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Sociétal - Jean-Marc Daniel

Le président de Sociétal, par ailleurs professeur émérite de l'ESCP et de Mines ParisTech, nous livre, par cette contribution magistrale, un plaidoyer pour orienter les politiques économiques vers plus de « sagesse budgétaire ». L'économiste, qui se qualifie lui-même de « libéral classique », alerte sur les mirages et illusions d'une amélioration du pouvoir d'achat qui reposerait sur le recours excessif à l'endettement de notre pays.

Comme souvent en période électorale, l’augmentation du pouvoir d’achat s’est imposée comme un des éléments clé du discours dominant. Que la population la souhaite est naturel et compréhensible. Cela l’est d’autant plus que la situation en la matière a tendance à se dégrader. De 1960 à 1975, année marquée par la première récession depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, le pouvoir d’achat mesuré par l’évolution de ce que l’Insee appelle le « revenu disponible brut par unité de consommation » a augmenté en moyenne annuelle de 3,2%. Entre 1975 et 2001, ce rythme est descendu à 1%. Depuis 2001, année de mise en place des « 35 heures », ce taux n’est plus que de 0,5%. Et donc, par-delà les promesses électorales, est-il économiquement possible d’inverser la tendance ? Pour y parvenir, il faut mener une action qui s’inscrive dans les principes fondamentaux de la science économique tels que l’économiste américain Nicolas Gregory Mankiw les a résumés en 10 items. Parmi ces principes, le huitième énonce que « le niveau de vie d’un pays, c’est-à-dire le pouvoir d’achat de sa population, dépend de sa capacité à produire des biens et services ».

Autrement dit, le pouvoir d’achat est intimement lié à l’activité des entreprises, qui produisent et nourrissent la croissance économique. Conséquence directe de ce constat, toute action politique tendant à le déconnecter de cette croissance, n’est possible que pendant une courte période. Grâce au recours au crédit et à l’endettement, on peut se donner l’illusion d’une amélioration du pouvoir d’achat. Mais cette amélioration ne serait en fait qu’un prélèvement anticipé sur le bien-être des générations futures.

Néanmoins, puisque le pouvoir d’achat est au centre des débats politiques, il convient de s’interroger sur la capacité de ceux qui font des promesses en la matière de les honorer ; c’est-à-dire qu’il faut se demander ce que nous pouvons et devons attendre en ce qui touche à la production, dont l’évolution conditionne d’après Mankiw, le niveau de vie, de la politique budgétaire et de la politique commerciale extérieure, ainsi que de la politique monétaire, même si l’entité qui la conduit, à savoir la banque centrale, se doit, du fait de son indépendance, de se limiter aux missions qu’on lui a confiées et ne doit certainement pas s’engager dans une course plus ou moins médiatique à la soumission à l’air du temps. Qui plus est, il faut garder à l’esprit, pour ce qui est de la France, que ces trois outils de la politique économique y évoluent dans le cadre plus ou moins contraignant de l’Union européenne.

Normaliser la politique monétaire

Le 10 janvier 2022, pour la première fois depuis décembre 2018, le rendement des emprunts d’Etat suisses à 10 ans a cessé d’être négatif. Ce même événement s’est produit pour l’Allemagne le 31 janvier. Cela traduisait la tendance générale dans le monde à la remontée des taux d’intérêt. Cette remontée est portée par les décisions des banques centrales, qui mènent depuis début 2021 une réorientation de leur politique et ont initié un processus de hausse de leur taux d’intervention. On peut citer à ce sujet, parmi les membres du G20, les cas emblématiques du Royaume-Uni et des Etats-Unis, auxquels viennent s’ajouter le Brésil, la Corée du Sud, le Mexique ou la Russie et auxquels il convient d’ajouter, en Europe hors G20, la Hongrie, la Pologne ou la Norvège. Il y a là une nouvelle donne monétaire incarnant une forme de retour aux sources puisqu’elle se veut une réponse à la crainte de voir l’inflation prendre de l’ampleur. Pourtant, à en croire beaucoup d’experts, une telle inquiétude n’a pas lieu d’être. Certes, l’économie mondiale affronte une hausse forte de certains prix, essentiellement ceux de l’énergie et de certains produits agricoles. Mais dans une perspective longue, on peut considérer qu’il y a encore, en matière d’inflation, des marges de manœuvre. En France, alors que son taux moyen annuel avait été de 5% entre 1975 et 2000, celui-ci a été ramené depuis la mise en place de l’euro à 1,3%, niveau largement inférieur à l’objectif affiché par la Banque Centrale Européenne (BCE).

