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Sociétal - Jérôme Fourquet & Mathilde Lemoine

Jérôme Fourquet, analyste politique et directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » à l’Ifop, et Mathilde Lemoine, Cheffe économiste du groupe Edmond de Rothschild, étaient le 28 mars les intervenants d’une conférence Sociétal sur le thème « L’état de la France : comment résoudre l’équation économique et sociale ? » organisée à l’Institut de France en partenariat avec l’Académie des Sciences morales et politiques.

Ils ont repris leur Grand Dialogue pour la présente revue, Jérôme Fourquet du point de vue de l’opinion, Mathilde Lemoine sous l’angle de l’analyse économique. Ils analysent notamment les raisons de la désindustrialisation et les nouveaux visages du secteur des services et de la classe moyenne. Ils alertent aussi sur la vision élitiste du système de formation français et sur le manque d’investissement et d’accumulation du capital. Au-delà de constats partagés sur le fossé grandissant entre grands gagnants et laissés pour compte qui alimente le sentiment de déclassement, Mathilde Lemoine insiste sur les choix de politique économique qui sous-tendent cette situation dégradée et appelle à la définition pour commencer de quelques objectifs clairs.

Propos recueillis par Aude de Castet et Philippe Reiller

 

SOCIÉTAL.- L’organisation du travail, nos modes de consommation, plus généralement la structuration de l’économie française ont été profondément bouleversés depuis quarante ans. Quels constats tirez-vous de ce grand chamboulement l’un et l’autre chacun dans votre spécialité et avec votre regard ?

Jérôme Fourquet.- Au cours de ces quatre dernières décennies, la France a été marquée par le changement de son modèle économique avec le passage d’une économie qui était encore centrée au début des années 80 autour de la production, l’industrie et l’agriculture, pour de plus en plus pivoter sur une économie organisée autour de la consommation, du tourisme, des loisirs, des services.

Tout cela a eu des conséquences importantes sur la physionomie des classes sociales, typiquement les catégories populaires n’ont pas disparu, mais le prolétariat de la société post-industrielle est très différent de celui d’une société industrielle et la crise des gilets jaunes nous l’a montré. Cela a entrainé des conséquences en termes d’aménagement du territoire, beaucoup de bassins industriels sont aujourd’hui en crise et le cœur battant de l’économie ne se situe plus dans ces zones, mais sur les littoraux touristiques et dans les zones commerciales de périphérie. Cela a donc aussi changé nos paysages, l’organisation du territoire. Cela touche également nos imaginaires et nos représentations avec bien sûr son lot de de conséquences politiques. On peut relier les bouleversements électoraux auxquels on assiste à la transformation très profonde de nos structures économiques opérées depuis les dernières décennies.

Vous faites donc un lien entre la poussée des partis extrémistes et cette recomposition géographique et économique ?

Jérôme Fourquet.- Ce n’est pas le seul facteur et la montée des partis extrémistes n’est pas la seule traduction électorale. Le développement d’autres courants politiques comme l’écologie ou le techno-libéralisme du macronisme sont à relier aussi avec les évolutions de longue durée auxquelles on a assisté en matière de superstructures économiques.

Comment caractériseriez-vous cette période pour la France ? S’agit-il d’une nouvelle France ?

Mathide Lemoine.- Je ne parlerai pas de nouvelle France. Mais plutôt d’une France qui a considérablement évolué, je mettrai en avant son européanisation et la mondialisation. Notre pays a d’abord évolué en s’ouvrant à l’Europe. L’évènement marquant du marché unique s’est traduit par l’opportunité de développer ses importations et ses exportations, cela a permis un accès à des biens jusqu’alors réservés à quelques-uns et surtout un positionnement de l’Europe dans le monde avec ses valeurs.

Le deuxième phénomène très puissant depuis les années 80 a été la mondialisation. L’effet conjugué des deux mouvements s’est traduit par une ouverture internationale qui représentait 64% du PIB en 2019 contre 44% dans les années 1980.
Et la France s’est distinguée de ses partenaires européens puisque cela s’est traduit par une désindustrialisation plus massive, mais qui n’en est pas une en réalité. Si le poids de l’industrie dans l’économie a diminué pour atteindre 13%, c’est parce qu’elle a été extraordinairement performante. La productivité a été telle que c’est son prix dans la valeur ajoutée qui a baissé, un phénomène que l’on n’a pas observé en Allemagne, en Espagne et en Italie. En revanche, cette industrie très performante s’est concentrée sur quelques entreprises et quelques secteurs, et je rejoins Jérôme Fourquet en constatant qu’il y a trop de laissés pour compte dans cette formidable réussite française en Europe et dans le monde. C’est comme si quelques leaders s’étaient imposés sans être parvenus à entraîner le reste de l’économie.

Comment en est-on arrivé à cette désindustrialisation ? A-t-elle changé les paysages et l’électorat ?

