Les enseignements des sciences de gestion sur la génération de transitions créatives
Alors que la « Festschrift » Conference a convoqué 11 prix Nobel autour du thème « The Economics Of Creative Destruction » pour honorer la thèse de Philippe Aghion (voir article précédant), des professeurs de la prestigieuse École de Mines ParisTech Pascal Le Masson, Armand Hatchuel et Benoît Weil estiment que la complexit. des enjeux et des défis du r.chauffement climatique et de la mont.e des inégalités est telle qu’elle impose « l’invention de nouvelles capacités collectives d’innovation ».
La pandémie n’est pas finie que déjà réapparaissent, plus présentes que jamais, les menaces communes que sont le réchauffement climatique ou la montée des inégalités.
Et contrairement à ce que le terme de « transition » pourrait laisser croire, nous savons aujourd’hui que la complexité des enjeux et des d.fis est telle qu’elle impose l’invention de nouvelles capacités collectives d’innovation. Il ne suffira pas de suivre une feuille de route planifi.e vers un avenir clairement déterminé par des objectifs connus. Nous devons inventer une prospérité soutenable dont on ne peut décrire aujourd’hui, complètement, ni les techniques, ni les modes de vie, ni les organisations.
En pratique, et à court terme, le cheminement vers un inconnu souhaitable exige d’engager de nouveaux processus créatifs collectifs. Car si la planification classique n’est pas possible, il ne peut s’agir ni d’un pur tâtonnement ni d’une marche aléatoire, car nous savons ce qu’il nous faut éviter et ce qu’il nous faut préserver. Mais comment construire un processus créatif guidé par un inconnu et par des valeurs ? Et quel est l’état des connaissances sur ce sujet ? De fait, c’est au sein des sciences de gestion que cette question a été particulièrement étudiée.
Mais pour mieux cerner la fécondité de ces approches et les résultats obtenus, il faut d’abord constater que la théorie classique de l’adaptation inventive du capitalisme - la théorie de la destruction créatrice - ne dit rien… de la construction et de la gestion des processus créatifs.
Pourtant, l’ouvrage Le Pouvoir de la Destruction créatrice (Aghion, Antonin et Bunel 2021) se présente comme « un guide pour penser l’avenir du capitalisme » dans lequel les auteurs, selon le commentaire de Jean Tirole, « expliquent comment gérer une destruction créatrice ».
Dans cet article nous allons d’abord contester cette thèse, avant de résumer les principaux enseignements de la recherche contemporaine.
Dans une première partie, nous montrons que la théorie de la destruction créatrice ne modélise aucun processus créatif. Elle affirme une corrélation entre destruction et création qui n’a aucun fondement théorique et empirique. Les modèles invoqués se limitent à décrire des innovations productives dont la fréquence statistique augmenterait avec l’effort de Recherche et développement (R&D). Il en découle que, contrairement à sa principale destination, la théorie de la destruction créatrice n’est pas à même d’expliquer, rétrospectivement, la puissance créative du capitalisme.
Nous devons inventer une prospérité soutenable dont on ne peut décrire aujourd’hui, complètement, ni les techniques, ni les modes de vie, ni les organisations.
Dans une deuxième partie, nous rappelons que, selon les historiens, la capacité créative des entreprises a crû considérablement à la fin du XIXème siècle grâce au développement des bureaux d’études et des laboratoires de recherche. C’est-à-dire d’organisation dédiées aux « activités de conception », dont il a fallu inventer à la fois les modes de rationalisation et la formation des compétences adaptées. Dans une très large part du monde industriel, la production des innovations et la réponse aux d.fis techniques et sociaux de plus en plus exigeants ont été rendues possibles par la domestication de la capacité inventive que nous appelons « conception réglée ».
Cette domestication a eu précisément pour but d’innover tout en conservant une hérédité maximale dans la conception des produits et des procédés. Or, une telle stratégie inventive ne correspond plus aux défis et enjeux actuels.
