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Sociétal - Olivier Dussopt
Confiance & dette globale

Olivier Dussopt : Fixer les conditions d’une dette importante mais soutenable

4min
#Confiance & dette globale Débats

Le ministre délégué chargé des Comptes publics, Olivier Dussopt, analyse l’état de la dette française en insistant sur l’évolution favorable de plusieurs paramètres par rapport aux prévisions initiales et même à l’avant-Covid. Olivier Dussopt décrit les différentes catégories de réformes structurelles qui devraient appuyer une stratégie pluriannuelle de désendettement et plaide pour un débat plus public et plus partagé sur un sujet auquel les Français restent attentifs. À la veille de la présidence française de l’Union Européenne (EU), il souhaite avancer sur le dossier des ressources propres et sur de nouvelles règles pour le pacte de stabilité. 

Sociétal.- Quelle est la situation de la dette globale en France en cette fin d’année 2021 ? 

Olivier Dussopt.- On se situe autour de 115% du PIB115% de dette publique. Notre taux d’endettement privé s’élève à 154 % du PIB, dont 86% du PIB pour les entreprises et 68% du PIB pour les ménages. On constate une tendance à l’alourdissement de la dette du secteur public mais aussi une tendance à l’alourdissement de celle du secteur privé, ménages et entreprises. Les entreprises ont vu le poids de leur dette augmenter de 12 points en l’espace d’une dizaine d’années et les ménages ont aussi vu le poids de leur dette progresser d’une dizaine de points sur la même période.  

Cela fait écho à des conditions de financement qui sont devenues meilleures, à la présence de liquidités, au développement de produits de crédit beaucoup plus accessibles pour les ménages. Pour les entreprises, la dette nette n’a paradoxalement pas augmenté avec la crise de la Covid-19. On est sur une augmentation de moins d’un point car en réalité leur encours de dette s’est accru avec le Prêt Garanti par l’État (PGE), mais la trésorerie des entreprises s’est améliorée dans la même période, ce qui démontre que les PGE ont été souscrits mais pas consommés et que les entreprises allaient bien.  

Cette tendance à l’alourdissement de la dette globale, tant côté public que privé, est le fruit d’une période assez longue, mais pas l’effet d’un accroissement pendant la période Covid. 
 
Par rapport à nos voisins européens, comment la France se situe-t-elle en termes de dette globale ? Est-elle un cas particulier ? 

On est dans un cas de figure assez particulier puisque la dette des agents privés, ménages et entreprises, se situe à un niveau supérieur à la moyenne en Europe. Pour le taux d’endettement des agents non financiers privés qui atteint 131% du PIB dans la zone euro, la France pointe à 154%. On est sur des niveaux qui ressemblent plus à ceux des États-Unis, du Japon et du Royaume-Uni qu’à ceux de la zone euro.   

Quelle est l’ampleur de la dette Covid ?

Seuls l’État et la Sécurité sociale la portent puisque la dette des ménages ne s’est pas significativement accrue pendant la période de la Covid-19 et que la dette nette des entreprises est restée stable. Les deux acteurs de la dette qui ont vu leur dette s’accroître sont l’État et la Sécurité sociale.  

La crise sanitaire a provoqué pour l’État une dette spécifique d’environ 165 milliards d’euros et pour la Sécurité sociale une dette spécifique d’à peu près 90 milliards d’euros. Ce dernier montant correspond au plafond de transfert de la Sécurité sociale vers la CADES tel que voté par la loi organique d’août 2020, et pour l’État nous avons mis en place dans la loi de finances pour 2022 un mécanisme d’amortissement de la dette Covid en réactivant un outil qui existait avant la crise, la Caisse de la dette publique, dans laquelle on a décidé de flécher dans le budget de l’État un pourcentage des recettes fiscales supplémentaires d’une année sur l’autre, obtenues grâce à la croissance de l’activité.  

L’année prochaine, sur la base d’une estimation initiale de croissance à 6% en 2021 et 4 % en 2022, nous avons décidé que 6% des recettes fiscales nouvelles seraient affectés à l’amortissement de la dette Covid, ce qui représente un flux d’1,9 milliard d’euros du budget général vers la Caisse d’amortissement. L’objectif est que d’ici 2042, la dette Covid de l’État soit amortie. 