Jérôme Fourquet.- On a effectivement quelques grands fleurons industriels qui ont très bien négocié le virage de la globalisation et de la mondialisation. Il ne s’agit pas bien sûr de contester les réussites françaises. On le voit avec les performances de grandes entreprises du CAC 40, on constate également sur les territoires qu’un secteur comme l’industrie du luxe continue d’ouvrir des usines très régulièrement un peu partout en France, mais, derrière ces locomotives qui de mon point de vue sont un peu des villages Potemkine, on a des pans entiers de notre industrie, dans les PME, dans les milieux de tableau, même des grands groupes, qui ont beaucoup plus souffert. Si l’on regarde les statistiques du cabinet Trendeo qui recense les ouvertures et les fermetures de sites industriels, on observe qu’en France, depuis 2008, la France a perdu 940 sites industriels de plus de 50 salariés quand 400 se sont développés ou ont été créés, soit un solde net de moins 540 unités.

Cela se voit très visuellement sur les paysages avec de très nombreux endroits où les usines ont fermé. Il ne s’agit pas forcément d’usines gigantesques, mais une des spécificités de l’industrie française était justement d’être implantée un peu partout sur le territoire et pas uniquement dans le cœur des métropoles. Nous avons publié dans notre livre la carte de ces fermetures de sites qui montre que toutes les régions ont été touchées.

Pour expliquer ce phénomène, on peut avancer plusieurs explications. D’abord, la globalisation s’est traduite par des opportunités d’exportations pour certaines entreprises, mais cela a été l’occasion d’une mise en concurrence avec des pays à bas coûts de main-d’œuvre avec toute la problématique des délocalisations. Ensuite notre modèle français est très protecteur socialement et cela pose le problème du coût et du financement de la protection sociale, ce qui a sans doute grevé une partie de la compétitivité de nos industriels.

Autre facteur : compte tenu de nos coûts de production, des stratégies marketing ou de positionnement de certaines filières n’étaient plus adaptées. On dit souvent cruellement que les industriels français proposent des produits de qualité espagnole à des tarifs allemands ! Dernier élément plus d’opinion, j’ai le sentiment que cette désindustrialisation qui a commencé dans les années 70 et s’est accéléré dans les années 80, 90 et 2000, a concerné aussi d’autres pays, mais qu’en France elle a été prise comme une fatalité, comme une loi historique. De la même manière qu’on avait dit adieu à la mine et à l’agriculture, c’était le temps maintenant de dire au revoir à l’industrie, au secteur secondaire et de passer aux heures joyeuses et glorieuses du tertiaire. On a accompagné tout cela sans forcément réformer nos impôts de production, sans progresser sur la formation professionnelle. C’est au début des années 2000 qu’un capitaine d’industrie, Serge Tchuruk, patron d’Alcatel, une des plus grandes entreprises françaises à l’époque, théorise l’entreprise fabless, sans usines. C’est au début des années 2000, sous le mandat de Lionel Jospin, que le ministère de l’industrie perd son statut de ministère de plein exercice. On passe à autre chose, c’est le sens de l’histoire, il y avait une espèce de consensus un peu mou et d’accommodement avec cette question de la désindustrialisation.

Mathilde Lemoine.- Les calculs de prix-volumes montrent que la baisse de la part de la valeur ajoutée française de l’industrie dans la globalité de l’économie est beaucoup plus forte que celle que l’on peut observer en Allemagne, en Espagne ou en Italie parce qu’il y a des gains de productivité qui sont plus rapides et donc une baisse des prix manufacturés relative plus marquée que celle des autres secteurs de l’économie. Un choix de politique économique a été fait pour privilégier les grandes entreprises ultra-compétitives et sortir par grandes vagues de taylorisme les salariés qui étaient insuffisamment compétitifs ou dont les compétences étaient obsolètes. Comme socialement tout cela a un coût, on a pratiqué des politiques de baisses de charges avec l’objectif de gagner du temps avant de faire sortir ces personnes, trop peu productives,du marché du travail français . La formation professionnelle inégalitaire et peu accessible pour ces travailleurs ne leur a pas offert de protection individuelle. L’idée qui avait été vendue comme une utopie économique, à savoir la formation de ces salariés pour pouvoir rester sur le marché du travail et contribuer à cette expansion française, n’a jamais été au rendez-vous.

Finalement, il existe une petite partie de salariés ultra-productive, dont les salaires ont progressé plus rapidement, qu’on garde sur le marché du travail qui participe de cette spécificité française de gains de productivité augmentés dans l’industrie manufacturière et à côté, il y a tout un marais de gens peu formés, qui travaillent dans les services, percutés par l’ubérisation ou les mini-jobs en Allemagne qui posent aussi question en France.

Le dualisme du maché du travail a participé de la désinflation comme on l’a vu au Japon après la grande récession de 1998. La flexibilité multiplie les travailleurs, sous contrats courts ou à temps partiels, qui n’ont pas accès ou marginalement à la formation. Il en résulte une progression dans le temps plus faible des salaires au fur et à mesure de l’augmentation du nombre de travailleurs précaires, ce qui pèse sur la consommation. En France, on a assisté pendant les années 2000 à une forte augmentation des contrats courts, on multipliait les types de contrats dans une sorte de course à la flexibilité. Il était convenu que la conjugaison des deux piliers - baisse des coûts par la baisse des charges sociales et flexibilité- allait permettre d’être compétitif et de poursuivre cette formidable expansion de l’économie française dans le monde à travers ces quelques entreprises qui ont surperformé.