Les défis que posent la décarbonation, la protection des ressources vivantes et la protection des droits fondamentaux à l’échelle mondiale exigent des processus collectifs de « conception innovante » qui génèrent des ruptures fortes des industries existantes tout en protégeant les systèmes sociaux et les écosystèmes vivants. La recherche a conduit à plusieurs percées sur ces sujets :
- on ne peut comprendre un processus créatif à partir de la seule rationalité décisionnelle (choix, investissement), il faut introduire des ruptures cognitives ;
- en situation de création, l’action collective doit développer une rationalité adaptée à l’inconnu et non pas seulement à l’incertain ;
- en situation de création collective, la notion d’organisation doit être conçue comme un « métabolisme génératif », capable de générer de nouvelles formes d’entreprise ou de nouveaux collectifs solidaires (Hatchuel et al. 2017).
Ces travaux confirment que la destruction n’a rien de créateur et qu’une puissance générative y compris en rupture (comme la science ou les arts) doit s’appuyer au contraire sur l’élaboration et la préservation de patrimoines collectifs de création (Hatchuel et al. 2019). La destruction créatrice : une théorie de la destruction sans rationalité créatrice.
De quoi la destruction créatrice est-elle la théorie ?
L’ambiguïté du concept, à la fois dans sa première formulation et dans ses développements ultérieurs, aurait dû alerter. S’agit-il d’une théorie des faillites comme condition du développement économique ? Mais les faillites sont aussi vieilles que l’activité marchande, et ne sont pas en elles-mêmes gage qu’une économie sera créatrice. S’agit-il d’une théorie de l’innovation ? Dans ce cas, quelle destruction particulière est-elle à même de provoquer des innovations ? Doit-on conditionner la capacité d’innovation d’une entreprise ou d’un pays à sa capacité de destruction ? À vrai dire, le concept de la destruction créatrice est en lui-même trop équivoque.
La première lacune concerne la modélisation du processus créatif lui-même.
Quant aux modèles qui se proposent de l’expliquer ou de le caractériser, ils présentent trois lacunes majeures :
- La première lacune concerne la modélisation du processus créatif lui-même. Chez Schumpeter la destruction créatrice (Schumpeter 1942) est peu modélisée et conserve une visée programmatique (Schumpeter 1932 [2005] ; Becker, Knudsen et March 2006 ; Encinar et Munoz 2006) – sans développer lui-même de modèle, Schumpeter appelle à l’intégration, dans les modèles économiques, d’une innovation définie explicitement comme « the setting up of a new production function » (Schumpeter 1939).
Il invite à penser des processus de « development » dans lesquels tous les paramètres d’un système walrassien sont modifiés de façon discontinue (Schumpeter 1932 [2005]).
Dans des modèles plus récents, le processus est réduit à des événements aléatoires « poissoniens » qui induisent un modèle de croissance (Aghion et Howitt 1992). L’intensité de ces événements serait directement déterminée par le niveau d’investissement en R&D, ce dernier n’étant motivé que par des incitations économiques. Il s’agit donc ici d’une modélisation qui n’a que peu à voir avec les raisonnements complexes tenus par les concepteurs industriels (ingénieurs, designers, chercheurs, etc.). Le modèle s’efforce de décrire certains effets économiques (productivité) du raisonnement créatif, mais ignore les impacts fonctionnels et socioéconomiques recherchés par les concepteurs eux-mêmes (mobilité, santé, cohésion sociale, durabilité, etc.). Comment envisager un pilotage du processus créatif sur la base d’un modèle tout à la fois illusoirement prédictif et incapable de rendre compte des impacts socioéconomiques les plus profonds de l’action créative ?
- La seconde lacune concerne les logiques collectives. Réduisant les acteurs à des fonctions de production et de consommation se coordonnant par le marché, le modèle peine à rendre compte de l’apparition des grandes entreprises à R&D, des interdépendances écosystémiques, des solidarités et des responsabilités que crée l’action créative et de l’apparition d’acteurs collectifs concepteurs capables d’explorer ensemble des inconnus communs (Lunar Society, Franklin Institute, International Technology Roadmap for Semiconductors, etc.). Comment organiser l’action collective sur la base d’un modèle dans lequel les acteurs et leurs logiques de coordination dans l’inconnu sont si peu décrits ?
- La troisième lacune concerne la cooccurrence entre création et destruction. La notion de destruction créatrice sousentend entre les deux termes une corrélation que l’histoire et l’action collective ne semblent pas respecter.
Que de création sans destruction et que de destruction sans création – la Covid-19 ellemême laisse planer le doute sur la création que cette gigantesque destruction aurait permis. Et nul ne saurait laisser croire aujourd’hui que les destructions de la Covid-19 porteraient nécessairement en elles les créations de demain. Il y a certes eu des innovations lors de la crise, par des mécanismes que la crise contribue parfois à créer mais ne réunit pas systématiquement.