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) regrette un effort de désendettement insuffisant. Comment réagissez-vous ? 

Il y a un certain nombre d’analyses ou d’avis qui considèrent que nous devrions consolider les comptes publics et donc rembourser et amortir la dette Covid plus rapidement et revenir à un niveau de déficit public de 3% plus rapidement. Nous avons préféré faire un choix à la fois d’efficacité et de raison. L’efficacité c’est le soutien à la croissance : nous ne voulons pas répéter l’erreur qui a été commise après la crise de 2010 lorsque la volonté de consolider très rapidement s’est traduite par un choc fiscal sur les entreprises, sur les ménages en 2010, puis sur les entreprises en 2012-2013, suivi d’une cure d’austérité budgétaire. Le résultat de ces deux erreurs post-2010 a été une croissance atone pendant plusieurs années, un taux de chômage à 10% et une augmentation de la dette publique de 20 points. 
Nous avons fait le choix du « quoi qu’il en coûte » et d’un redressement progressif qui soutient la croissance. Résultat de notre gestion de la crise : un taux de chômage à près de 8%, soit moins qu’avant la crise, une croissance à 6,25% alors que les différents organismes de prévision (FMI, Commission européenne, etc.) font plutôt le pari de 6,5 à 6,8% et une augmentation de la dette publique certes, mais à hauteur de 13 à 14 points, donc moins que les 20 points post-2010.  

Par ailleurs, parce qu’un objectif n’empêche pas l’autre, on travaille aussi à la réduction des déficits publics. On fait le choix du soutien à la croissance, à la relance, de financer des mesures de protection des Français comme l’indemnité inflation avec 3,6 milliards d’euros, de financer des mesures d’avenir comme le plan 2030. Et notre trajectoire s’est améliorée par rapport à notre prévision de fin de crise puisqu’au début d’année lorsque j’ai présenté le programme de stabilité et la loi de finances rectificative de 2021, nous avions une hypothèse de déficit de 9,4% dans le projet de loi de finances pour 2021, contre 8,2% aujourd’hui. Cette hypothèse de déficit à 8,2% malgré les dépenses auxquelles nous procédons pour répondre à des besoins, c’est un déficit calculé sur la base d’une hypothèse de croissance à 6,25%. Or, si les prévisions du FMI, de la Banque de France, de l’Insee, et de la Commission européenne, qui tablent sur une croissance entre 6,5% et 6,8% s’avèrent justes, cela va générer des recettes supplémentaires, qui seront immédiatement affectées à la réduction du déficit public de 2021. J’ai donc espoir que l’on constatera un déficit public inférieur à 8,2%, plutôt autour de 8%. 

Et de la même manière en 2022, nous aurons un déficit inférieur ou égal à 5%. Le fait de passer en deux exercices de 9,1% en 2020 à 5% en 2020 est quand même significatif quand on sait que la crise sanitaire a continué.

Que répondez-vous aux partisans de l’annulation de la dette de la dette Covid ? 

Cela relève de l’irresponsabilité et de l’illusion. Une dette se rembourse, c’est du bon sens. D’abord la France a toujours fait face à ses engagements financiers. La dernière fois où la France a fait défaut c’était en 1812. Et depuis, malgré plusieurs conflits, des guerres mondiales, les années 30 et la crise du pétrole, nous avons toujours fait face à nos engagements. Même si nous avons une dette importante, notre endettement est soutenable dans la mesure où notre capacité à faire face à nos engagements, la confiance que nous portent les marchés, se traduit par des emprunts à de bonnes conditions.  

Je rappelle que dans des contextes un peu différents, avec une inflation très basse, en 2020, nous avons emprunté en moyenne pour les obligations à 10 ans à – 0,12%. À la fin de l’année% tandis qu’en 2021, nous empruntons à 0,14%-0,15% environ, alors qu’on connait une reprise inflationniste et une reprise de croissance très importante.  

