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La mondialisation

Pascal Demurger : Concilier l’éthique et l’exigence économique

8min
#La mondialisation Entreprises

Le directeur général de la MAIF explique comment l’entreprise peut servir le bien commun.

SOCIETAL.- La MAIF va devenir en 2020 la première entreprise à mission en France. Une possibilité offerte par la loi Pacte votée en avril 2019 par le Parlement. Votre statut de mutuelle n’est plus adapté à l’économie de marché ? 

Pascal DEMURGER.- Absolument pas. Ce changement est au contraire la conséquence logique des transformations engagées depuis plusieurs années. Nous pratiquons un management par le sens, la confiance et l’envie.  Nous investissons nos 20 milliards d’euros de placements en prenant en considération des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Nous entretenons une relation de long terme avec nos 3 millions de clients, nos sociétaires dont la fidélité est sans pareille sur le marché. 

Quel est l’objectif ?

Devenir une entreprise à mission va permettre de poursuivre notre transformation et de rendre public notre engagement. Nous allons faire entrer dans nos statuts la raison d’être de la MAIF, la placer au cœur de chacune de nos décisions et actions. Nous enracinons le changement dans la durée.

Nous sommes en passe d’inventer un nouveau modèle qui nous permet de concilier l’exigence éthique et l’exigence économique.

Vous avez écrit le livre « L’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus » préfacé par Nicolas Hulot aux éditions de l’Aube. Les entreprises vont-elles prendre en charge des missions qui sont celles de l’Etat ?

Les frontières qui séparaient le monde de l’entreprise, celui des Etats et du politique, s’estompent progressivement car les problèmes auxquels nous sommes confrontés ont changé de nature et trouvent souvent leur source dans l’activité économique.

Les pouvoirs publics sont de plus en plus impuissants. Ils sont enfermés dans leurs frontières alors que les problèmes doivent se traiter au niveau mondial. Ils sont paralysés par des contraintes budgétaires.

Comment définissez-vous le rôle politique de l’entreprise ? 

L’entreprise a un rôle politique, dans le sens où elle a un impact sur tout ce qui crée du lien social, sur l’environnement, sur les sujets de société. Elle peut servir le bien commun.

Mais les entreprises ont toujours eu un impact sur l’environnement et la société. 

Oui, mais elles n’ont pas toujours eu conscience de la responsabilité qui accompagne cet impact. Aujourd’hui, elles sont nombreuses à utiliser une partie de la richesse qu’elles produisent pour réparer ou compenser les conséquences négatives de certaines de leurs actions, à travers une fondation ou des actions de mécénat. On réalise aujourd’hui que la question de l’impact n’est plus accessoire, elle doit être placée au cœur même de l’activité de l’entreprise et elle conditionne sa performance durable.

Voter une loi était-il nécessaire pour que les entreprises servent le bien commun ?

La Loi Pacte est en tout cas un symptôme d’attentes de plus en plus fortes à l’égard de l’entreprise. Elle peut permettre à toutes celles et ceux qui souhaitent donner du sens à leur consommation de reconnaître les entreprises qui font le choix de s’engager, à travers le dispositif de société à mission. Plus largement, elle contribue à la prise de conscience collective.  

« Il y a urgence à agir. Le monde brûle et l’entreprise est attendue à son chevet ».

Servir le bien commun améliore-t-il les performances de l’entreprise ? 

J’en suis convaincu. Mon expérience depuis 10 ans à la tête de la MAIF nourrit cette conviction. Il est possible de créer un cercle vertueux dans lequel plus d’engagement pour les parties prenantes - les salariés, les clients et les fournisseurs-, pour l’environnement et pour le monde crée plus de performances pour l’entreprise. Ce qui permet encore plus d’engagement. 

Changer les comportements oblige-t-il à modifier les modes de rémunération ? 

Les choix en matière de rémunération façonnent les comportements. Notre système de rémunération valorise la réussite collective plutôt que la mise en avant de l’individu. Nous maintenons un éventail de rémunérations raisonnable. L’écart entre le salaire le plus bas et celui le plus élevé est maintenu dans un rapport de l’ordre de 1 à 20. C’est 10 fois plus en moyenne dans les entreprises de notre taille.  

Une entreprise du CAC 40 qui réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires à l'international, qui est cotée en bourse et doit convaincre des investisseurs anglo-saxons, chinois, japonais ou saoudiens peut-elle adopter ce nouveau modèle ? Une entreprise familiale ? 

Je ne crois pas au déterminisme du statut. Le statut de mutuelle est clairement un atout, mais ne constitue ni une condition nécessaire ni une condition suffisante à l’engagement de l’entreprise dans la société. Le modèle que nous défendons n’est pas la coquetterie d’un acteur protégé mais un choix conscient qui produit de la performance dans la durée. Dès lors, il est transposable à tous types d’entreprises.

Et il y a urgence à agir. Le monde brûle et l’entreprise est attendue à son chevet. 

« Un dirigeant qui s’en tiendrait à une vision « friedmanienne » mettrait en danger la pérennité de son entreprise»

Est-ce la fin de l’entreprise actionnariale qui privilégie la profitabilité et qui « a pour unique responsabilité d’accroître ses profits » selon l’expression de Milton Friedman ? 

Oui et je pense même qu’un dirigeant qui s’en tiendrait à une vision « friedmanienne » mettrait en danger la pérennité de son entreprise.