En fait, l’adoption par les banques centrales, depuis une quinzaine d’années, des politiques de « quantitative easing » (« QE » pour les spécialistes) les avait éloignées de leurs missions historiques de lutte contre l’inflation et de soutien à l’investissement.

Selon la Banque de France, ce QE se définit ainsi :

« L’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing (QE) en anglais, est un outil de politique monétaire non conventionnelle. Utilisé pour lutter contre le risque de déflation et de récession, il consiste, pour une banque centrale, à intervenir de façon massive, généralisée et prolongée sur les marchés financiers en achetant des actifs (notamment des titres de dette publique) aux banques commerciales et à d’autres acteurs. Ces achats massifs entrainent une baisse des taux d’intérêt. »

Il avait transformé la banque centrale en un sauveteur plus ou moins exigeant des banques et un acquéreur plus ou moins regardant de la dette publique. Qualifié dans la définition même de la Banque de France de « non conventionnel », ce QE a normalement, si les mots ont un sens, vocation à disparaître ; ou tout du moins, à évoluer, pour répondre au mieux aux exigences du moment.

Il se trouve que le moment est moins marqué par une inflation en voie de généralisation que par un endettement public massif. Pour y répondre, les banques centrales doivent tirer parti de l’héritage du QE plutôt que de se référer de façon mécanique à leur mission d’antan. C’est en particulier l’idée qu’a défendue Andrew Bailey, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, en déclarant lors d’un point de presse de septembre 2021 :

« Si c’est approprié, une hausse des taux n’a pas besoin d’attendre la fin de l’actuel programme d’achat d’actifs »

Ce disant, il entérinait le fait que la politique monétaire héritée du QE dispose de deux outils distincts. Comme souvent en économie, le premier porte sur un prix, en l’occurrence le taux d’intervention, le second porte sur une quantité, en l’occurrence le programme d’achats de titres financiers, notamment publics. Comme le postula naguère Jan Tinbergen, prix Nobel d’économie de 1969, l’art de la politique économique est d’associer chaque outil à un problème. L’enjeu de la politique monétaire à venir est l’utilisation de ces deux outils.

En ce qui concerne les taux d’intérêt, il s’agit d’organiser leur remontée. Divers arguments militent pour la justifier. Le premier est la frustration légitime des épargnants. Le deuxième est qu’il n’est guère besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’il y a quelque chose d’aberrant dans une situation de taux d’intérêt négatifs perturbant le calcul des investisseurs et leur prise en compte des aléas du futur. Le troisième est de loin, économiquement parlant, le plus important. Il s’agit de l’existence d’un taux d’intérêt naturel.  Ce taux d’intérêt naturel est et a été au centre de nombreuses recherches académiques. Nous pourrions évoquer le modèle de croissance de Robert Solow qui lui a valu le prix Nobel d’économie en 1987 ou les travaux de Maurice Allais, prix Nobel de 1988 ou encore à la règle d’or de l’accumulation formulée par Edmund Phelps, prix Nobel de 2006. Que nous disent ces économistes ? Que le taux d’intérêt de long terme, celui qui permet une croissance optimale, c’est-à-dire une croissance sans inflation et sans chômage, est égal à celui de la croissance potentielle. Quant à ce taux de croissance potentielle, il est égal à la somme de l’évolution de la productivité, c’est-à-dire de l’efficacité du capital, et de l’évolution de la quantité de travail disponible, c’est-à-dire de la démographie. Toute situation économique qui ne réalise pas cette égalité est déséquilibrée. C’est en particulier sur ce constat que s’appuie Thomas Piketty dans son best-seller Le capital au XXIe siècle. Il y affirme la nécessité économique de corriger par l’action fiscale l’inégalité r > g, formule mathématique devenue une des références du livre, où r représente le taux d’intérêt et g le taux de croissance potentielle.

