Le sénateur LR de la Meurthe-et-Moselle et rapporteur général de la commission des Finances du Sénat estime qu’il existe deux motifs légitimes d’endettement « s’endetter pour investir dans l’avenir » et « soutenir le tissu productif en cas de choc économique ». S’il considère que « le niveau d’endettement public ne devrait pas durablement décroître avant 2027 », Jean-François Husson fixe comme objectif du prochain quinquennat une stabilisation de l’endettement par une maîtrise de la dépense publique.
Sociétal.- Quel est votre diagnostic sur le niveau actuel de la dette publique ?
Jean-François Husson.- Si la dette publique était au cœur des débats au printemps avec la question de son remboursement, elle semble aujourd’hui la dernière préoccupation du Gouvernement. En effet, avec les nombreuses mesures ajoutées à la dernière minute par voie d’amendements à l’Assemblée nationale dans le projet de loi de finances pour 2022, les dépenses publiques sont en forte augmentation et les bénéfices des 6,6% de croissance prévue au dernier trimestre ne sont pas fléchés vers le remboursement de la dette.
Plus précisément, depuis 2000, la part de la dette de l’ensemble des administrations publiques dans le PIB a doublé passant de 58,9 à 115,6 points de PIB en 2021. Dans le contexte de la crise sanitaire, l’État a vu sa dette augmenter de 665 milliards d’euros et devenir sa première ressource devant les recettes ordinaires : l’endettement est devenu la première source de financement de l’État.
Les charges sont aujourd’hui majoritairement couvertes par des émissions de dette à moyen et long terme et non pas par les ressources du budget général (ressources fiscales ou non fiscales). En 10 ans, l’encours de la dette négociable de l’État a augmenté de près de 70% avec une hausse très significative entre 2020 et 2022 (+24%). Il atteindrait près de 2 500 milliards d’euros en 2022 – contre 2 000 milliards d’euros en 2020 et 1 690 milliards d’euros à la fin de l’année 2017 – et représenterait 114% du PIB en 2022 (115,6% en 2021).
Ainsi, la crise sanitaire a entraîné une baisse des recettes publiques en 2020 et a conduit à mobiliser un volume inédit de dépenses publiques pour pallier ses impacts sur l’économie (mesures de soutien puis de relance). Après avoir franchi un niveau inédit en 2021 avec un déficit de 205 milliards d’euros selon les prévisions du projet de loi de finances rectificative de fin d’année, le budget 2022 affiche un déficit qui reste particulièrement élevé avec 155,5 milliards d’euros, dont près de 12 milliards d’euros supplémentaires sous le seul effet des mesures adoptées par l’Assemblée nationale, tant en recettes, avec le bouclier tarifaire qu’en dépenses (plan d’investissement…). Or, ce paquebot s’alourdit d’une dette qui ne cesse de croître et de s’aggraver avec des émissions nouvelles égales à 260 milliards d’euros pour la troisième année consécutive.
Sous prétexte que les taux sont bas, pouvons-nous continuer à nous endetter sans risque ?
Je crois qu’il existe aujourd’hui deux motifs légitimes d’endettement.
Le premier, c’est de s’endetter pour investir dans l’avenir. Lorsque l’État finance à crédit un projet d’investissement dont le rendement est supérieur à son coût de financement, il fait une bonne opération. Les opportunités sont aujourd’hui d’autant plus grandes que les taux d’intérêt sont nuls.
Le second motif légitime d’endettement, c’est de soutenir le tissu productif en cas de choc économique. La politique budgétaire doit être mobilisée pour atténuer ce choc et éviter que la croissance ne soit trop durablement pénalisée, sans quoi notre capacité de remboursement de la dette en sortie serait amoindrie.