Cela a participé en fait de la faiblesse de la productivité du reste de l’économie puisque la productivité horaire hors industrie manufacturière reste très faible en France. On ne peut donc pas dissocier l’analyse de la désindustrialisation de celle du reste de l’économie. Prenez l’exemple frappant des moyens de politique économique mis en appui du secteur de la construction, sachant que c’est un secteur faiblement productif. Cela se prolonge dans le plan européen NextGenerationEU : sous prétexte de transition énergétique, beaucoup de moyens sont tournés vers la rénovation des bâtiments. On affecte beaucoup de ressources dans un secteur peu productif sans exigence de formation autre que sécuritaire.

C’est une des explications majeures de ce qu’on appelle la désindustrialisation, un terme que je n’aime pas beaucoup parce que la situation qu’il recouvre est beaucoup plus complexe. D’ailleurs, 50% des emplois directs des entreprises industrielles relèvent des services. Un des enjeux est donc la montée en gamme des compétences, mais il est vrai que la solution de facilité a toujours été choisie, autrement dit la baisse des charges pour éviter des vagues de taylorisme trop importantes et les étaler dans le temps, sans qu’il n’y ait jamais eu la moindre contrepartie de montée en gamme des compétences… sauf dans les « survivantes » industrielles. La France est pénalisée par une proportion de main-d’œuvre non qualifiée plus importante que celle observée dans le reste de l’UE.

Comment caractérisez-vous le secteur tertiaire qui a pris cette place prépondérante ?

Mathilde Lemoine.- Il faut d’abord dissocier les services de la construction et de l’immobilier, un secteur dans lequel on a mis beaucoup de ressources économiques, avec comme conséquences une augmentation des prix et justement une déformation de la consommation des ménages. La part dans la consommation des ménages qui a le plus augmenté depuis vingt ans est le logement au sens large pour en représenter près de 30%.

Je séparerai ce secteur du reste des services. Quand on se penche sur la productivité de l’économie française et que l’on en sort l’industrie manufacturière et la construction, la productivité des services est assez faible. Le véritable problème réside dans le manque d’accumulation de l’investissement. Ce qui participe de la productivité et de la croissance potentielle de moyen terme, c’est l’accumulation de capital, à côté de la productivité du travail et de l’innovation. Si dans les services, par exemple, vous n’avez pas de robots pour nettoyer les sols, la pénibilité des tâches est extrêmement élevée et, au-delà de la désindustrialisation, c’est ce qui participe de la déconnexion totale entre une partie heureuse des salariés, qualifiés, valorisés, et une autre partie qui a souffert de cette tertiairisation.

L’intensité capitalistique par travailleur est trop faible. La comparaison avec les autres pays en matière de supports technologiques et de machines par salarié montre notre retard. Le tertiaire a une productivité, plus de deux fois inférieure à celle de l’industrie. L’accent mis sur les impôts de production, sur le CICE, sur la baisse des charges était indispensable, mais n’a pas permis de contrer l’attrition de notre base industrielle. Sans contrepartie en terme de qualification, cette politique de coût est une fuite en avant ! Dès que survient une hausse du prix du pétrole ou une hausse du prix de l’énergie, comme actuellement, la marge est totalement mangée. Ce que les entreprises ont gagné pour investir est aussitôt avalé par les hausses de prix de l’énergie. On retrouve ici toute la problématique développée par Paul Krugman sur « la dangereuse obsession de la compétitivité ». La compétitivité peut engendrer un appauvrissement par rapport au reste du monde si nous n’y prenons pas garde.

Jérôme Fourquet.- Je suis d’accord avec le caractère très hétérogène du secteur tertiaire. Il y a le secteur de la construction, de l’immobilier, peu productif, mais qui emploie énormément de personnes. C’est lui qui fait tourner des territoires entiers, dans des zones à forte tension immobilière. C’est Laurent Davezies qui parle d’une économie résidentielle : le fait qu’il y ait de la population génère de l’activité. Il faut aussi évoquer la distinction public/privé, on compte 5 millions de fonctionnaires en France, qui forment de gros bataillons du secteur des services, avec des différences de statut par rapport au privé. Ensuite, d’un point de vue sectoriel, des choix globaux ont été faits de manière consciente ou inconsciente. On a poussé les très grands fleurons français qui se sont internationalisés, et, pour le reste, on s’est spécialisé dans des secteurs faiblement productifs, mais qui consommaient beaucoup de main d’œuvre, par exemple avec la fonction publique ou dans l’économie du vieillissement. La France est passée de 2500 à 7500 maisons de retraite avec tout ce prolétariat de la silver économie. Nous avons évoqué aussi dans notre livre la grande distribution, un acteur majeur et un des premiers employeurs français. On a aussi vu se développer le secteur des services à la personne avec la création du Cesu.

