Le cofondateur et dirigeant d’OpenClassrooms, site d’éducation en ligne, revient sur la démarche de l’entreprise ayant permis de basculer vers le statut de société à mission et ce que cela signifie concrètement en termes d’engagements, tant en période de crise que pour demain.
SOCIÉTAL.- Pouvez-vous nous décrire le modèle économique d’OpenClassrooms en nous rappelant à grands traits la genèse et les grandes étapes de l’entreprise ?
Pierre Dubuc.- OpenClassrooms est une école en ligne qui permet aux femmes et aux hommes à travers le monde de développer leurs compétences. Fondée en 2013, OpenClassrooms est une entreprise à mission : rendre l’éducation accessible, et plus particulièrement l’éducation professionnalisante, est l’ambition principale de l’entreprise.
Le modèle économique d’OpenClassrooms réside dans une offre unique et dynamique de cours gratuits et parcours payants. Nous proposons aussi des modules et des services spécifiques pour les grands groupes partenaires avec lesquels nous travaillons, tels qu’AXA, SNCF, Microsoft, Google ou encore Facebook pour n’en citer que quelques-uns.
OpenClassrooms est une entreprise à mission : rendre l’éducation accessible, et plus particulièrement l’éducation professionnalisante, est l’ambition principale de l’entreprise.
Pourquoi avez-vous souhaité opérer le basculement vers la société à mission ?
De par son histoire, OpenClassrooms est quasiment mission-native. En 1999, mon associé Mathieu et moi, alors âgés de 11 et 13 ans, nous lançons notre premier cours de programmation en ligne, né de la frustration de n’avoir trouvé aucun livre accessible aux débutants pour apprendre à créer un site web. Dès le début, l’objectif est de rendre accessible un savoir complexe.
OpenClassrooms devient une start-up de croissance en 2013 et se distingue par son souhait d’aider le plus grand nombre à se réaliser à travers des parcours professionnels en lien avec les attentes des entreprises. OpenClassrooms propose aujourd’hui des parcours diplômants en ligne à plus de 2 millions d’étudiants chaque mois à travers le monde.
Comment et quand cette démarche a-t-elle eu lieu ? Pour quel choix de mission ?
Même si elle est implicite depuis le début en 1999, la mission n’a été formulée qu’il y a quelques années. Au moment de notre levée de fonds en 2018, nous avons inséré notre mission et nos objectifs dans les statuts et avons opté pour devenir société à mission. Nous avons mis en place un comité de mission en 2019 composé des parties prenantes de l’entreprise (fondateurs, salariés, investisseurs, professeurs, mentors, étudiants, alumni, partenaires académiques, employeurs, associations et pouvoirs publics), dont le premier rapport d’impact a été publié l’été dernier. Des mesures d’impact quantitatives et qualitatives ont été établies, comme le nombre d’étudiants qui décrochent un emploi à l’issue de sa formation en ligne.
Aujourd’hui, pour s’assurer que les collaborateurs la portent, la mission est le premier point du cours en ligne d’accueil et d’intégration dans l’entreprise : ils y apprennent que pour tout arbitrage, la première question à se poser est : « cela va-t-il dans le sens de la mission ? ».
Notre mission devient notre étoile polaire. Chaque décision, nous la considérons au regard de la façon dont elle sert notre mission.
Quelles ont été les conséquences de ce changement de statut ? En mesurezvous les bénéfices et dans quel domaine ?
Notre mission devient notre étoile polaire. Chaque décision, nous la considérons au regard de la façon dont elle sert notre mission : assurer que chacun, indépendamment des circonstances individuelles, ait accès à une éducation de qualité abordable.
Devenir une entreprise à mission ouvre des portes et nous aide à s’affirmer comme une marque employeur forte, dans un contexte où il faut être de plus en plus attractif pour recruter des talents dans le secteur du numérique. Il y a une forte attente des salariés qui cherchent du sens. C’est aussi pour nous une façon d’attirer davantage de clients, qui sont sensibles à la philosophie et aux valeurs de notre entreprise.