Un large consensus existe pour considérer que la dette d’avant-crise était en grande partie de la « mauvaise dette ». En effet, la dette présente un caractère structurel malgré la hausse de l’endettement qui s’est accélérée depuis le début de la pandémie, avec une augmentation de 20 points en quelques mois. Si les pouvoirs publics ont toujours soutenu l’économie en phase de ralentissement, il n’y a jamais eu de réelle volonté de retrouver des marges de manœuvre budgétaires en sortie de crise. L’actuelle majorité n’a ainsi pas profité de l’embellie conjoncturelle du début de quinquennat pour réduire le déficit structurel. En outre, la hausse continue de l’endettement depuis les années 1980 ne s’est pas accompagnée d’un effort particulier en faveur de dépenses utiles à la croissance. En réalité, l’endettement n’a pas été mobilisé pour investir dans l’avenir mais pour financer des dépenses courantes.
Pensez-vous qu’il faille mettre en place un impôt de solidarité spécifique dédié au remboursement de la « dette covid » ?
Il existe en effet aujourd’hui une dette Covid qui doit être prise en compte dans le processus de remboursement. Au-delà de l’État, l’endettement des administrations de sécurité sociale doit être surveillé. Il devrait s’établir à 292 milliards d’euros en 2022, soit une hausse de 51,3% par rapport à 2019. La maitrise à court terme puis le recul de l’endettement des administrations de sécurité sociale est envisageable dans la mesure où la reprise de l’activité favorise une hausse des recettes, et où le niveau des dépenses devrait baisser avec l’extinction des mesures Covid et la réforme de l’assurance-chômage.
Au regard de ces montants, le « remboursement » de la dette Covid 1,9 milliard d’euros, proposé par le Gouvernement, n’est en réalité qu’un artifice comptable qui consiste à emprunter pour rembourser la dette, dont il ne réduit pas du tout le niveau. En effet, le Gouvernement présente un budget de campagne dont l’ampleur des dépenses est incohérente avec la trajectoire qu’il a fixée pour les années à venir.
Plus en détail, dans le PLF 2022, le Gouvernement a fait le choix de créer un programme « Amortissement de l’État liée à la Covid-19 » dans la mission « Engagements financiers de l’État » doté de 165 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 1,9 milliards d’euros en crédits de paiement. Cette somme est affectée à la Caisse de la dette publique et consacrée au désendettement de l’État. L’objectif est d’amortir cette dette d’ici 2042 en allouant chaque année au programme et par défaut un montant de crédits équivalent à 5,9% de la hausse des recettes fiscales dues à la croissance.
Cette opération revêt néanmoins un caractère artificiel. L’ouverture de crédits sur le budget général a pour conséquence un accroissement du déficit budgétaire lequel ne peut être financé que par une émission de dette du même montant. Le bilan de l’opération est donc nul du point de vue de la dette et s’apparente plutôt à une opération de communication du Gouvernement : la dette de l’État est toujours remboursée, qu’elle soit « isolée » ou non au sein d’un programme, qu’elle soit ou non liée à l’épidémie de Covid-19.
La réduction du désendettement est-il un préalable à la confiance des français dans notre économie ? Et plus largement, à celle de nos voisins européens ?
Nous devrons être en capacité de réduire la dette structurelle afin d’assurer la stabilité et la pérennité de la reprise économique. Il nous faut être au rendez-vous de nos engagements et il nous faut rembourser la dette contractée. À l’heure où les règles budgétaires sont « mises de côté », annuler la dette détenue par la Banque Centrale européenne serait difficile, peu crédible et pas souhaitable. En effet, cela signifierait remettre définitivement en cause les traités européens tout en générant une véritable crise de confiance chez les détenteurs de la dette publique puisque ne pas rembourser la dette nous mettrait en dehors du contrat qui lie les États européens. Cette solution de facilité balaierait les efforts français et européens pour assurer notre réussite et notre rayonnement.
Si les États veulent retrouver la confiance de leur peuple, il faut qu’ils honorent leurs dettes car, en s’engageant, l’État engage son peuple, c’est-à-dire ses contributeurs. Croire qu’on pourrait balayer d’un revers de la main la dette serait dramatique. Cela reviendrait à dire que « l’argent magique » existe, tout comme la gomme magique… On s’aventurerait sur un terrain dangereux, où la parole donnée n’aurait plus de valeur.