Mathilde Lemoine a souligné la diminution du poids de l’industrie dans le PIB et dans le nombre de salariés employés dans ce secteur. De mon point de vue, cela tient au fait qu’on a fermé des usines par centaines, mais aussi au fait que toute une série de tâches qui historiquement étaient internalisées ont été externalisées. C’est typiquement le cas du nettoyage, du gardiennage, de tous les services support, tout cela a été externalisé dans les années 80, 90 et 2000. Ce sont de grands secteurs très consommateurs d’exonérations de charges sur les bas salaires et donc on a créé des jobs qui ne sont plus dans des conventions collectivités de l’industrie, qui sont à faible productivité et qui emploient beaucoup de personnes. Une entreprise de nettoyage comme Onet emploie en France autant de salariés que Renault en France ! C’est ce qu’on pourrait appeler l’extension du domaine de la sous-traitance et d’une « économie orientée client » : gardiennage, propreté, services à la personne, grande distribution, logistique. La France compte aussi 400 000 chauffeurs de poids lourds, soit plus de chauffeurs poids lourds que d’agriculteurs qui sont 380 000.

On mesure ainsi tous ces nouveaux visages des services. Mais il y a aussi des services très compétitifs dans la banque, l’assurance et l’informatique et donc on voit dans ce monde des services une dualité très forte entre des gagnants, des très diplômés, assez productifs et plutôt bien payés, et une armada de jobs très peu rémunérés, à faible productivité et sur lesquels on a énormément investi économiquement et socialement. C’est comme si le développement de tous ces jobs avait été poussé pour éponger les pertes dans l’économie productive.

Dans ces conditions ne faut-il pas tout revoir en matière de compétences et de qualification des salariés ?

Mathilde Lemoine.- Nous sommes totalement en retard et inadaptés dans ce domaine malgré les progrès incontestables introduits par le Compte personnel de formation. Dans une étude que je viens de réaliser pour Terra Nova, nous avons fait une mise à jour synthétique de la situation de la France en matière d’éducation et de formation. Le constat est dramatique et ce, à trois titres. Premièrement, une des ambitions de la France était d’accroitre la part des diplômés, cet objectif est en passe d’être atteint, mais cela s’est fait en excluant de l’éducation un certain nombre de jeunes, on garde une proportion de NEET, de jeunes sans emploi ni formation, beaucoup plus importante que ce qu’on peut voir ailleurs en Europe, et on a beaucoup de mal à réduire leur nombre. Nous pointons ce phénomène à peu près à 16% d’une classe d’âge. Et le maintien de cette situation est inadmissible alors que le constat a été fait au moins depuis une quinzaine d’années. L’enjeu d’une formation initiale non adaptée à une catégorie de jeunes est criant.
Le deuxième problème concerne la qualité de la formation attestée par nos reculs dans les divers classements internationaux, en particulier pour les mathématiques. Par ailleurs, la massification de l’enseignement ne tient pas ses promesses. Il faut en moyenne six générations pour que les enfants d’une famille à faible revenu atteignent le revenu moyen alors qu’il en faut deux ou trois dans les pays du nord de l’Europe, cinq aux États-Unis. De plus, c’est en France que le taux de « surqualification » est le plus élevé des pays européens… mis à part en Roumanie ! Plus d’un jeune français sur trois travaille dans une branche qui ne correspond pas à son niveau de diplôme. Troisième constat, la formation professionnelle reste réservée aux plus diplômés et qualifiés, aux salariés des grandes entreprises et aux plus jeunes. Notre formation professionnelle est inadaptée et fortement inégalitaire. Pourtant d’une part, c’est la compétence moyenne de la force de travail qui permet la diffusion des innovations et son impact positif et significatif sur la croissance potentielle. D’autre part, le vieillissement et les mutations technologiques devraient obliger à comprendre que la formation est un processus dynamique et réellement continu ! Or c’est en France que la dégradation des compétences est la plus rapide avec l’âge, comme le montrent les statistiques PIAAC de l’OCDE. Le système actuel ne permet pas de maintenir les compétences des travailleurs dans le temps. L’augmentation du nombre de diplômés du supérieur ne réglera pas le problème. Dans les pays du nord de l’Europe, le maintien des compétences dans le temps permet de réduire l’écart entre la productivité et le coût du travail chez les seniors. Leur taux d’emploi est en conséquence 40% plus élevé pour cette catégorie d’employés qu’en France !

J’ajouterai qu’en France nous avons une vision très adéquationniste de la formation. Les formations « générales » c’est-à-dire non spécifiques au poste de travail y sont plus faibles qu’ailleurs. L’entreprise ne veut pas prendre en charge le développement des soft skills ni plus curieusement la formation aux technologies, surtout dans les PME et les entreprises de traille moyenne.

Quel a été néanmoins le rôle du Compte personnel de formation (CPF) dans ce contexte ?