Décrire « une puissance générative » c’est, par contraste, décrire un modèle d’action collective en précisant sa rationalité (qui n’est pas seulement décisionnelle et optimisatrice), sa logique organisationnelle (qui n’est pas nécessairement marchande) et sa logique de performance (qui ne se limite pas . une maximisation financière).
La question de l’exécution est centrale. C’est d’elle dont dépendra la portée réelle que la loi a voulu impulser.
Le modèle de destruction créatrice conduit à penser que la puissance générative serait intrinsèque au capitalisme – et à masquer les formes de cette puissance et le besoin de la réinventer en fonction des évolutions des sociétés. Mais des travaux de recherche ces dernières années ont conduit à des avanc.es significatives, mettant au jour notamment la construction d’une première puissance générative au XIXème siècle et l’invention, aujourd’hui en cours, d’une nouvelle puissance générative au service des transitions dans l’inconnu.
Les leçons de l’histoire : la construction d’une puissance générative non destructrice au XIXème siècle
L’invention des bureaux d’études
Bien avant les travaux de Schumpeter, des formes originales d’action collective créatives ont été discutées et développées. La question de la puissance générative et de sa gestion traverse le XIXème siècle, notamment en Allemagne, où dès les années 1830, les dirigeants s’interrogent sur les ressorts de la puissance économique et de l’innovation industrielle. Dans les écoles techniques nouvellement créées pour contribuer au développement des territoires, des professeurs formalisent et expérimentent des voies originales pour former les ingénieurs à inventer les produits et les machines dont la société a besoin (König 1998 ; Heymann 2005 ; Galvez-Behar 2010 ; Le Masson et Weil 2010 ; Le Masson et Weil 2013).
Ces travaux conduisent à une nouvelle théorie de la conception, qui se distingue nettement d’un modèle aléatoire ou d’un modèle de transfert de savoirs scientifiques. Elle se veut plus efficace que des méthodes d’essai-erreur et de compagnonnage, considérées comme l’apanage de la formation des ingénieurs et techniciens anglais. Elle ne se contente pas non plus d’être un enseignement des savoirs scientifiques . la manière de l’école Polytechnique, un modèle dont les auteurs s’éloignent délibérément : ils soulignent que la conception nécessite plus que les sciences de la mécanique, elle réclame l’apprentissage d’un « raisonnement spécifique permettant d’explorer systématiquement et rationnellement l’inconnu en s’appuyant sur les connaissances disponibles ».
Cette invention théorique va guider une invention organisationnelle sans précédent : la structuration du raisonnement de conception technique rend possibles l’organisation et la division du travail de conception au sein des bureaux d’études, qui apparaissent dans les entreprises dès les années 1840 (Brown 1995) et qui peuvent employer plusieurs centaines de cols blancs . la fin du XIXème siècle. Ils systématisent une innovation rapide, continue, puissante. Précédant l’organisation taylorienne de l’usine de plusieurs décennies, ils constituent le coeur de la grande entreprise (Segrestin et Hatchuel 2012) et en font une puissance générative inédite, construite non pas tant sur la production de masse que sur « la conception de masse ». Ils précèdent aussi les laboratoires de recherche industrielle, dont ils suscitent d’ailleurs la création, fin XIXème-début XXème, pour soutenir l’activité de conception par des modélisations, des instruments et des mesures originaux adaptés aux nouveaux systèmes techniques qu’ils développent (Reich 1985).
L’impact de ces inventions théoriques et organisationnelles a longtemps été sous-estimé : transformation des biens et des services, des usages, des modes de vie, des structures sociales, des structures institutionnelles administratives, transformation du rapport à la science, au progrès et à l’avenir. Les contemporains ne s’y trompent pas : des dirigeants innovateurs comme Henri Fayol comprennent à l’aube du XXème siècle que cette puissance générative appelle une gouvernance spécifique qui considère l’exploration de l’inconnu comme une nouvelle mission de l’entreprise (Hatchuel et Segrestin 2018).
L’invention de la grande entreprise et de sa puissance générative est un moment d’ampleur civilisationnelle (Hatchuel 2020).
