Aller au contenu principal
Confiance & dette globale

Valérie Rabault : Il faut retrouver une dynamique de création de valeur autour d'une renforcement de nos capacités scientifiques et techniques !

4min
#Confiance & dette globale Débats

Pour la députée de la 1ère circonscription du Tarn-et-Garonne, présidente du groupe Socialistes et apparentés à l'Assemblée nationale « ll faut revoir les mécanismes incitatifs existants de fléchage de l’épargne des Français ». Par ailleurs, Valérie Rabault plaide pour une stratégie de désendettement par la création de valeur ajoutée autour de deux enjeux majeurs : la transition écologique et la réindustrialisation de la France.

SOCIÉTAL.- Que recouvre, selon vous, la notion de « dette globale » ?  

Valérie Rabault.- J’imagine que vous faites référence au montant total de dette, c’est-à-dire la dette publique mais aussi la dette privée portée par les ménages et les entreprises. Le débat a tendance à se concentrer sur la seule dette publique, alors qu’une approche globale me semble plus juste. Ainsi, la dette totale française – ou dette globale pour reprendre votre terminologie – , calculée en cumulant celle de la sphère publique (État, collectivités locales et sécurité sociale), des ménages et des entreprises non financières s’approche désormais de 280% du PIB de notre pays (au deuxième trimestre 2021, la dette publique atteignait 114,9% du PIB, celle des ménages 66,5% du PIB et celle des entreprises non financières 82,8% du PIB). À l’aune de ces ordres de grandeur, on comprend donc bien que considérer que la seule dette publique, est très réducteur.

Si on compare notre dette globale à celle de nos voisins européens, on constate que son niveau est plus élevé, et ce bien avant la crise du Covid. Ainsi, à fin 2019, la dette cumulée de la France s’établissait à 250% de son PIB contre par exemple 165% pour l’Allemagne ou encore 217% pour l’Union européenne.  

Quel est votre diagnostic sur le niveau actuel de la dette publique ?  

La dette ne peut s’appréhender que de manière dynamique, c’est-à-dire au regard de la capacité des acteurs à créer de la valeur ajoutée. Un pays qui créé de la valeur ajoutée peut affronter un niveau de dette élevé sans se fragiliser, ce que ne peut pas un pays qui ne créé que peu de valeur ajoutée.

La France a certes un niveau de dette publique supérieur à celui de la plupart de ses partenaires européens, mais ce ne serait pas un problème si elle avait un niveau de croissance potentielle suffisant, c’est-à-dire une perspective à moyen et long terme suffisante en matière de création de valeur. Or ce n’est pas le cas, et c’est bien là que réside notre problème principal. Dans ses dernières évaluations, la Commission européenne a montré que depuis 2017, la France a un niveau de croissance potentielle inférieur à la moyenne de la zone euro.

Donc pour répondre clairement à votre question, c’est principalement notre faible niveau de croissance potentielle qui rend notre niveau actuel de dette publique problématique.  

Stratégie de désendettement à court et à moyen terme : Quel est selon vous la bonne approche d’une stratégie de désendettement de notre pays ? 

Le débat public actuel est polarisé autour de 2 propositions : la première consiste à annuler la dette – c’est ce que propose l’extrême gauche - et la seconde à faire la réforme des retraites pour baisser la dépense publique – c’est ce que propose la droite-. Je ne souscris à aucune de ces 2 propositions. Quand on annule une dette, il y a toujours quelqu’un qui « doit prendre sa perte » : soit les prêteurs privés qui, échaudés, refuseront d’octroyer de nouveaux prêts, nécessaires pour refinancer les prêts existants et financer la nouvelle dette liée au Covid, soit la Banque Centrale Européenne (BCE) mais là aussi cela entraînerait un arrêt du financement des prêts futurs. La seule solution qui s’ouvrirait aux adeptes de l’annulation de la dette serait un retour au franc. Mais dans ce cas, la réaction immédiate des marchés financiers serait une dévaluation de la monnaie, telle qu’elle s’est produite par exemple pour la Turquie ou l’Argentine, entraînant l’appauvrissement de millions de personnes.  

À droite, la seule solution pour réduire la dette serait conditionnée à la baisse des dépenses publiques. Or, cette réduction est toujours un effet de second ordre : concrètement, avec le niveau de dette qui est le nôtre aujourd’hui, il est illusoire de croire que couper dans les dépenses publiques entraînera la moindre réduction de dette. La commission Arthuis, missionnée par le Gouvernement pour trouver une solution à la dette, le reconnaît d’ailleurs. Au cours des 25 dernières années, le seul moment où la dette publique a baissé fut sous le gouvernement Jospin, passant de 61,9% du PIB à 57,8%, non pas avec de l’austérité mais avec une dynamique de croissance économique autour d’une moyenne annuelle de 3%. Sans croissance économique soutenue, notre dette publique non seulement ne baissera pas mais surtout continuera mécaniquement à augmenter (les déficits de l’année N, devenant de la dette en année N+1).