Mathide Lemoine.- Ce dispositif qui rencontre un certain succès a amélioré les choses. On constate une réduction des inégalités, car le CPF permet un accès plus important à la formation des moins qualifiés. C’est un progrès, mais cela reste encore marginal par rapport à l’ampleur du problème. Il faudrait un grand plan de formation et d’accompagnement. Car l’autre difficulté est que l’accès est très inégalitaire vis-à-vis des femmes, qui, s’occupant de leurs enfants, ne peuvent pas se former. Il faudrait prévoir pour elles un accompagnement spécifique en termes de garderies.  On a donc des inégalités hommes-femmes qui persistent. Mais le CPF marque malgré tout un progrès.

Jérôme Fourquet.- J’insisterais sur le contraste entre cette réalité objective décrite par Mathilde Lemoine et le discours officiel que l’on nous a servi sur le thème : le niveau monte. Il n’y a pas grand- chose qui a été fait en la matière et les critiques émises au début contre la méthodologie des classements Pisa qui serait mal adaptée à la culture française apparaissent aujourd’hui dérisoires.

Je relèverais aussi qu’on a des systèmes très duals où on met le paquet sur les salariés les plus prometteurs dans l’entreprise. C’est la même chose dans la formation initiale avec une concentration de ressources sur certaines filières d’élite en laissant de côté les gros volumes.

La réussite historique de certains grands fleurons français comme Airbus a été permise, car nous avions un enseignement d’élite qui a produit des ingénieurs de très grande qualité. On a un vrai sujet sur la pérennité de tout cela. Il se pose ainsi aujourd’hui la question des compétences dans la filière électronucléaire où ces compétences manquent pour la relance d’un nouveau plan de construction de centrales.

Mathilde Lemoine.- Les français ont en fait une vision très élitiste de la formation. Et lorsque nous mettons en avant des rapports souvent accablants sur la formation, on nous rétorque que la hausse du nombre de diplômés va régler le problème. Cela participe de la persistance des inégalités d’accès à la formation continue. Cela obère le problème du maintien des compétences dans le temps. Par ailleurs, en plus des différenciations entre diplômés et non-diplômés, qualifiés et pas qualifiés, s’installe une dissociation entre les jobs routiniers et les jobs non routiniers. Ce n’est pas parce que vous êtes diplômé, qualifié que vous n’allez pas être victime d’une obsolescence de vos compétences ni d’une remise en question de votre métier. Si vous avez un job routinier, vous allez être replacé par des systèmes informatiques…

Enfin alors que la taille de la population a beaucoup augmenté, les promotions de la plupart des écoles élitistes sont restées très petites. La population a le sentiment d’avoir moins accès à ces filières et en même temps comme il y a plus de diplômés, ils ont l’impression d’être entre eux et font moins d’effort sur la compétence moyenne. Cette vision élitiste et méritocratique n’est vraiment pas du tout adaptée à la réalité contemporaine et nourrit de mon point de vue un fort ressentiment.

Faut-il revoir cette organisation entre écoles élitistes et universités en allant notamment vers plus de décentralisation ?

Jérôme Fourquet.- Mathilde Lemoine a souligné que la France se caractérisait par une inadéquation massive des diplômes obtenus et des postes occupés. Pourtant le budget de l’Éducation nationale est énorme eu égard à ses relatives médiocres performances. Je pense que si on rapprochait la formation, notamment professionnelle, des territoires et des entreprises, comme cela se fait notamment en Suisse et en Allemagne avec de bonnes performances, cela pourrait aller mieux.

Ce système très élitiste français, grands corps et grandes écoles, est décidé depuis Paris. De la même manière que l’État a fait la France, nos grandes entreprises fleurons ont fait l’économie contemporaine. Mais tout cela est de moins en moins adapté à la réalité que nous vivons. Il faut sans doute casser les silos, décentraliser pour qu’il y ait une adéquation plus forte entre les formations initiale et continue et les besoins réels, et commencer à réfléchir sur l’optimisation de ces dépenses de formation. Un organisme comme l’Afpa se trouve en perfusion permanente alors que cela pourrait être un outil formidable pour assurer le maintien de la compétence et de l’employabilité des salariés.

Mathilde Lemoine.- L’analyse économique est pertinente pour comprendre pourquoi on en est arrivé là. On a eu des choix de politique économique avec cette croyance selon laquelle seules les compétences et la formation d’un petit nombre étaient déterminantes pour la croissance et la compétitivité, ce qui finirait par entraîner le reste de l’économie. Ce n’est absolument pas démontré en économie.

Les théories originelles de la croissance montrent que l’important est la compétence moyenne puisque cela permet la diffusion des innovations. En France, si la massification de l’enseignement initial a été un objectif, la question des compétences n’a, que rarement, été un enjeu de politique économique. La question essentielle devrait porter sur ce qu’il faut faire pour que cette compétence moyenne dure et reste stable dans le temps.  À la faveur d’une étude académique que j’ai menée, j’ai constaté que plus les pays sont développés, plus l’accumulation de capital humain a un rôle sur la croissance de long terme et donc plus cette dynamique a de l’importance. Cette dynamique impose un changement des paradigmes des politiques économiques. C’est alors le « moyen » qui compte et sa dynamique dans le temps pur une même cohorte.