Ramener le taux d’intérêt au niveau du taux de croissance potentielle est donc logique. Mais ce n’est pas une opération sans dangers. Parmi ces dangers, trois réclament une réponse concrète de politique économique.  

Le premier tient à la réorientation des placements vers les obligations au détriment des actions, réorientation provoquée inexorablement par toute hausse des taux et qui crée un authentique risque de krach boursier. La Banque de France le confirmait récemment lorsqu’elle écrivait en janvier 2022 :

« Certains indicateurs de valorisation boursière pointent un niveau d’exubérance persistant qui rend les marchés d’actifs risqués vulnérables à une correction brutale ».

Une des raisons d’être des banques centrales est de contenir les embardées financières. Lors de la remontée spectaculaire des taux dans les années 1980, Paul Volcker, alors président de la Réserve fédérale américaine, affirmait, à propos des dégâts de cette remontée sur les établissements financiers, qu’une banque centrale a un rôle clair en la matière qui est de sauver les banques mais pas les banquiers. Le deuxième est un alourdissement de la charge de la dette des Etats. Ainsi, en ce moment, les affres grecques sont de retour, alors que le taux à 10 ans de la Grèce est passé d’août 2021 à mi-février 2022, à la veille de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, de 0,5% à 2,5%. Cela réclame un calibrage fin des programmes de rachat de dette publique par les banques centrales. Ces rachats ont en effet le mérite incontestable de contenir l’évolution de la charge de la dette, puisque les banques centrales restituent aux Etats les intérêts qu’ils leur versent. Un abandon trop rapide de ces programmes pourrait donc se révéler assassin, alors même qu’un maintien sans limite serait irresponsable. Le troisième ne concerne pas directement la France. C’est plutôt le cas des pays fragilisés par leur dette extérieure, principalement les pays du Sud. Les concernant, il convient rapidement d’organiser une aide à long terme prolongeant et renforçant « l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) » lancée par le G20 en 2020.

Quoi qu’il en soit, la règle de l’égalité entre le taux d’intérêt et le taux de croissance est un impératif catégorique de l’économie qui doit urgemment s’appliquer. Cette règle conduit à un objectif de taux d’intérêt nominal sur l’Oat à 10 ans française d’environ 2,5% et de 3,5% sur les emprunts des Etats-Unis.

Éloge de la frugalité budgétaire

La hausse nécessaire des taux d’intérêt vers leur niveau naturel devrait inciter les Etats et notamment la France à plus de sagesse budgétaire. En décembre 2021, dans un article publié par plusieurs journaux de la presse économique européenne, Mario Draghi et Emmanuel Macron dénonçaient les règles budgétaires européennes, les accusant d’être « trop obscures et trop complexes » et réclamaient de pouvoir « disposer d’une plus grande marge de manœuvre » pour « réaliser les dépenses clés nécessaires à notre avenir et à notre souveraineté. »

Ce genre de prise de position est dangereuse car ambigüe et susceptible de susciter une réaction de plus en plus agacée de certains de nos partenaires européens. Cet agacement croissant se traduit par un renforcement du groupe des pays dits « frugaux ». Aux quatre « frugaux » d’origine qu’étaient les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Danemark se sont jointes la Finlande, la Lettonie, la Slovaquie et la République tchèque à l’occasion de la signature début septembre 2021 d’une lettre appelant au respect pur et simple des traités. 