Cette capacité à emprunter à des taux aussi bas et donc à avoir une dette importante mais soutenable, n’est que le signe de la confiance que nous font les marchés. Et pour cela, au moins deux impératifs sont nécessaires : d’abord être au rendez-vous des engagements, lorsqu’une obligation arrive au terme, il faut la rembourser et honorer la charge de la dette chaque année en payant les intérêts que l‘on doit à nos créanciers et puis, deuxième impératif, nous inscrire dans une trajectoire de redressement qui soit assez convergente avec nos partenaires de la zone euro parce que tout décrochage par rapport à d’autres pays de la zone euro serait vu comme un signe de décrochage durable et serait l’occasion d’une perte de confiance de la part de nos investisseurs.  

Mais aujourd’hui, peut-être parce que la croissance est forte, mais aussi parce qu’on est dans cette logique de normalisation des finances publiques, même si l’Allemagne emprunte toujours à des taux légèrement plus intéressants que nous, tout au long de cette année 2020, malgré une légère remontée des taux de tous les pays, l’écart de taux entre nos deux pays a peu évolué, il est resté dans la même moyenne qu’avant la crise. Cet écart, qu’on appelle spread, est resté globalement le même avec l’Allemagne, ce qui est plutôt significatif d’un arrimage et d’un signe de confiance des marchés.  

Avec cette problématique que vous avez décrite, comment arrive-t-on à trianguler entre la soutenabilité d’une stratégie de désendettement et le maintien de la confiance dans notre économie de nos voisins et de nos partenaires à l’international ? 

C’est faire ce qu’on a dit. On a répondu massivement à la crise et cela se traduit par quelques chiffres. En 2020, alors que l’État perdait presque 40 milliards d’euros de recettes fiscales, on a engagé 70 milliards d’euros de dépenses exceptionnelles, pour aider les hôpitaux, payer le fonds de solidarité, des aides d’urgence et l’activité partielle, et en 2021 on a engagé aussi 71 milliards d’euros.  

Faire ce qu’on dit c’est à la fois répondre massivement parce qu’on s’y est engagé mais aussi arrêter les dispositifs d’urgence quand ils n’ont plus lieu d’être. C’est la raison pour laquelle nous avons annoncé avec Bruno Le Maire que nous mettions fin au dispositif de prise en charge des coûts fixes et du fonds de solidarité. Nous savons faire maintenant du cas par cas pour les entreprises qui seraient durablement exposées à l’une des conséquences de la crise sanitaire mais, pour le reste, nous savons que les entreprises ont retrouvé leur activité, nous avons récupéré au mois d’octobre le niveau d’activité de fin 2019 alors que nous pensions revenir à ce niveau plutôt fin 2022.  

Nous revenons à une prise en charge de l’activité partielle avec des niveaux de prise en charge par l‘État et de reste à charge pour les entreprises identiques à ceux d’avant la crise à l’exception des entreprises qui s’inscrivent autour d’un accord d’activité partielle de longue durée.  

Dans la préparation du budget pour 2022 et de la loi de finances rectificative de fin de gestion pour 2021, on n’hésite pas à annuler des crédits qui étaient ouverts pour répondre aux mesures d’urgence. Dans la loi de finances rectificative, nous avons annulé par exemple 3,5 milliards d’euros consacrés à l’urgence. Prendre ces décisions c’est aussi envoyer des signaux en veillant à ce que les crédits exceptionnels non utilisés, surtout non nécessaires, soient annulés pour ne pas provoquer de la dépense inutile. 

Dans le même temps, lorsqu’on regarde l’exercice 2021, on a le plan de relance qui se met en œuvre au rythme que l’on avait annoncé. Les mesures d’urgence qui ont aidé les entreprises qui en avaient besoin ont été mises en œuvre efficacement.  

Nous parvenons par ailleurs à maîtriser nos dépenses ordinaires. Sur ces dernières, Dans la loi de finances initiale pour 2021, il était prévu que cette norme de dépenses, dites pilotables, s’établisse à 290,5 milliards d’euros et, en mettant à part des compensations de pertes de recettes pour certains opérateurs et l’indemnité inflation qui sont des dépenses exceptionnelles, nous respecterons cette norme. Hors mesures d’urgence et hors plan de relance, la norme de dépenses est exécutée au niveau où on avait prévu qu’elle soit exécutée au début de l’année 2021, ce qui est aussi significatif de la maîtrise de nos dépenses et de nos prévisions. 