Enfin, nous nous sommes fixés des objectifs concrets dans le cadre du travail de notre comité de mission, afin de faire grandir
notre impact. La majorité de ces objectifs prévus pour 2022, comme par exemple d’augmenter le nombre de partenariats avec des employeurs pour maximiser l’insertion professionnelle de nos étudiants, est d’ailleurs déjà atteinte.
Quelles conséquences a eu la crise sanitaire pour Openclassrooms ?
La crise sanitaire a accéléré notre croissance. La crise actuelle est un point- charnière non pas pour le numérique éducatif, mais pour le système éducatif tout entier. Il ne s’agit pas de dire que tout va basculer en ligne du jour au lendemain, c’est faux et pas forcément souhaitable. En revanche, l’épisode actuel va hâter l’adoption de modalités éducatives en ligne existantes mais encore peu ou mal utilisées. Il est probable que la crise accélère le déploiement de l’éducation en ligne de 5 ou 10 ans et qu’il n’y aura pas forcément de retour en arrière.
La mission doit être une ligne directrice guidant les prises de décision : elle peut donc conduire à certains renoncements.
Comment avez-vous participé à l’effort de solidarité pendant cette période de crise et notamment de premier confinement ?
OpenClassrooms s’est mobilisée dès le début pour assurer la continuité pédagogique lorsque les établissements scolaires ont fermé. Depuis le 16 mars, les 600 cours en ligne de notre plateforme ainsi que ses outils de contrôle et de suivi de l’acquisition des compétences sont ouverts à tous les établissements d’enseignement supérieur, publics ou privés, les CFA, les IUT et les organismes de formation. Le dispositif prévoit également la possibilité de se faire accompagner par les conseillers d’OpenClassrooms. Nous avons également développé des webinaires pour aider les professeurs et formateurs à s’approprier ces outils digitaux.
Depuis, ce sont 2 000 établissements qui se sont saisis de la plateforme pour 1 000 000 d’étudiants.
Parmi les thématiques proposées, certaines couvrent des champs particulièrement stratégiques à l’heure du confinement. Nous proposons des cours à l’attention des formateurs autour de la conception de formations à distance et, à l’attention de tous ceux qui télétravaillent, l’utilisation des outils numériques pour communiquer ou encore l’autonomie au travail. Nous mettons également à disposition des étudiants des méthodes pour apprendre à apprendre ou encore des clés pour favoriser leur insertion professionnelle.
Quelles sont les perspectives de votre entreprise dans les prochaines années ?
Notre croissance est à trois chiffres. Les axes de croissance tournent autour du développement de nos marchés avec les employeurs, notamment avec l’alternance, mais aussi des marchés internationaux en Europe, en Afrique, aux États-Unis et en Asie. Notre ambition est de permettre à un million de personnes de trouver un emploi chaque année à l’horizon 2025.
Pensez-vous qu’on pourrait aller plus loin que le statut d’entreprise à mission et si oui, comment ?
En 2018, OpenClassrooms a modifié ses statuts pour y insérer sa mission, rendre l’éducation accessible. Mais pareille mission sans impact ou mesure d’impact ne peut être que vaine : afin de mesurer précisément son impact sur ses bénéficiaires et son environnement, OpenClassrooms a donc créé un comité de mission, qui regroupe toutes ses parties prenantes. En mettant en place notre comité de mission comme instance indépendante, nous voulions nous assurer que tous les acteurs d’OpenClassrooms, en interne et en externe, aient accès à toutes les dimensions de notre activité. Le comité de mission est le garant à long terme de la bonne exécution de notre mission, le gardien du temple en somme.
Le comité de mission d’OpenClassrooms a été créé en septembre 2019 pour un mandat de 18 mois : les membres actuels collaboreront donc jusqu’en mars 2021. Le comité a donc eu sept mois pour définir les premières recommandations et publier notre tout premier rapport.