Enfin une fausse idée française consiste dans la consécration d’une hiérarchie dans la recherche. Or les grands théoriciens de la croissance comme Paul Romer ont montré que, par exemple, la personne à l’accueil qui va innover pour faire en sorte que l’accueil se fasse mieux aura le même impact sur la productivité de l’entreprise qu’un chercheur hyper innovant. Ces conceptions sont totalement absentes de la réflexion de la politique économique française.

Avec la loi NOTRe, la formation est devenue une compétence régionale.  Avec la décentralisation, ces évolutions vont j’espère être mieux prises en compte, mais attention aux questions inégalitaires ! Le risque de la régionalisation, même si j’y suis favorable, c’est qu’apparaisse une spécialisation des régions. Cela pourrait créer à travers un choc asymétrique sur tel ou tel domaine de spécialisation des inégalités très fortes entre régions. Le risque d’avoir une régionalisation de la formation est que cela soit trop adéquationniste. Mais on peut imaginer des cadres pour qu’il y ait des garanties par rapport à la réduction des inégalités.

Les classes moyennes seraient les grandes victimes de la crise. Cette notion a-t-elle toujours un sens ou va-t-on vers une société toujours plus fractionnée ?

Jérôme Fourquet.- C’est le grand serpent de mer de l’analyse sociologique et du discours politique. Il est difficile de définir précisément les classes moyennes. Dans le livre que nous avons écrit avec Jean-Laurent Caselly, nous parlons de démoyennisation. Ce n’est pas pour dresser l’acte de décès des classes moyennes, elles sont toujours très présentes et nombreuses, mais c’est pour insister sur les phénomènes de fragmentation, voire sur les forces centrifuges qui s’activent aux contours de ces classes moyennes avec des polarisations. En regardant ce qui se passe dans la grande distribution, on met bien en lumière ces phénomènes. On avait avec l’emblématique hypermarché un modèle parfaitement adapté à la société que décrivait Henri Mendras, celle des Trente Glorieuses, une société qui était pour le coup hyper moyennisée.

Or quand on fait l’analyse de ce marché aujourd’hui, on observe, d’un côté, une forme de premiumisation avec une enseigne comme Monoprix qui s’adresse de plus en plus aux CSP+ du cœur des grandes métropoles, et de l’autre côté, un essor des acteurs du hard discount qui s’adressent aux catégories populaires et au bas de la classe moyenne en voie de décrochage. Il faut donc parler de cette classe moyenne au pluriel pour souligner le fait qu’elle est assez fragmentée.

En période électorale, c’est de bonne guerre d’affirmer que les classes moyennes sont les grandes victimes de la crise puisque deux tiers des Français s’estiment appartenir à cette classe moyenne. En termes de perception par la population, dans toutes nos enquêtes, nous voyons beaucoup de gens se définir ainsi : « Je suis trop riche pour être aidé, pas assez pour vivre correctement ». Autrement dit, « je suis au-dessus des seuils qui font que je pourrais bénéficier d’un certain nombre d’aides et de dispositifs, donc quelque part je rentre dans la classe moyenne, mais pour autant je n’ai pas un niveau de vie qui me permette de vivre de manière complètement confortable ».  Le corollaire est le suivant : « je paye pour tout, je n’ai droit à rien ».

Mathilde Lemoine.- En retournant à une analyse par revenu, on observe un écartement entre les plus hauts revenus et les plus bas revenus qui est compensé en partie par la redistribution alors que l’écartement entre le milieu et les plus hauts revenus n’est pas autant compensé. La redistribution est plus importante pour les plus pauvres que pour le reste de la population, d’où ce sentiment de paupérisation de la classe moyenne.

Par ailleurs, la déception en termes de réduction des inégalités originelles est très forte. Parallèlement à l’ouverture à l’Europe et à la mondialisation, il y avait une promesse qui n’a pas été remplie. L’action publique était censée distribuer les compétences, les qualifications et capacités productives afin de garantir un emploi à vie. Cette politique qui faisait appel à la responsabilité individuelle qui devait assurer d’égales opportunités n’a pas tenu ses promesses. Elle n’a pas créé les conditions d’une compétition équitable qu’il suffirait de laisser se dérouler librement pour que tous les talents trouvent leur juste rétribution comme le développe Thierry Pech, directeur de Terra Nova, dans notre récent rapport. Ce mirage inaccessible participe aussi du sentiment de déclassement.

Et puis se pose la question des dépenses contraintes, selon une forme très particulière à la France. Au-delà du logement, des dépenses alimentaires et des abonnements Internet, on oublie d’y inclure le choix français de revenus différés avec les cotisations retraite, l’assurance maladie, les mutuelles ou encore toutes les taxes indirectes. Ces interventions publiques rognent le pouvoir d’achat, largement plus que chez nos voisins européens. Les prix réglementés (collecte ordures ménagères, électricité, alimentation en eau, produits médicaux…) ont cru de 84% depuis 20 ans, soit deux fois deux fois plus rapidement que les autres prix. Cela obère les choix de consommation surtout pour les ménages ayant de faibles revenus.