Leur irritation est d’autant plus grande qu’on a vu refleurir en France dans la foulée de l’article en question les slogans dont se gargarisent nos hommes politiques et certains commentateurs sur la nécessité de « se défaire du carcan de Maastricht ». La presse néerlandaise ainsi que la presse autrichienne se sont de nouveau gaussées de notre volonté de nous libérer de Maastricht quand une lecture juridique précise montre que cette revendication n’a aucun sens. En effet, maintenant que nous sommes membres de la zone euro, notre politique budgétaire n’est plus régie par le traité de Maastricht qui porte sur les conditions d’accès à l’Union économique et monétaire. Elle est régie par un traité dit « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance », soit encore « TSCG » ; un traité que la France devrait avoir la cohérence démocratique de défendre car il a été voté sous la présidence de François Hollande par l’Assemblée nationale par 477 voix contre 70, faisant de ce texte celui ayant reçu le plus de votes favorables de la législature 2012/2017 ; un traité qui en outre n’a pas démérité. Il a été conçu pour tenir compte des leçons de la crise des dettes publiques, notamment de celle de la Grèce, et fournir un cadre pérenne à la gestion des finances publiques en Europe.

Son article 3 stipule :

« Outre leurs obligations au titre du droit de l’Union européenne et sans préjudice de celles-ci, les parties contractantes appliquent les règles énoncées au présent paragraphe:

-la situation budgétaire des administrations publiques d'une partie contractante est en équilibre ou en excédent ;

-cette règle est considérée comme respectée si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l'objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché (…) »

Ce texte est, a priori, pour reprendre la formule de l’article d’Emmanuel Macron et de Mario Draghi, « obscur ». Mais il est en réalité moins complexe qu’il n’y paraît. Car il fait tout simplement le distinguo entre un « bon déficit » - le déficit conjoncturel qui apparaît quand la croissance ralentit et s’essouffle et qui s’efface quand elle est soutenue - et un « mauvais déficit » -le déficit structurel, qu’il mentionne explicitement, un déficit qui ignore les cycles économiques et perdure quelles que soient les circonstances.

Il écarte l’idée largement erronée qu’il existerait une « bonne dette », celle qui finance les investissements publics, car ceux-ci sont porteurs de croissance ; une dette qu’aucun traité européen ne devrait limiter. Mais qui peut prétendre mesurer précisément ce que les dépenses publiques d’investissement apportent réellement à la préparation de l’avenir ? En revanche, imposer le refus du déficit structurel a d’autant plus de sens que la politique à mener pour y parvenir est facile à concevoir. Elle repose sur ce que les économistes appellent le principe des stabilisateurs automatiques, c’est-à-dire le principe d’une fiscalité assise sur la production effective de l’économie et d’une stratégie de dépenses fondée sur la croissance potentielle, la croissance de long terme.

Autorisant par ailleurs un creusement significatif du déficit en cas de « circonstances exceptionnelles », disposition qui a joué de façon efficace pendant la crise sanitaire, ce traité répond aux nécessités objectives de la politique budgétaire, si bien que sa remise en cause par nos dirigeants apparaît comme un moyen spécieux d’éluder les vrais problèmes de la France et de se livrer au doux plaisir de substituer, dans la constitution des revenus, la dette au travail. Plutôt que de s’acharner à réclamer à l’Europe plus de souplesse budgétaire, la France devrait s’imposer plus de sérieux. C’est ce que suggère l’Ocde quand elle écrit :

« La dépense publique a atteint un niveau exceptionnellement élevé, avec des résultats mitigés, qui appellent à réorganiser le cadre budgétaire pour assurer la viabilité des finances publiques ».