Excluez-vos toute hausse des impôts et même une sorte la création d’un impôt Covid recommandé par certains économistes ? 

La ligne du gouvernement est de ne pas augmenter les impôts, et même de les baisser. Et on sait que lorsqu’on crée des contributions exceptionnelles, elles n’ont d’exceptionnelles que le nom. Par exemple la contribution sur les très hauts revenus créée par Nicolas Sarkozy après la crise de 2010 devait durer deux ou trois ans et elle existe aujourd’hui et personne n’envisage de la supprimer. Et c’est le cas pour d’autres impositions ou taxes exceptionnelles. Notre ligne est de considérer qu’on ne sort pas d’une crise en augmentant les impôts : cela a été essayé en 2010 et en 2012 et cela n’avait pas marché.  

Nous maintenons notre principe ferme d’abaissement des prélèvements obligatoires et cela participe de notre crédibilité. Le président de la République quand il était candidat avait indiqué qu’il souhaitait que le niveau des prélèvements obligatoires soit diminué d’au moins 1 point et nous étions alors à 45,1 % de taux de prélèvements obligatoires. En 2022, nous serons à 43,4 %, soit 1,6 point de diminution du poids des prélèvements obligatoires sur l’économie.  

Et cela se traduit très concrètement par le fait qu’à l’échelle du quinquennat nous aurons réussi deux choses : effacer les effets des deux chocs fiscaux de 2009 et de 2012 sur les ménages puis sur les entreprises car avec 43,4 % de taux de prélèvements obligatoires, on revient à un taux identique à celui d’avant la crise systémique de 2009-2010. Les impôts auront baissé de 50 milliards d’euros sur le quinquennat, la moitié pour les ménages, l’autre pour les entreprises.  

Pour les entreprises, c’est une baisse de 10 milliards des impôts de production et de 15 milliards d’euros s’agissant des exonérations de cotisations fiscales et de baisse du taux de l’impôt sur les sociétés. Pour les ménages, c’est pour l’essentiel la baisse de la taxe d’habitation à hauteur de 18 milliards d’euros, la baisse de l’impôt sur le revenu uniquement pour les ménages imposés dans la première et dans la deuxième tranche pour 5 milliards d’euros et la réforme de la fiscalité du capital pour 2 milliards d’euros.  

On est assez loin de des caricatures de mesures en faveur des plus aisés. Et en même temps pour ceux qui ne paient pas d’impôt, nous avons fortement revalorisé les minima sociaux, c’est-à-dire plutôt les revenus de remplacement avec une augmentation de 100 euros du minimum vieillesse, ce qui représente une augmentation de 13% pour le porter à un peu plus de 900 euros, et avec une augmentation de 100 euros pour l’allocation aux adultes handicapés.  

L’attention du Gouvernement en matière de revalorisation des minima sociaux se porte vers ceux qui sont plus que durablement éloignés du marché du travail. Et pour les non imposables en emploi, c’est aussi ce gouvernement qui a augmenté la prime d’activité de 100 euros à hauteur du Smic, ce qui marque aussi une volonté très forte de revaloriser les revenus du travail.

Quelles sont les réformes structurelles qu’il faudrait à l’avenir engager pour assurer le désendettement ? 

Il y a trois catégories de réformes à mettre en œuvre. Il y a d’abord des réformes qui ne sont pas très visibles, pas très médiatiques, mais très importantes parce qu’elles participent à la modernisation de l’action publique, qui s’accompagne souvent de gains d’efficience et de gains d’efficacité. Nous travaillons sur les conditions d’unification du recouvrement pour être plus efficaces et donc obtenir plus de recettes publiques sans augmenter les impôts. Nous veillons simplement à ce que chaque acteur paye ce qu’il doit, tout simplement. Nous travaillons également pour moderniser les versements de l’État, s’agissant en particulier des avances immédiates sur certains crédits d’impôts. Nous améliorons nos méthodes de fonctionnement internes, avec notamment un plan achat pour améliorer la fonction achat de l’État. Ce sont autant de travaux très techniques, peu visibles, mais qui sont très utiles. 
 