La puissance générative de la conception réglée : une création non-destructrice
Ainsi dès le XIXème siècle, avec la grande entreprise « conceptive » et les formations des concepteurs qui la supportent (écoles techniques, écoles de design), une nouvelle puissance générative apparaît : fondée sur une rationalité originale et des organisations nouvelles, elle domestique l’innovation, devenue intentionnelle et gérée. Elle conduit à des formes de création qui se veulent des progrès collectifs (ville, transport, santé, habitat, alimentation, etc.) - et qui ne sont pas nécessairement destructrices. Au contraire, cette puissance générative s’efforce d’être cumulative et de préserver certaines continuités dans les compétences et les investissements. Car son efficacité dépend aussi de sa capacité à s’appuyer sur les savoirs acquis, les expériences systématiques accumulées, le développement de plateformes réutilisables, l’invention de technologies dont la « généricité » est intentionnellement étendue de secteur en secteur. C’est grâce à cette dynamique à la fois inventive et conservatrice que les grandes entreprises ont pu naître, croître, et se diversifier, permettant aussi une évolution maîtrisable des métiers et des savoirs techniques, condition nécessaire à la transmission des savoirs accumulés.
La stratégie d’AT&T dans la radio illustre cette logique : au début du XXème siècle, les dirigeants du jeune leader de la téléphonie, qui vient de construire un réseau de télécommunication longue distance, orientent les travaux de leur laboratoire de recherche central (les futurs Bell Labs) vers l’exploration des télécommunications radio pour mieux contrôler la menace de la radiotéléphonie mais ils poussent aussi leurs bureaux d’études à développer les technologies nécessaires à l’émergence de l’industrie de la télédiffusion radio (Reich 1985).
Depuis la fin du XXème siècle, le besoin d’innovation se présente avec des traits inédits.
L’Histoire nous fournit donc un premier modèle de puissance générative collective. Il se met en place notamment grâce à l’investissement des académies allemandes dans le développement de nouveaux corpus pour la formation des ingénieurs-concepteurs ; elle se développe aussi grâce à l’invention de formes d’entreprises nouvelles où naitront les nouveaux modèles de « management ».
Mais ce premier modèle est insuffisant pour répondre aux défis des sociétés contemporaines. Il nous faut donc développer de nouvelles puissances créatives tout en maintenant une logique de préservation et de solidarité. C’est à décrire ce second modèle que des travaux récents ont été consacrés.
De nouvelles puissances génératives pour faire face aux transitions dans l’inconnu
Pourquoi les transitions contemporaines appellent un renouveau de la puissance générative ?
Depuis la fin du XXème siècle, le besoin d’innovation se présente avec des traits inédits. L’appel à l’innovation est devenu « intensif », car il concerne désormais la totalité des activités humaines (vie personnelle, vie domestique, loisirs, santé, bien-être, etc.), y compris pour rejeter les consommations jugées insensées. La prise de conscience accrue des responsabilités écologiques invite à revisiter des pans entiers de l’activité économique (matériaux, énergie, alimentation, information, etc.) pour mieux faire face aux grands défis contemporains (émissions, changement climatique, biodiversité, inégalités, etc.).
Les nouvelles fonctionnalités (frugalité, sans carbone, circuits courts, sans CO2, etc.), parfois antagoniques, appellent sans cesse des innovations de rupture. Car les transitions (par exemple énergétique (Fressoz 2021)) ne sont pas des planifications : ce sont des transitions dans l’inconnu, où les solutions soutenables restent à inventer.
Ce régime d’innovation contemporaine se traduit par des révisions continuelles des fonctions et des identités des objets, même les plus communs (El Qaoumi et al. 2017) (Figure 1). Or la puissance générative antérieure - la conception réglée - était adaptée à une forme de progrès linéaire, portée par l’optimisation fonctionnelle dans un référentiel fixe (Le Masson, Weil et Hatchuel 2017). Il nous faut donc penser des capacités d’exploration nouvelles, y compris pour rompre avec des stratégies d’innovations anciennes. Il s’agit de capacité d’invention capables d’affronter l’inconnu, tout en s’appuyant, autant que possible sur les ressources existantes.