Parmi les résultats mitigés ainsi évoqués, il y a le fait que le gouvernement, dans la conduite de la politique budgétaire, dans le célèbre arbitrage entre « la fin du monde et la fin du mois », semble avoir oublié la « fin du monde » au point, au travers du « chèque énergie », de subventionner les importations de pétrole et de gaz. Face à un catalogue de décisions souvent incohérentes, aux conséquences sur la vie quotidienne insupportables, défendu par un certain écologisme radical et face, parallèlement, à l’inconséquence consistant à subventionner la consommation d’énergie carbonée, il convient de bien comprendre que la sauvegarde de l’environnement constitue un élément d’amélioration des conditions de vie et donc une composante indirecte du pouvoir d’achat, pourvu qu’elle soit conduite de façon raisonnable et raisonnée. William Nordhaus, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 2018 pour ses travaux sur ce que pourrait être une politique économique réaliste de respect effectif de l’environnement, a récemment déclaré : 

« Il convient de s'interroger sur le « niveau optimal de pollution », terme qui, d'ailleurs, n'est pas sans poser problème à certains. D'un côté, il faut fixer des limites à la pollution et protéger l'air et l'eau ; mais, d'un autre côté, si nous nous fixions un objectif de « zéro pollution », nous ne pourrions même pas nous permettre une économie préhistorique... »

Suivre la démarche de William Nordhaus suppose de donner un « prix au carbone », prix utilisé comme référence pour une réforme fiscale assise sur une « taxe carbone » efficace car dissuasive. En France, le prix de référence est de 44 € la tonne alors qu’il est de 118 € en Suède et que le gouvernement norvégien a prévu de le porter dans ce pays producteur de pétrole à 200 €. Toute hausse de ce prix, pour nécessaire qu’elle soit, ne sera acceptée que si elle s’accompagne de la baisse des autres prélèvements. Cette instauration d’une taxe carbone doit être complétée par un soutien à l’innovation qui passe par un retour à une politique monétaire axée sur l’investissement et par une baisse significative des impôts des entreprises. Dans une note d’octobre 2021, la direction du Trésor en faisait le constat :

« Depuis 2000, la baisse des émissions de gaz à effet de serre de l'industrie française provient exclusivement du progrès technique incorporé dans les investissements visant à neutraliser la pollution et à améliorer les procédés de fabrication (amélioration de l'« efficacité carbone »)»

Pour éviter une explosion de la dette extérieure, travailler plus,…durablement !

La réorganisation du cadre budgétaire défendue par l’OCDE est d’autant plus nécessaire que la France est devenue l’exemple archétypique d’une économie minée par la problématique des « déficits jumeaux » (« twin deficits » en anglais). Il faut rappeler que la situation extérieure d’un pays est comptablement liée à celle de l’Etat. Chaque économie respecte l’égalité (S-I) + (T-G) = X-M où S est l’épargne, I l’investissement, T les impôts, G la dépense publique et X-M le solde de la balance des paiements courants. Il existe donc une savante alchimie entre le déficit de l’État, la situation d’épargne des ménages et le déficit extérieur, ce que résume l’expression de « déficits jumeaux ». À l’abri de la solidarité imposée par la zone euro, la France se permet d’ignorer cette équation, c’est-à-dire d’ignorer qu’au centre des contraintes qui président à l’évolution des revenus et de l’épargne, il y a la situation de ses comptes extérieurs du pays.

Obsédés par une vision étroitement mercantiliste du commerce international dont l’enjeu serait les exportations, certains commentateurs ne voient dans la détérioration de notre solde commercial que la manifestation d’une compétitivité dégradée par un coût du travail excessif. En fait, cette détérioration ne traduit pas uniquement les difficultés de nos entreprises sur le marché mondial mais, plus banalement, leur incapacité à répondre à toute augmentation de la demande, que celle-ci soit extérieure ou intérieure. Le but des entreprises est de vendre, et ce pas nécessairement à l’export. C’est ce que soulignait en 1965 Jacques Rueff dans son livre « Le lancinant problème des balances des paiements ». Il y écrivait :

« Les hymnes à l'exportation ne sont que stupidité et mensonge. Ils supposent de n'avoir pas conscience de l'inanité de toute distinction entre commerce intérieur et international ».

Sur un plan macroéconomique, augmenter arbitrairement le pouvoir d’achat signifie augmenter la demande. Et, aujourd’hui, comme l’appareil productif français ne paraît pas en état d’y répondre, cela signifie augmenter les importations.