Il est donc clair que le seul objectif qui devrait collectivement nous mobiliser est celui de la création de valeur ajoutée, autour des enjeux qui sont les nôtres aujourd’hui : la transition écologique et la réindustrialisation de notre pays. C’est la 3ème solution, et c’est la seule qui à moyen et long terme a une chance de faire baisser la dette. 

Sous prétexte que les taux sont bas, pouvons-nous continuer à nous endetter sans risque ?  

On ne s’endette jamais sans risque, car s’endetter, c’est devenir tributaire de son prêteur, c’est donc perdre un peu de sa liberté.  

Il est exact les taux d’intérêt bas créent le sentiment d’une absence de risque, mais cela reste une illusion qui est même accentuée par le fait que les taux soient devenus négatifs pour certaines maturités ! En 2020 ; la dette a coûté moins cher à l’Etat français qu’en 2019, alors même qu’elle était plus importante (en 2020, l’Etat a payé 29,7 milliards d’euros d’intérêts pour une dette de 2 650 milliards. En 2019, il avait payé 38,8 milliards d’euros pour une dette de 2 379 milliards d’euros). Ceci créé effectivement l’illusion d’un argent quasi gratuit.  

Mais cette illusion ne doit pas faire oublier le mécanisme à l’œuvre en matière de dette publique. En réalité, l’Etat ne rembourse jamais sa dette. De fait lorsqu’il doit rembourser un prêt arrivé à échéance, il le fait en souscrivant un nouvel emprunt. Dès lors, il doit en permanence être en capacité de trouver des prêteurs pour refinancer sa dette existante, et l’éventuelle nouvelle dette. Si ces prêteurs devaient augmenter les taux, cela nous placerait en situation de fragilité à la fois pour la nouvelle dette, et pour le refinancement de la dette ancienne.

Certains jugent qu’il faut annuler la dette, d’autres la rembourser au plus vite pour ne pas la laisser aux générations futures ? quel est votre point de vue ?  

Je vous l’ai déjà indiqué précédemment, je ne souscris à aucune de ces 2 propositions, car chacune conduirait à fragiliser encore plus notre économie.  

Quelles sont les principales réformes structurelles qui pourraient aider au désendettement de la France ? 

Je n’en vois qu’une seule : retrouver une dynamique de création de valeur, autour d’un renforcement de nos capacités scientifiques et techniques. Nous sommes aujourd’hui derniers en Europe, avec la Roumanie et Malte, pour la part de l’industrie dans notre création de valeur ajoutée (PIB). Ce n’est pas normal pour un pays comme le nôtre qui a connu une grande tradition d’innovation scientifique et industrielle, tout comme il n’est pas normal que nous n’ayons pas été en capacité de trouver un vaccin contre le Covid. 

Ceci nécessite un investissement scientifique et technique, piloté et assumé. Concrètement, il faut dégager au moins 50 milliards d’euros par an, d’investissement public productif, c’est-à-dire qui crée un vrai effet d’entraînement. Cette enveloppe inclut un volet sur l’école et la formation. J’ai bien conscience que c’est beaucoup d’argent.

Concrètement, ceci suppose deux conditions pour financer cet effort : la première nécessite obtenir un accord politique avec nos partenaires européens pour que la BCE ne demande pas le remboursement de la dette Covid et qu’elle la conserve dans son bilan. La seconde exige aussi un accord politique avec nos partenaires européens pour dégager quelques axes de création de valeur qui pourront faire l’objet d’un financement. Je pense à l’éducation, et à 5 secteurs : l’agriculture, la santé, l’énergie, les transports et la souveraineté numérique.  

Pensez-vous qu’il faille mettre en place un impôt de solidarité spécifique dédié au remboursement de la «dette covid » ?  

Je pense qu’il faut remettre en place l’ISF.  

Le pilotage budgétaire est-il optimal et permet-il aux parlementaires d’avoir une maîtrise du sujet ? Cf. la PPL des deux députés Éric Woerth et Laurent Saint Martin, favorable à la création d’un pilotage du budget assis sur la pluri-annualité dans les discussions budgétaires ?  

La pluri annualité dans les discussions budgétaires est intéressante, mais ce n’est pas elle qui permettra aux parlementaires d’améliorer leur pilotage budgétaire !  

La présentation du budget au Parlement ressemble à un puzzle, avec de plus en plus de pièces. Par exemple, l’État est incapable de produire aujourd’hui une synthèse claire de ses investissements annuels (je parle d’argent décaissé). Autre exemple : la création d’une mission « plan de relance » par l’actuelle majorité fait que vous avez des crédits, par exemple pour la culture, éparpillés un peu partout, sans qu’aucune consolidation ne soit réalisée. Résultat personne ne peut dire quel est le montant total alloué à la culture.