Jérôme Fourquet.- Cette question est au cœur de la montée du populisme. Le slogan des brexiters était Take back control, reprenons le contrôle collectivement sur notre destinée nationale, sur nos frontières. Et cela se décline aussi dans la vie quotidienne et individuelle de chacun. Dans cette société d’hyperconsommation, beaucoup de Français ont le sentiment qu’avec cette hausse constante des dépenses contraintes et des prélèvements obligatoires, ils n’ont plus barre sur leur vie. En tant que consommateur et en tant que citoyen, « je n’ai plus la capacité à arbitrer, à faire des choix, tout est déjà aujourd’hui pré-engagé ». Beaucoup de gens en bas de la classe moyenne ressentent cela de façon très douloureuse.

À côté des dépenses énergie-alimentation-prélèvements obligatoires, il y a aussi la question du logement, de l’immobilier, qui mange, depuis vingt-cinq ans, une part de plus en plus importante du revenu des Français. Finalement le reste à vivre se comprime de plus en plus.

Avec la RTT, le partage de travail, l’auto-entrepreneuriat, on va vers une extension du domaine des vacances et du tourisme. N’est-ce pas en contradiction avec la reconstitution d’une base productive puissante en France ?

Jérôme Fourquet.- Réarmer industriellement le pays, réussir la transition écologique, financer la dépendance, tout cela demande du travail, des investissements. Il y a en effet une contradiction majeure avec la pente globale de la société qui pousse de plus en plus vers le récréatif, l’hédonisme, le temps libre. Il y a certes des gains de productivité qui peuvent libérer du temps, mais deux grandes visions semblent néanmoins s’affronter. Pour parodier un rappeur célèbre, on est de plus en plus dans la société de la « kiffance » ! Pour relever tous les défis qui sont devant nous, cela va être quand même à un moment compliqué… La réduction du temps de travail a modifié la place que les Français accordaient au travail dans leur vie et dans toute une partie de la population, ce qui s’est passé pendant les confinements, a constitué une nouvelle étape dans cette remise en question de la centralité du travail.

Notre société va globalement plus que d’autres dans cette direction, entre les 35 heures, les 5 semaines de congés de payés, un départ à la retraite plus tôt qu’ailleurs et une économie qui s’est développé autour du loisir avec, par exemple, Disneyland Paris et le ZooParc de Beauval. Ce sont des choix de société qui ne sont pas forcément en adéquation avec l’ampleur des défis que le pays a à relever.

Est-ce qu’il faudrait penser à une réforme du temps de travail ?

Mathilde Lemoine.-  Cette réforme a été très inégalitaire en privilégiant les salariés des grands groupes et de quelques secteurs, notamment la fonction publique au sens large, la finance et l’assurance. Dans une économie qui gagne en productivité, il s’opère un partage, soit en termes de salaire, en termes de temps de travail ou d’impôt. L’impôt et le partage du temps de travail ont été clairement préférés. Je renvoie aux choix politiques qui ont été faits.

Jérôme Fourquet.- Ces grandes réformes du temps de travail au début des années 2000 avec l’apparition dans le langage courant d’un acronyme, les RTT, ont créé de nouvelles inégalités. Tout le monde n’a pas pu en profiter de la même manière, tous les secteurs économiques en fonction de leurs moyens n’ont pas été aussi généreux. Un secteur déjà très puissant comme le tourisme et les loisirs a bénéficié de cette réforme. On avait déjà désaisonnalisé en partie l’activité touristique, avec les RTT on a assisté au boom des grands week-ends, des ponts, à l’essor d’Airbnb et d’Easyjet.

Concernant la question d’une nouvelle étape dans la réduction du temps de travail, elle devra s’articuler avec l’autre annonce qui a été faite de reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans. D’un point de vue opinion, cette dernière réforme sera compliquée à appliquer puisqu’aujourd’hui une seule catégorie de la population se dit favorable au recul du départ à la retraite… ce sont ceux qui sont déjà à la retraite ! Ils se voient quelque part comme des actionnaires de la firme France, très attentifs au fait que les dividendes continuent à être versés et que, pour ce faire, les salariés de l’entreprise en question travaillent un peu plus longtemps.

Mathilde Lemoine.- La question des retraites est à mon sens fondamentale. J’ai étudié l’évolution de la structure des dépenses publiques depuis 10 ans. La proportion des dépenses publiques consacrée à l’enseignement et à l’investissement a baissé et cela a été plus que compensé par l’augmentation du paiement des retraites. La croissance de la protection sociale contribue à hauteur de 54% à celle des dépenses des administrations publiques dont 44% pour les seules retraites. Cela signifie que les débats sur l’âge de la retraite sont faussés parce qu’ils donnent le sentiment que le sujet est devant nous. En réalité on hypothèque les dépenses d’investissement public et d’éducation censées soutenir la croissance de moyen terme pour éviter de trouver un équilibre politique entre les différentes générations.