Ce rapport d’impact et les recommandations qui s’en suivent se concentrent sur la France, là où les activités actuelles d’OpenClassrooms demeurent les plus importantes; il a toutefois vocation à être étendu à l’international. Il s’agit d’une feuille de route sur l’impact social, qui comprend des objectifs et un plan d’action précis à moyen terme.
Enfin, notre prochaine étape est d’obtenir la certification B-Corp, ce qui devrait arriver dans les prochains mois si tout va bien.
Qu’est ce qui retient encore selon vous les entreprises à rallier ce dispositif de mission ?
La mission doit être une ligne directrice guidant les prises de décision : elle peut donc conduire à certains renoncements.
Par exemple, nous avons déjà refusé de travailler pour un client : il voulait garder confidentielles les formations sur-mesure conçues par OpenClassrooms. Et nous militons pour les mettre en ligne, car rendre l’éducation accessible à tous est fondamental.
Il faut aussi donner le temps aux entreprises de co-construire cette nouvelle ambition, cette raison d’être et d’adapter leur modèle de gouvernance.
Dans un monde idéal, toutes les entreprises devraient-elles être à mission ?
En tout cas, une majorité d’entre elles. Alors que les grands défis mondiaux appellent des solutions, il est d’ores et déjà admis que pouvoirs publics et citoyens ne peuvent plus agir seuls. Un consensus se manifeste autour d’un troisième acteur : les entreprises, dont la contribution est de plus en plus importante pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux majeurs du troisième millénaire. Conscients de l’état de notre planète, certains dirigeants ont compris que la raison d’être de l’entreprise a évolué : il ne s’agit plus de créer uniquement de la richesse, mais aussi et surtout de placer l’impact social au coeur du modèle économique.
Comment selon vous concilier croissance et économie durable ?
Il faut pour cela être tourné vers l’avenir autant que dans l’action immédiate ; mais il faut aussi et peut-être surtout de l’engagement, de la conviction pour combiner rentabilité économique et impact social positif. Cela demande de coupler croissance et impact à tous les niveaux : gouvernance, capital, commercial, marketing, humain, etc.
Évolue-t-on avec les entreprises à mission vers des entreprises d’intérêt général, alternative ou complément de services publics ? Ce mouvement s’inscrit-il dans un nouveau capitalisme responsable ?
Conscients de l’état de notre planète, certains dirigeants ont compris que la raison d’être de l’entreprise a évolué : il ne s’agit plus de créer uniquement de la richesse, mais aussi et surtout de placer l’impact social, sociétal ou environnemental au coeur du modèle économique.
C’est une nouvelle génération d’entrepreneurs qui agit, en mettant son talent, ses produits et sa volonté au service de nouvelles problématiques sociales et environnementales. Ces entrepreneurs innovants savent que leur responsabilité va largement au-delà de la rentabilité financière, ils doivent créer de l’impact positif pour la société et l’humanité. La rentabilité financière n’est qu’un moyen pour augmenter son impact social, sociétal ou environnemental.
Imaginez-vous une prochaine étape : loi PACTE 2, charte ou initiative impliquant davantage les entreprises ?
Pas personnellement. Il faut accompagner les entreprises et leur donner envie, ainsi que le temps, pour s’y mettre. Le mouvement est lancé, il faut l’accélérer.
Qu’est-ce que le statut d’entreprise à mission a modifié pour vos salariés ? Comment la démarche a-t-elle été accueillie ?
La publication du rapport d’impact notamment représente l’étoile polaire d’OpenClassrooms et a l’ambition de renforcer l’engagement des employés ainsi que la culture d’entreprise. Son contenu a été longuement expliqué à tous les employés d’OpenClassrooms dans un moment d’échange et de discussion. Deux employés parmi nos 280 salariés sont d’ailleurs élus pour faire partie du comité de mission. La réaction a été très positive et cet engagement a participé à améliorer notre marque employeur et à augmenter significativement le nombre de candidatures pour rejoindre OpenClassrooms. Nous recrutons d’ailleurs presque 200 personnes cette année.
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