C’est un fait – l’entreprise politique est là. Celle dont on attend qu’elle prenne parti à haute et intelligible bien au-delà de ses prérogatives traditionnelles. Elle est confrontée, en particulier, à des attentes toujours plus fortes en termes de diversité et d’inclusion. Va-t-on trop loin ?
Diversité et inclusion, les mots-valises de notre époque On pouvait, en lisant l’ouvrage de Pascal Demurger L’entreprise du XXe siècle sera politique ou ne sera plus, être sceptique sur la probabilité qu’une organisation vouée à créer du profit porte haut et fort des sujets sociétaux, voire politiques.
Mais voilà : d’après un sondage dévoilé par Havas Paris et IFOP "Les Français, les entreprises et la République", publié en 2021, 80% des Français-es font confiance aux PME (et 46% aux grandes entreprises) pour défendre les valeurs de la République – contre seulement 25% aux partis politiques, 38% aux syndicats et 27% aux médias !
Au-delà d’un recrutement plus ouvert, la création volontariste d’un environnement de travail épanouissant
Une des illustrations de ce changement de paradigme est certainement l’irruption de sujets de diversité et inclusion de plus en plus spécifiques et complexes dans le champ de l’entreprise. Certes, on peut y voir une énième démonstration de la formidable capacité du capitalisme à enfanter la réponse à ses défauts, surtout en pleine pénurie des talents. On peut aussi rappeler que l’hostilité à ces sujets croît tout autant et que certain-es dirigeant-es se disent « fatigué-es » des revendications féministes. Reste que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à chercher des moyens d’agir sur des sujets qui étaient jusqu’ici associés à la sphère régalienne (temps de travail, discrimination, santé mentale) ou individuelle (racisme, propos sexistes, neurodiversité).
D’ailleurs, ces dernières années sont moins marquées par la diversité que par l’inclusion : au-delà d’un recrutement plus ouvert, la création volontariste d’un environnement de travail favorable et épanouissant pour tout le monde. Dès lors, la couleur de peau, l’orientation sexuelle, les genres, l’origine sociale, sont autant de questions sur lesquelles des propositions ambitieuses sont alors attendues de pied ferme.
Les jeunes générations démissionnent des entreprises qui ne leur correspondent pas, ou se désengagent silencieusement
Grand pouvoir, grandes responsabilités
Evidemment, tout cela peut sonner comme une nouvelle injonction, une responsabilité quasiment illimitée de l’entreprise et, surtout, une transformation qui ne va pas sans son lot d’inconfort. Si bien que les dirigeant-es peuvent légitimement se demander : est-ce bien notre rôle ?
Une première réponse à cette question se situe dans la force des mouvements sociétaux qui grondent. Les jeunes générations sont là, qui souhaitent remettre le travail à sa juste place : démissionner et se réinventer loin des entreprises qui ne leur correspondent pas, ou se désengager silencieusement. Saurons-nous être à la hauteur ?
Par ailleurs, s’il est vrai que l’entreprise ne peut pas tout faire car tout ne se joue pas en son sein, elle a néanmoins maintes fois prouvé que, lorsque son intérêt y réside, elle sait intervenir hors les murs et peser de tout son poids. On l’a vu, on le voit encore, concernant la régularisation de travailleur-ses étranger-ères, l’accueil de réfugié-es, ou encore la sensibilisation dans les collèges pour susciter des vocations loin des clichés classistes et sexistes.
L’opportunité de créer son propre modèle
En d’autres mots, si l’entreprise cristallise autant d’attentes et aussi fortement, c’est précisément parce qu’elle a déjà su s’en montrer digne. Maintes fois a-t-elle prouvé sa capacité à transformer des comportements individuels et des imaginaires collectifs pourtant multimillénaires – en employant massivement des femmes pendant la guerre, en sensibilisant au racisme ou à l’homophobie, en appliquant des quotas, en truffant sa communication de symboles progressistes, etc. C’est précisément parce que l’entreprise sait faire, qu’on compte (entre autres) sur elle. Grand pouvoir, grandes responsabilités.
Ces sujets politiques qui frappent à notre porte constituent une opportunité
Jusqu’où faut-il aller ? se demandent celles et ceux qui ploient sous tant de confiance, et lorgnent avec inquiétude vers l’oncle Sam, avec ses réseaux de collaborateurices noir-es et ses salariées accompagnées dans un état voisin pour avorter en toute sécurité. Nous irons jusqu’aux lignes que, en échange constant avec les salarié-es et le reste des parties prenantes, nous aurons tracées. Car ces sujets politiques qui frappent à notre porte avec vigueur, parfois avec colère, constituent une opportunité pour chaque organisation de dessiner dès aujourd’hui un modèle qui lui ressemble, plutôt que d’attendre d’être acculée par l’urgence, la crise, le boycott, le bashing. C’est l’occasion de créer les conditions de sa propre transformation, volontaire et souple. Dire où on s’arrête. Où on commence. Et commencer. Cela demande du courage, évidemment.
Mais n’en n’avons-nous pas ?
Par Alexia SENA