Avoir un budget clair et lisible nécessiterait d’avoir pour chaque objectif la totalité des crédits (y compris les dépenses fiscales réalisées sous forme de crédits d’impôt).
Enfin, pour apprécier les dynamiques de dépenses publiques, il faudrait que le Gouvernement présente 2 ou 3 scénarii chiffrés, ce qu’il ne fait jamais, et ce quelles que soient les majorités en responsabilité.

Pouvons-nous aller encore plus loin comme le recommande également le rapport Arthuis en demandant le renforcement des statuts et du pouvoir du HCFP ( + conférence nationale des finances publiques en début de législature) ? 

Je n’y suis pas favorable. Celles et ceux qui sont responsables en matière de finances publiques sont celles et ceux qui se présentent devant les électeurs et électrices français et qui leur rendent des comptes.

En revanche, je milite pour que le HCFP inclue, dans ses avis, différents scenarii. Aujourd’hui, il se contente de commenter celui du Gouvernement.

Certains dans leurs programmes présidentiels souhaitent un audit des finances publiques et de l’état de la dette – qu’avez-vous à leur répondre ? 

Chaque année, la Cour des comptes remet au Parlement un audit des finances publiques. Je les invite donc à le lire.

En matière de dette, il manque trois choses : une vision claire des détenteurs de dette (et notamment le poids des détenteurs étrangers), l’impact sur le niveau de dette des rachats de prime d’émission (plus de 20 milliards d’euros d’impact par an, selon certaines années), et une simulation de l’évolution du niveau de dette au gré de différents paramètres (taux, inflation, croissance potentielle).

La réduction du désendettement est-il un préalable à la confiance des Français dans notre économie ? Et plus largement, à celle de nos voisins européens ?

Non, je ne le crois pas. La confiance des Français dans notre économie découle de notre capacité à faire. Si les Français doutent de notre économie, c’est parce qu’elle n’a pas été en mesure de répondre à certains de leurs besoins essentiels : incapacité à découvrir et mettre au point un vaccin, incapacité à produire des médicaments en France, incapacité à reprendre la main sur des secteurs clefs. Par ailleurs, la confiance peut être rompue lorsque l’on constate que les centres de décision ne nous appartiennent plus.

Quelle politique fiscale soutenable adopter pour à la fois donner confiance dans notre économie à nos partenaires et en même temps, éviter les erreurs du passé - cf. l’après-crise 2008 – réduction trop rapide du niveau de la dette et des déficits antérieurs par une pression fiscale rejetée de nos concitoyens ?  

Je le redis, une dette sans cap et sans objectif de création de valeur devient un objet incontrôlable susceptible de se transformer en grenade qui lamine nos démocraties, et les exemples historiques de faillites découlant d’une dette sans objectif ou liée à de la valeur fictive sont nombreux, le dernier en date étant celui de la titrisation des subprimes.

Ensuite, il faut revoir les mécanismes incitatifs existants de fléchage de l’épargne des Français. Ces derniers disposent à ce jour de près de 6 000 milliards d’euros d’épargne financière, ce qui est quasiment l’équivalent de la dette totale de la France. Aujourd’hui, au moins la moitié de cet argent est « peu productif », notamment via les fonds euros de l’assurance vie qui sont majoritairement investis dans des obligations d’Etat (dette publique). Cette situation interpelle d’autant plus que l’assurance vie bénéficie d’avantages fiscaux qui coûtent chaque année 1 milliard d’euros au budget de l’Etat, et qui bénéficient de manière équivalente aux investissements en dette publique ou dans le capital des PME. Avoir le même avantage fiscal quand on investit dans une PME ou dans de la dette publique réputée non risquée est un non-sens économique. Dès lors, une solution pourrait consister à conserver l’enveloppe totale d’avantages fiscaux de 1 milliard d’euros et à l’allouer de préférence pour favoriser la prise de risque. 

Comment expliquez-vous que le sujet de la dette arrive en queue de classement des préoccupations des Français à la veille de la campagne présidentielle ? Comment y remédier ? 

Je pense que c’est plus complexe : les Français se sentent concernés par la dette publique puisque comme le confirme un récent sondage réalisé par l’IFOP, 81% d’entre eux se disent préoccupés par le niveau de notre dette publique.
En revanche, il est logique que d’autres sujets comme la santé, le pouvoir d’achat et la transformation écologique soient perçus comme plus prioritaires, et je partage pleinement cet ordre de priorité. Je pense d’ailleurs que ce sont ces sujets qui devront, en priorité, porter le débat de la présidentielle.