020: How Countries are Performing on the Road to Recovery », World Economic Forum : https://www.weforum.org/reports/the-global-competitiveness-report-2020
« Le Forum économique mondial plaide en faveur d'économies « plus productives, durables et inclusives »», La Tribune : https://www.latribune.fr/economie/international/le-forum-economique-mondial-plaide-en-faveur-d-economies-plus-productives-durables-et-inclusives-867026.html
Martin Kaufman et Daniel Leigh, « Déséquilibres de l’économie mondiale et crise de la Covid-19 », FMI : https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/08/04/blog-global-rebalancing-and-the-covid19-crisis
Pauline Gleize, « Chine: excédent commercial en hausse », RFI : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/aujourd-hui-l-économie/20210118-chine-excédent-commercial-en-hausse
Eric Le Boucher, « En revenir vite à la politique de l'offre », Les Échos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/en-revenir-vite-a-la-politique-de-loffre-1275150
« L'OCDE revoit à la hausse ses prévisions de croissance pour 2021 et 2022 », Reuters : https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/l-ocde-revoit-a-la-hausse-ses-previsions-de-croissance-pour-2021-et-2022-1952623.php
Guillaume de Calignon, « L'inquiétante dégradation de la compétitivité française », Les Échos : https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/linquietante-degradation-de-la-competitivite-francaise-1295088
« États-Unis : le déficit commercial a bondi de 17,7% sur l'ensemble de l'année 2020 », Le Figaro : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/etats-unis-le-deficit-commercial-a-bondi-de-17-7-sur-l-ensemble-de-l-annee-2020-20210205
Mengqi Sun, « Biden Administration’s Review of Sanctions Programs Could Take Months, White House Official Says », The Wall Street Journal : https://www.wsj.com/articles/biden-administrations-review-of-sanctions-programs-could-take-months-white-house-official-says-11614732627
Thomas Grjebine et François Geerolf, « Rééquilibrage de la zone euro : plus facile avec le bon diagnostic ! », Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) : http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=12768