Concernant la réforme de l’État, après la crise de la Covid-19, comment construire des politiques publiques à venir ?

Mathilde Lemoine.- Les efforts d’investissement du champ de la formation initiale par les parents des milieux modestes ont été mal payés en retour. Leurs enfants ont continué à avoir des difficultés à se stabiliser sur le marché du travail. La demande de protection est donc restée forte face au mirage de la formation initiale et continue assurant un emploi tout au long de la vie bien rémunéré. Parallèlement, la promesse d’un accès égalitaire aux services publics a été remise en cause par la fermeture de services publics locaux. De plus, les récentes crises ont mis en évidence l’inefficacité de l’organisation de certaines administrations publiques. Enfin, les crises ont accru le montant des dépenses publiques quand elles engendraient un recul des recettes fiscales. Le redémarrage de l’activité n’a jamais engendré un recul des dépenses publiques, mais une moindre croissance. La conséquence de ces trois tendances : une place des administrations publiques dans l’économie importante et qui devrait le rester.

Jérôme Fourquet.- Le rapport à l’État est ambigu en France. On se tourne toujours vers lui comme on l’a vu avec la crise Covid. Mais en même temps, les Français estiment qu’ils n’en ont toujours pas pour leur argent. Le poids des prélèvements obligatoires notamment sur la classe moyenne apparait comme étant de plus en plus difficile à supporter. Nous sommes le pays développé où le taux de la dépense publique rapportée au PIB est le plus élevé. Mais beaucoup se demandent : où va l’argent ? Une masse d’argent énorme est dépensée sans que l’on ait le sentiment que tout cela fonctionne. Le dispositif s’est tellement complexifié que comme le dit Mathilde Lemoine on met des rustines et de l’huile dans les rouages périodiquement sans avoir la volonté de tout remettre à plat parce qu’il y trop d’intérêts imbriqués qui rendent les choses inextricables.

Avec le « quoi qu’il en coûte » le rôle de l’État a changé. La place de « l’État protecteur » s’est imposée. Ne sommes-nous pas rentrés dans une économie de la redistribution ?

Mathilde Lemoine.- En regardant les grands équilibres et avec les tentatives partielles de réforme de l’État, on constate qu’il n’y a pas de volonté manifeste d’inverser la tendance sur la poursuite de la route des dépenses sociales et de retraite. Et la crise de 2010 a engendré une forte baisse de l’investissement public censé servir à la croissance de demain.

Tout cela conjugué au fait qu’on a du mal à tenir nos promesses en matière d’accès des faibles revenus à un avenir meilleur plaide pour une poursuite de l’augmentation relative de la redistribution pour réduire les inégalités sachant que la tolérance à l’inégalité est plus faible qu’ailleurs en France. Cela participe du sentiment d’abandon de la catégorie intermédiaire entre les plus défavorisés et les plus riches.

Ce propos est un peu pessimiste, mais quand on observe les statistiques et les faits, il n’y a pas d’inflexion de tendance à une augmentation relative des dépenses sociales, de redistribution et de salaires différés.

Comment envisager l’agenda des réformes et suivant quel modus operandi ?

Jérôme Fourquet.- Je ne sais pas s’il y a une boite à outils tout-à-fait efficace…

Mathilde Lemoine.- En fait la politique économique est définie sans que l’on en connaisse l’objectif politique. Dans le débat public, l’accent est mis sur les instruments de la politique économique comme les impôts de production, les charges, le nucléaire… En termes d’analyse économique, le politique doit d’abord définir un objectif et ensuite les économistes vont étudier quels sont les instruments les plus efficaces pour l’atteindre.
Il me semble que l’agenda des réformes devrait consister à recréer un consensus autour d’un objectif. Si l’objectif est la persistance d’une redistribution élevée, on va continuer dans ce cas-là à avoir des prix administrés, des dépenses contraintes relativement élevées avec un sentiment de non-choix de plus en plus fort sur une partie de la consommation. Il faut cerner les grands enjeux sans multiplier les objectifs et les mesures. Un instrument n’a jamais constitué un objectif pour un économiste. Une fois définis par exemple les trois objectifs principaux, il existe une certaine liberté pour la mise en œuvre des politiques permettant d’y parvenir. Le Parlement pourra chiffrer la probabilité que les instruments choisis permettent d’atteindre l’objectif affiché.

Si on parle de compétitivité, de positionnement de la France en Europe et dans le monde, attention à la « dangereuse obsession de la compétitivité » qui aboutit à une forme de paupérisation parce qu’on oublie que tout est dynamique. Même si momentanément avec une baisse des impôts de production, on gagne en compétitivité, cela est temporaire, parce que, pendant ce temps-là, d’autres pays comme les États-Unis montent en gamme et sont capables de créer de la valeur indépendamment du coût de production.