La seconde catégorie de réformes relève de la revue de dépenses : nous réinterrogeons un certain nombre de politiques. Un dispositif peut être extrêmement utile pendant plusieurs années puis perdre de l’opportunité sans être profondément remis en cause. Il faut savoir régulièrement réévaluer les outils de nos politiques publiques. A titre d’exemple, s’agissant des dépenses fiscales, nous défendons pied à pied au Parlement le fait de limiter dans le temps les dispositifs de crédit d’impôt. Le fait de les borner et de leur donner une date de fin de vie avec la possibilité de les prolonger, cela permet une évaluation avant une éventuelle prolongation.  

On s’aperçoit en effet que certaines dépenses fiscales coûtent cher pour une efficacité douteuse :  il y a des effets d’aubaine et l’argent peut être mal dépensé. J’intègre dans cette catégorie des revues de dépenses la réforme des retraites même si elle a un caractère très particulier dans le sens où c’est à la fois une dépense très importante mais elle n’est pas simplement une revue quantitative de la dépense. Au-delà, il y a la question de l’adaptation de notre système de retraites à des carrières désormais plus hachées, la réparation des dégâts que cause la multiplicité des systèmes de retraites pour les polypensionnés, la prise en compte de la précarité, et la nécessité de construire une réforme qui tienne compte des carrières différentes et notamment des questions de pénibilité. Cela nécessite donc du temps de réflexion et de préparation. 

Enfin, la troisième catégorie de réformes relève de la gouvernance des finances publiques et nous sommes très heureux que la proposition de loi organique portée par Laurent Saint-Martin et par Éric Woerth sur les finances publiques ait été définitivement adoptée par le Parlement. Ce texte permet au Parlement ainsi qu’au Gouvernement d’avoir des outils de pilotage de la dépense publique, des obligations d’explication des écarts qui sont aussi de nature à faciliter un pilotage plus fin de la dépense publique et à faciliter un débat plus éclairé sur le niveau de la soutenabilité de la dette. 

Cette révision de la LOLF prévoit chaque année un débat sur la dette avant la discussion du projet de loi de finances… 

Oui, le gouvernement est tenu de rendre un rapport au Parlement en amont sur l’état de la dette avant l’examen du budget de façon à ce que le Parlement soit informé et débattre lui-même de la dette. Elle va également permettre au Parlement de mieux appréhender l’ensemble de la dépense publique, y compris celle des collectivités locales qui, en termes de flux financiers et d’outils fiscaux, est pour le moment éclatée. 

Outre la dette, la proposition de la loi organique prévoit la possibilité d’avoir un temps de débat sur le financement des collectivités locales de manière regroupée, synthétique et donc consolidée. 

Y-a-t-il une incidence de l’endettement des collectivités territoriales sur la stratégie de désendettement au niveau de l’État ? Y-a-t-il des réformes à attendre de ce côté-là ?

D’abord, des trois acteurs de l’action publique, les collectivités locales sont celui qui est le mieux protégé de la crise. Le déficit de l’État a augmenté de presque 130 milliards d’euros en 2020, celui de la Sécurité sociale a cru de plus de 30 milliards et les collectivités locales de manière agrégée sont passées d’un excédent d’1,2 milliard d’euros à une situation à l’équilibre. Tant par le volume que par le fait d’être à l’équilibre, on voit bien que c’est le pilier de l’action publique le mieux protégé. En 2021, les recettes de fonctionnement des collectivités augmentent de 3,5% et certaines progressent particulièrement, les droits de mutation par exemple, dans les départements comme dans les communes. Cela se traduit par une augmentation de leur capacité d’épargne : les collectivités locales ont un niveau d’épargne brute en 2021 de 16% supérieur à celui de 2019 d’avant la crise et donc ces collectivités vont bien. Leur participation à la relance se manifeste par leur participation aux investissements. 