On peut montrer que ce nouveau régime suppose trois ruptures conceptuelles et opératoires pour inventer une nouvelle puissance générative :
- L’ambition d’explorer des inconnus désirables : il ne peut plus s’agir uniquement du « progrès » ou de la « croissance », il s’agit d’explorer de nouveaux avenirs communs possibles en faisant face aux menaces communes – donc des formes nouvelles de prospérité collective soutenable qui se présentent inévitablement comme des « utopies rationnelles », des chimères attractives qui guident le processus créatif sans le déterminer.
- Une nouvelle rationalité adaptée à l’inconnu : les notions précédentes sont spécifiques des rationalités nouvelles, dites « créatives » et « entrepreneuriales », mal appréhendées scientifiquement jusqu’à récemment, et qui appellent une extension des rationalités classiques vers des modèles de rationalité créative.
- Des organisations à fort métabolisme, dont témoignent la prolifération contemporaine des lieux et des pratiques nouvelles vouées à l’innovation (lab d’innovation, accélérateurs, incubateurs, etc.).
L’enjeu n’est pas de décider entre des alternatives connues, mais de concevoir des alternatives dans l’inconnu.
Dans la suite nous allons préciser ces notions, qui prises ensemble, donnent la mesure des capacités à construire.
Un modèle de rationalité dans l’inconnu : du paradigme de la décision au paradigme de la conception
Quelle est donc la rationalité adaptée à l’exploration de l’inconnu ?
Plusieurs travaux récents ont d’abord montré que les raisonnements et les méthodes des managers formés à la décision dans l’incertain sont inadaptés, voire toxiques, pour la gestion de l’exploration requise par les inconnus désirables contemporains. En effet, lorsque la technologie est inconnue et que les marchés sont inconnus, la théorie de la décision classique conduit à deux erreurs symétriques : soit prescrire un comportement de « flambeur » (tout miser sur le miracle) soit prescrire une démarche de types essais-erreurs, mais à la façon Shadock : « les Shadocks avaient construit une fusée qui avait une chance sur 1 million de fonctionner - ils se dépêchaient donc de rater les 999 999 premières fois pour enfin réussir ».
Les théories contemporaines de la conception ont clairement montré la source de ces irrationalités : elles tiennent à ce que face à l’inconnu, l’objectif n’est plus la réduction d’incertitude (vision classique) mais l’exploration bien orientée, systématique et efficace ! L’enjeu n’est pas de décider entre des alternatives connues, mais de concevoir des alternatives dans l’inconnu (Le Masson et al. 2018). Face aux dilemmes décisionnels créés par les transitions contemporaines (le glyphosate ou la famine, les motorisations diesel ou les révoltes sociales, etc.), l’inconnu devient l’objet à gérer.
S’agit-il de simple créativité ? Là aussi la recherche contemporaine est éclairante : la capacité créative dans l’inconnu n’est pas une simple idéation, mais nécessite aussi une mobilisation intense de compétences pointues et variées, et quasi inévitablement la création de savoirs nouveaux. On sait aujourd’hui que l’on peut unifier les théories de la connaissance et les théories de la rationalité créative dans un même raisonnement. C’est ce d.fi qu’a pu relever la théorie de la conception - dite théorie C-K (Hatchuel et Weil 2009) - et la communauté internationale des chercheurs qui travaillent dans ce domaine (Hatchuel et al. 2018). Ces développements théoriques modélisent la conception comme un processus de double expansion de l’inconnu et du connu, l’un stimulant l’autre - le savoir stimule la création et la création stimule le savoir. Ce modèle de la rationalité conceptive a été largement validé (Sharif Ullah, Mamunur Rashid et Tamaki 2011). Il décrit non pas les choix dans l’incertain, mais l’action exploratoire et constructive dans l’inconnu qui impose de « forcer » le possible. Ce modèle a en outre démontré son efficacit. dans la structuration de nouveaux types de collectifs ou de laboratoires. Il permet notamment le dosage de « la rupture . ou de la « d.fixation . du connu qu’exigent les logiques de préservation associées aux grands enjeux contemporains.
De nouveaux collectifs pour l’exploration de l’inconnu
En effet, cette rationalité « conceptive » stimule des formes d’action collective inédites. Après le développement des structures « projets » des années 1990, l’installation du régime d’innovation intensive a conduit à compléter ces projets par des collectifs de conception innovante (ateliers, labs, communautés d’innovation) qui explorent l’inconnu plus radicalement. Une part importante de la recherche en sciences de gestion les étudie aujourd’hui (Garel et Mock 2016 ; Hooge et Le Du 2016 ; Lenfle, Le Masson et Weil 2016; Midler, Jullien et Lung 2017 ; Hooge 2019 ).