C’est pourquoi, d’année en année, la France, qui a accumulé les déficits extérieurs, a vu sa position extérieure nette, c’est-à-dire la différence entre la valeur de ce que les Français détiennent à l’étranger et celle de ce que les étrangers détiennent en France, se détériorait gravement. En 20 ans, de 2001 à fin 2020, cette position est passée de -40 Mds €, soit 2,7% du PIB à -695 Mds €, soit 30% du PIB. La France se rapproche dangereusement du plafond fixé par les accords européens qui est de 35% du PIB. Elle est en passe de rejoindre les pays d’Europe du Sud souvent montrés du doigt pour leur laxisme et s’éloigne de l’Allemagne : la position extérieure nette de la Grèce et celle du Portugal sont lourdement négatives, au-delà de 160% de leur PIB, tandis que l’Allemagne dispose d’un excédent extérieur net de plus de 70% de son PIB. Pour parler clair, disons que la France vit au-dessus de ses moyens, sa consommation excédant sa production, si bien qu’elle est obligée de vendre une partie de son patrimoine immobilier et financier pour compenser ses déficits extérieurs issus d’un excès d’importation.

Il faut donc arrêter de multiplier les promesses insoutenables sur le pouvoir d’achat et s’engager dans le rétablissement de la situation.

Pour cela, il faut d’abord ramener la demande à un niveau acceptable sans pour autant baisser le niveau de vie des particuliers, ce qui impose de réduire la demande publique qui est actuellement gonflée par un déficit budgétaire hors de contrôle.

Il faut ensuite simultanément tout faire pour élever le niveau de la production et son taux de croissance et donc pour muscler l’offre. Cela exige de favoriser l’investissement. En pratique, il faut alléger la fiscalité des entreprises, notamment celle sur le capital, pour que, par leurs investissements, celles-ci puissent rapidement mettre sur le marché les biens à même d’absorber une demande en perpétuelle mutation. Cela suppose que ces investissements soient pertinents, chose que permet une grille des taux d’intérêt respectant le principe du taux naturel.

Il faut enfin, là encore pour augmenter la production, remobiliser de façon urgente la main d’œuvre pour que, en accroissant la quantité de travail, on accroisse la richesse produite. A l’heure où la réforme du système de retraite suscite débats et controverses, il convient d’en comprendre la nécessité. Plus encore qu’une réponse au déséquilibre financier de ce système, le report de l’âge de la retraite prend tout son sens dans la mesure où il permet de mobiliser davantage de travail. Il doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur les 35 heures et sur le nombre de jours fériés. On se souvient qu’en 1997, Gerhard Schröder, alors candidat social-démocrate à la chancellerie en Allemagne, commentait la volonté des socialistes français de passer aux 35 heures en ces termes :

« J’espère que la France décidera de passer à la semaine de 35 heures à salaire constant. »

Il ajoutait, non sans malice :

« Ce sera très bon pour l’industrie allemande » !

Et donc in fine, pour le pouvoir d’achat des salariés allemands !!

Cela signifie que si « travaillez plus pour gagner plus » peut être un slogan politique, cela doit être un impératif économique.  

La nostalgie des « 30 glorieuses » tient moins au style de vie de l’époque qu’aux changements permis par une forte croissance, changements symbolisant une évolution rapide du pouvoir d’achat. Il n’est pas question de revenir au type d’existence des années 1960 qui était moins confortable que celui d’aujourd’hui. Mais il est question de retrouver la dynamique de ces années-là, celle, banalement, de la croissance économique. Cette dynamique associe taux d’intérêt égal au taux de croissance potentiel, équilibre structurel des finances publiques et accroissement de la durée du temps de travail. Sans cela des gains de pouvoir d’achat appuyés sur un endettement extérieur croissant seront éphémères car ils seraient en contradiction avec le principe 8 de Nicolas Mankiw.