Depuis le début du quinquennat, nous adoptons une ligne de confiance vis-à-vis des collectivités. Nous avons demandé aux élus de modérer leurs dépenses de fonctionnement et ils l’ont fait. Le contrat de Cahors qui s’est appliqué en 2018-2019 et qu’on a suspendu avec la crise avait comme objectif de limiter l’augmentation des dépenses de fonctionnement à 1,2% par an. Cela n’a jamais été supérieur à 1% pendant les deux années du contrat. Les élus ont démontré qu’ils ont été responsables. En contrepartie, nous avons maintenu les dotations alors qu’elles avaient baissé de 11 milliards de 2014 à 2017. Nous souhaitons avoir une vision pluriannuelle qui consiste à dire que dès lors qu’il y a modération de la part des collectivités, il y a stabilité de la part des dotations de l’État. Et c’est avec cet objectif que nous voulons envisager les années qui viennent. 

La commission Arthuis sur l’avenir des finances publiques proposait d’aller plus loin que la proposition de la loi organique Laurent Saint-Martin-Éric Woerth en préconisant un renforcement du Haut Conseil des finances publiques et en demandant l’organisation d’une Conférence nationale des finances publiques… 

Le rapport de Jean Arthuis et de sa Commission est un rapport de qualité mais comme pour tous les rapports les propositions d’un rapport n’engagent pas le gouvernement. Nous souhaitons que ce rapport soit mis en œuvre mais il y a des propositions que nous ne reprenons pas. 
Le Haut Conseil des finances publiques dans le cadre de la proposition de loi organique voit ses prérogatives renforcées. Il va pouvoir notamment exiger du gouvernement d’expliquer la différence entre la trajectoire pluriannuelle et la réalisation ou la proposition de PLF de telle ou telle année telle que portée par le Gouvernement. Et si le gouvernement ne tient pas sa trajectoire en termes de dépenses, de déficit, le Haut Conseil sera fondé à demander de documenter, d’expliquer les écarts à la prévision.  

De la même manière, le Haut Conseil sera fondé à donner un avis sur les différentes lois de programmation pluriannuelles thématiques et leur compatibilité avec la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. C’est utile parce que cela permet de mieux comprendre l’impact que peut avoir un engagement pluriannuel de l’État sur tel ou tel secteur ministériel par rapport à sa trajectoire de finances publiques qui par nature concerne tous les ministères.  

À l’occasion de la campagne présidentielle, des voix pourraient s’élever pour demander un audit de l’état de la dette. Qu’en pensez-vous ?

L’audit, il existe. Cet audit il s’appelle… le Parlement avec à chaque fois la volonté du Gouvernement d’associer le Parlement à ses décisions pendant la période de crise tant sur les questions financières - nous avons présenté au Parlement quatre projets de loi de finances rectificative en 2020, deux en 2021- que sur les questions sanitaires puisque le Parlement français a été le seul à avoir été consulté 11 ou 12 fois sur les questions d’urgence sanitaire, de pass sanitaire, de contraintes d’état d’urgence sanitaire.  

La France est le pays qui a le plus consulté et le plus fait voter le Parlement sur les mesures de lutte face à la Covid-19. Par ailleurs les avancées que contient la proposition de loi organique notamment avec le débat annuel sur la dette répondent aussi à cette préoccupation.  

Quand on entre dans une campagne électorale, c’est la mode de demander des audits, mais c’est aussi la mode de dire le contraire de ce que l’on fait. Une candidate à l’élection présidentielle accuse ainsi le Gouvernement d’« avoir cramé la caisse » mais la même, présidente d’une autorité de transport, l’IDFM, est très contente d’avoir bénéficié en 2020 d’1,2 milliard d’euros d’avances remboursables à taux zéro et de 200 millions de subventions et de bénéficier en 2021 de 800 millions d’euros d’avances remboursables même si elle avait demandé initialement 1,4 milliard. Parfois ceux qui nous accusent d’« avoir cramé la caisse » sont les premiers à nous demander beaucoup d’argent pour les accompagner dans leurs autres activités que l’élection présidentielle.   

La France a bénéficié d’un plan de relance d’ampleur inédite dans son histoire grâce à l’UE. Pourra-t-on compter sur nos partenaires européens pour mutualiser et rembourser la dette et comment ? 

Avec cette crise et grâce au président de la République et à la chancelière allemande, l’Europe a franchi un cap en matière de solidarité et de mutualisation des risques avec l’autorisation pour la première fois donnée à l’UE de contracter des emprunts elle-même sur les marchés et avec conséquence positive à cela, un engagement des États membres à doter l’UE de nouvelles recettes et de ressources propres.  