Ces projets dépassent inévitablement les frontières des entreprises et doivent s’appuyer sur de nouvelles communautés ou de nouveaux écosystèmes.
Le nouveau modèle de rationalité ouvre la voie à de nouvelles méthodes de gestion de l’innovation. Il permet par exemple de diagnostiquer les « fixations . implicites ou invisibles dont sont victimes les innovateurs, au niveau d’écosystèmes industriels entiers. Sur des questions telles que l’autonomie des personnes âgées, la sécurité des conducteurs de deux-roues, ou l’énergie de la biomasse, des travaux s’appuyant sur la théorie de la conception ont pu montrer la force de fixations collectives qui conduisaient à des situations d’innovation « orpheline » i.e. des cas où, malgré les attentes sociales et les efforts des innovateurs, l’exploration de l’inconnu était fixée . un domaine très restreint par rapport au référentiel des « imaginables » établi grâce au cadre théorique (Agogué, Le Masson et Robinson 2012). On comprend le potentiel en termes de soutien à l’innovation : il devient possible d’assurer une forme de « qualité de l’exploration », qui permette au collectif de concepteurs d’identifier ses fixations – ces méthodes ont été expérimentées avec succès pour améliorer la qualité de certains agendas stratégiques de recherche européens (Rémondeau et al. 2019).
D’autant que ces projets dépassent inévitablement les frontières des entreprises et doivent s’appuyer sur de nouvelles communautés ou de nouveaux écosystèmes que l’on identifie plus facilement grâce aux outils évoqués. Pour renforcer les capacités collectives d’exploration de l’inconnu, des intermédiaires et des formes institutionnelles inédites se développent. C’est le cas des collèges de l’inconnu, tels que l’International Technology Roadmap for Semiconductor, qui mutualise, entre tous les acteurs du semi-conducteur (fournisseurs de technologies, producteurs de chipsets, laboratoires de recherche…), les stratégies d’exploration dans l’inconnu à conduire pour permettre d’atteindre année après année la performance apparemment miraculeuse prédite par la loi de Moore (Le Masson et al. 2012). Ailleurs apparaissent des architectes de l’inconnu, curieux intermédiaires organisant l’exploration la plus large possible de champs d’innovation à l’échelle de secteurs industriels entiers (Agogué et al. 2017).
Ainsi l’émergence d’une nouvelle puissance de conception passe par un « métabolisme génératif », l’invention de formes organisationnelles dédiées à la gestion de l’inconnu – elle touche jusqu’à la gestion de l’expertise qui, dans l’inconnu, prend la forme puissante et originale de « sociétés proto-épistémique » susceptibles de penser la préservation créative des savoirs antérieurs, dans une logique de création non-destructrice (Cabanes, Le Masson et Weil 2020) (Le Masson et Weil 2020).
Enfin, le déploiement de la rationalité conceptive dans toutes les formes d’activité rend obsolètes les théories classiques de l’organisation et, par conséquent, les formes institutionnelles que le droit leur associe (travail, entreprise, société, association, etc.). Il conduit à un aggiornamento institutionnel et juridique important, qui touche jusqu’à la définition de l’entreprise en droit, notamment français (Segrestin, Hatchuel et Levillain 2020), dans lequel l’entreprise peut être « à mission », et inscrire ainsi dans sa « raison d’être » (et dans sa gouvernance) le fait qu’elle se donne une ambition d’exploration de l’inconnu.
Transitions dans l’inconnu, patrimoines de création et nouvelles responsabilités
Le projet d’exploration de l’inconnu n’est pas équivalent à une maximisation des profits, car celle-ci perd toute signification (maximiser dans l’inconnu est proprement contradictoire). Il est parfaitement compatible avec une trajectoire soutenable de profit. Il exprime aussi le souhait d’un collectif d’acteurs que leur action ne sera pas détournée de son engagement originel d’explorer un inconnu spécifique. Se met ainsi en place une forme de responsabilité « conceptive » qui complète la responsabilité « préventive » en passant « du dommage à prévenir au futur à construire » (Segrestin 2018) (p. 166). La responsabilité conceptive consiste à se donner collectivement et solidairement les moyens de concevoir des alternatives meilleures que celles aujourd’hui disponibles dans le cadre de la « mission » partagée.