Quel est le rôle du dirigeant ? 

Pour moi, un dirigeant à deux missions essentielles. La première est ce que l’on pourrait appeler la « vision ». Dans un monde devenu à la fois complexe et incertain, la responsabilité première du dirigeant est de projeter une vision de l’avenir et de formuler une stratégie pour y répondre. La seconde est le leadership, c’est-à-dire la capacité à fédérer la communauté humaine que forme l’entreprise autour d’un projet pour l’entreprise et à la mettre en mouvement.

Sur quels critères l’action d’un dirigeant doit-elle être jugée ? Quand il est en poste ? Une fois qu’il a quitté l’entreprise ? 

La plupart des systèmes d’évaluation de la performance surpondèrent les critères financiers et le court terme. A la MAIF, nous avons pris l’habitude de mesurer la performance de l’entreprise à la lumière d’un « quadriptryque » composé à parts égales de l’épanouissement des salariés, la satisfaction des clients, l’impact positif sur notre environnement et la performance économique. C’est aussi sur la base de ces 4 familles de critères que le conseil d’administration évalue mon action.

« Dans toute décision, en particulier lorsqu’elle comporte une dimension humaine, il existe une part qui n’est pas réductible au champ de la raison ».

Diriger s’apprend-il ? Vous avez rejoint la MAIF en 2002. Vous avez été nommé directeur général en 2009. Avez-vous changé votre manière de travailler? 

Enarque ayant servi l’Etat, je ne connaissais pas le monde de l’assurance et n’avais pas une réelle expérience du monde de l’entreprise. A mon arrivée, je me suis raccroché à des repères très classiques et j’ai adopté une posture qui ne correspondait ni à ma personnalité ni à la culture de la MAIF. 

J’ai changé mais il m’a fallu du temps pour mesurer la force du collectif, apprendre à écouter, préférer la bienveillance à l’émulation, et piloter l’entreprise autant avec le cœur qu’avec de froids objectifs.

L’intuition peut-elle jouer un rôle dans une prise de décision ? 

Oui. Dans toute décision, en particulier lorsqu’elle comporte une dimension humaine, il existe une part qui n’est pas réductible au champ de la raison.

Et l’éthique ?

Quand je suis devenu directeur général, le conseil d’administration et l’équipe de direction arbitraient en fonction de considérations économiques et éthiques. Chaque décision était le fruit d’un compromis entre ces deux visions et au final, ce n’était complètement satisfaisant, ni sur le plan de la performance, ni sur celui de l’éthique... 

Nous avons appris à dépasser cette tension, à construire un modèle dans lequel plus l’entreprise prend des décisions éthiques, plus elle est performante.  

« Nous sommes en train de vivre un moment très particulier où les mécanismes de transmission s’inversent »

Vos valeurs personnelles sont-elles en accord avec celles de la MAIF ?

La transformation de l’entreprise à laquelle j’ai contribué est le reflet de ma propre transformation. J’ai la chance aujourd’hui de ne pas avoir à jouer un rôle lorsque je franchis les portes de l’entreprise, de pouvoir être la même personne en tant qu’homme et en tant que dirigeant d’entreprise.

Vous expliquez dans votre livre que vos enfants ont contribué à votre cheminement professionnel...

J’ai toujours été attentif au regard de mes trois enfants. J’avais pu constater il y a quelques années qu’ils ne comprenaient pas mon travail de dirigeant. Je me suis interrogé sur les raisons de cette incompréhension. J’ai compris que je faisais fausse route si je dessinais les contours d’un monde dont mes enfants n’attendaient rien. Ils m’ont aidé à retrouver la manière de voir le monde qui était la mienne à leur âge et qui est la mienne aujourd’hui. 

Que pensez-vous de l’engagement des jeunes pour sauver la planète ?

Je crois que nous sommes en train de vivre un moment très particulier où les mécanismes de transmission s’inversent. Les plus jeunes générations constituent la pointe la plus avancée de notre conscience collective et sont en train de faire évoluer les comportements de leurs propres parents.

Lisez-vous des livres de management ?

Je lis beaucoup et parfois même des livres de management ! Il y a quelques années, j’avais été marqué par la lecture de Delivering happiness, dans lequel le fondateur de Zappos explique comment son obsession de la satisfaction client l’avait conduit à s’intéresser à la culture de son entreprise.

Comment votre livre a-t-il été accueilli par les autres dirigeants ? Par les salariés ? Par les clients ? 

Il a suscité un intérêt allant bien au-delà de toutes mes attentes. Je crois que l’heure était venue pour un message de cette nature. Le hasard a voulu qu’il paraisse quelques jours seulement après le vote de la loi Pacte. Je pense aussi que le chemin parcouru par la MAIF depuis de longues années donne à son dirigeant une légitimité et une crédibilité particulière pour s’exprimer sur ces sujets.

Propos recueillis par Yann Le Galès

« Nous sommes en passe d’inventer un nouveau modèle », affirme Pascal Demurger, directeur général de la MAIF.

Biographie de Pascal Demurger :

1964 : Naissance à Thizy (Rhône). 

1994 : École nationale d'administration (promotion Victor Schœlcher).

1996 : Administrateur civil au ministère de l’Economie. 

2002 : Entre au groupe MAIF, comme conseiller à la direction générale.

2009 : Devient directeur général du groupe.