Nous sommes très confiants sur la capacité que nous aurons à débloquer les 40 milliards du plan national de relance et de résilience (PNRR) qui sont prévus pour la France. Nous aurons des jalons, mais nous atteignons ces jalons. Nous avons déjà perçu à très court terme 5,1 milliards d’euros sur les près de 40 milliards et, nous venons de demander un deuxième versement de 7,4 milliards d’euros en nous appuyant sur les jalons qui ont déjà été atteints et des dépenses qui ont été engagées dans le cadre du plan de relance.  

La question qui va se poser et qui va être cruciale dès la présidence française de l’UE est celle de la définition des ressources propres. En matière de taxation internationale et de taxation du numérique, les chantiers qui sont ouverts et qui avancent bien au niveau de l’OCDE ferment un peu cette piste au niveau des ressources propres de l’UE. La France est donc sur une position qui consiste à prioriser la recherche de ressources propres autour de mécanismes appuyés sur une base environnementale, que ce soit les systèmes d’échanges de quotas ou les mécanismes d’ajustement aux frontières.  

Il n’y a rien de simple mais c’est important pour que l’Europe fasse ce qu’elle a dit et tienne ses engagements en termes de remboursement car l’Europe devra rembourser les emprunts qu’elle a contractés à partir de 2028 et, à défaut de ressources propres, ce seront les pays membres qui seront mis à contribution pour rembourser. Donc tout le monde a intérêt à ce que ce chantier des ressources propres avance. 

De nouvelles règles devront-elles être mises en place au niveau européen ? 

Le commissaire Paolo Gentiloni a ouvert ce débat-là en considérant que les critères du pacte de stabilité devaient être révisés du fait de la crise. Je ne vais pas lister tous ces critères mais celui des 60 % de dette publique n’est plus opérant aujourd’hui. La moyenne de la dette publique des États membres est un peu supérieure à 100% avec des États membres qui sont légèrement au-dessus de 60% et d’autres à 200%. Il faut qu’on puisse redéfinir ces règles et nous plaiderons pour qu’elles soient les garantes d’une maitrise des comptes publics mais qu’elles soient assez souples et intelligentes pour que la trajectoire de chacun des États puisse être cohérente. 

La question de la dette ne semble pas intéresser les Français. Comment pourrait-on y remédier ? 

C’est très paradoxal. Peut-être en raison de mes fonctions de ministre chargé des comptes publics, lorsque je sors de mon bureau et encore plus lorsque je rentre en circonscription, on me parle beaucoup de la dette et on me demande souvent comment on va payer et comment on fera face à nos engagements.  

Je ne suis pas convaincu que les Français se désintéressent de la dette et de la capacité de la France à faire face aux crises. Pour voyager assez fréquemment en Europe ces dernières semaines dans le cadre de la préparation de la présidence française de l’UE, je peux mesurer combien les pays qui n’ont pas pu gérer cette dette ou ont connu des déséquilibres de finances publiques l’ont payé très cher. Prenons le cas de la Grèce où j’étais il y a quelques jours. Ce pays avait un salaire minimum à 750 euros par mois en 2010, puis en l’espace de 8 ans, entre 2010 et 2018, soit après trois plans d’ajustement, le salaire minimum a été diminué de 22% et aujourd’hui ce salaire minimum qui était descendu à 530 euros remonte progressivement et sera à la fin de l’année 2021 à 660 euros, soit le niveau de 2007. On mesure les conséquences que peut avoir une explosion des finances publiques dans un pays y compris de la zone euro comme la Grèce.  

Je pense qu’il y a une inquiétude sur ce sujet de la dette. Face à cette préoccupation, on peut être rassurant parce qu’on est solide. Mais pour être solide, il faut avoir des forces. Être solide comme on l’a été pour répondre à la crise nécessite aussi de reconstituer nos forces et de mettre à profit les périodes de croissance et les périodes d’entre-crise pour reconstituer des réserves si l’on veut être en mesure de répondre aussi puissamment à une nouvelle crise, quelle que soit sa nature, quelle que soit son origine, dans les années qui viennent.