La responsabilité conceptive peut alors inclure un devoir de rupture mais sous condition de préservation. Les transitions contemporaines en témoignent, qui cherchent à préserver l’environnement autant que la prospérité collective. On a longtemps pensé que préservation et création s’opposaient. Cette aporie tenait peut-être aux origines sociopolitiques de la notion d’innovation (Bontems 2014). L’étude de certains univers, comme la science, la gastronomie ou le luxe (Carvajal Perez 2018) à l’aide des modèles théoriques les plus récents (C-K toposique) permettent de comprendre que l’activité de conception peut être d’autant plus innovante qu’elle préserve la tradition et reconstitue un patrimoine de création de plus en plus ramifié (Hatchuel et al. 2019).
Face aux transitions dans l’inconnu, il s’agit moins d’attendre une destruction créatrice - qui a toutes les chances d’être surtout destructrice et bien peu créatrice - que de s’attacher à construire et gérer de nouvelles puissances génératives. Mais celles-ci exigent une appropriation collective des rationalités dans l’inconnu, et surtout une préparation de chacun à inventer de nouvelles organisations adaptées aux nouvelles responsabilités conceptives. Aujourd’hui, une part de cette dernière tâche est encore devant nous, car le modèle de la start-up n’est pas universel et n’est pas adapté à toutes les transitions et à toutes les échelles. Le modèle des sociétés à mission de la loi Pacte offre aussi un outil précieux pour penser ensemble rupture et préservation.
Le défi le plus massif est éducatif et culturel. Comme au début du XIXème siècle, lorsque beaucoup d’Européens se demandaient comment rattraper le machinisme anglais si surprenant, il nous faut transformer les formations à tous les niveaux pour diffuser une bonne appropriation des logiques conceptives, de la rationalité dans l’inconnu, et des collectifs créateurs. Fort heureusement, la recherche, notamment française a développé les bases scientifiques et les modèles qui permettent de stimuler et gérer la construction de nouvelles puissances collectives génératives. Il faut donc renforcer ces recherches ainsi que leur diffusion et leur mise en oeuvre si l’on veut que les efforts financiers considérables qu’il faudra consentir pour les grandes transitions produisent réellement de nouvelles trajectoires industrielles et solidaires bénéfiques pour le pays. À moins d’espérer qu’un miraculeux darwinisme destructeur finisse par engendrer les transitions que nous souhaitons sans aboutir à un champ de ruines.
Biographie de Armand Hatchuel
Armand Hatchuel est professeur en Sciences de Gestion à Mines ParisTech / PSL Université. Pionnier dans l’étude des dynamiques de l’action collective, il est l’auteur avec Benoit Weil d’une théorie du raisonnement créatif (Théorie C-K) internationalement reconnue.
Ses travaux avec Blanche Segrestin et le collège des Bernardins, ont inspiré la réforme de l’entreprise et la création des « sociétés à mission » (loi Pacte).
Fellow de la Design Society, il a reçu plusieurs distinctions scientifiques. Il est membre de l’Académie des Technologies et du Conseil d’administration de Cerisy. Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur en 2017.
Biographie de Pascal Le Masson
Pascal Le Masson est professeur à MINES ParisTech - PSL, chaire de Théorie et Méthodes de la Conception Innovante, directeur adjoint du Centre de Gestion Scientifique-i3 UMR CNRS 9217 et coresponsable de l’option Ingénierie de la Conception. Ses travaux sur la théorie de la conception et la gestion de l’innovation ont donné lieu à de nombreuses publications scientifiques et ont été régulièrement primés.
Il est membre de plusieurs conseils scientifiques d’entreprises ou d’institutions publiques. Il co-dirige le Special Interrest Group de Design Theory de la Design Society.
Biographie de Benoît Weil
Benoit Weil est professeur de Sciences de la Conception et de Sciences de Gestion à MINES ParisTech - PSL Research University.
Il est co-responsable de la chaire Théorie et Méthodes de la Conception Innovante, co-responsable de l’option Ingénierie de la Conception de l’école des mines de Paris, et directeur adjoint du Centre de Gestions Scientifique. Ses travaux de recherche portent sur la modélisation des raisonnements de conception, l’organisation et la gestion des activités de conception.
Références
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