Se laisser séduire par cette facilité nous conduirait dans l’impasse, voire dans les facilités du populisme. Le monde d’après n’est pas incompatible avec le remboursement de la dette. Il y aura des efforts à faire, il faudra redéfinir les priorités. Les enjeux environnementaux, pour lesquels je me bats depuis vingt ans, devront en faire partie. Redéfinir nos priorités, c’est aussi revoir notre façon de produire et de consommer. On peut mettre de la rigueur dans la gestion, mais est-ce de l’austérité ? Une cure d’amaigrissement et de jouvence ne fait de mal à personne. Les enjeux écologiques conduisent à repenser notre manière de produire. Ce sont des contraintes, mais pour mieux faire. Être rigoureux ne veut pas dire se priver, mais réorganiser et revoir l’attribution de ses ressources. Il faut redéfinir les besoins d’urgence… Comment des esprits éclairés et responsables peuvent dire « on contracte une dette, l’État sort de l’argent grâce à la dette et le soutien collectif de l’Europe », puis dire « on ne rembourse pas » ? Il faut oublier ça. Ce n’est pas être responsable. On ne peut pas se mentir, ni mentir aux autres.
Mais ce sont des choix de révision plus larges qui doivent s’opérer. En effet, une politique de remboursement de la dette publique ne doit pas aller sans une révision complète du système d’épargne, fortement mobilisé afin de faire face à des réalités moins optimistes, au risque que les effets des mesures prises d’un côté soient annulés par les comportements des épargnants de l’autre. Le taux d’épargne des ménages français est traditionnellement élevé et la crise sanitaire s’est traduite par la création d’une épargne de précaution de près de 115 milliards d’euros en 2020. Pour autant, le marché de l’épargne se caractérise aussi par des défauts dans son fonctionnement : concurrence entre acteurs limitée et nombre élevé d’intermédiaire notamment. Ces défauts se traduisent par un niveau de frais important, pesant sur la performance servie aux épargnants. Le marché de l’épargne est enfin marqué par une forte attractivité des produits risqués en raison des taux bas. Les intérêts gagnés par les épargnants sont captés par les frais de gestion, surtout sur le long terme. Ainsi, si les frais de gestion d’un portefeuille d’épargne moyen baissaient de 0,3%, les gains pourraient être de 20 000 euros sur 40 ans pour un ménage. Dans le rapport que j’ai fait au nom de la commission des finances avec Albéric de Montgolfier, nous proposons par exemple de créer un comparatif d’assurance vie afin d’économiser sur les frais de gestion. Certaines estimations évaluent à 350 euros le montant qui pourrait être gagné. Le but est de rendre transparent le secteur de l’assurance vie.
Mais au regard des choix opérés aujourd’hui par le Gouvernement, le niveau de l’endettement public ne devrait pas durablement décroître avant 2027 alors même que l’Allemagne entamera cet effort de réduction dès 2022.
La trajectoire d’évolution de la charge de la dette demeure fonction de celle des taux d’intérêt – sous l’impulsion de la politique de la Banque centrale européenne – et de l’inflation. Selon les observateurs, la politique monétaire devrait demeurer accommodante au moins jusqu’en 2023 tandis que l’accélération récente de l’inflation présenterait un caractère temporaire et contingent à l’augmentation des prix de l’énergie.
Quelle politique fiscale soutenable adopter pour, à la fois donner confiance dans notre économie à nos partenaires et en même temps éviter les erreurs du passé (cf, après crise 2008 avec réduction trop rapide du niveau de la dette et des déficits antérieurs par une pression fiscale rejetée de nos concitoyens) ?
Il nous faudra faire les bons choix. Je crois que nous devons désormais penser au redressement des comptes publics. L’objectif, au cours du prochain quinquennat devrait être de stabiliser l’endettement pour rassurer les marchés.
L’effort d’économie devra passer par une maîtrise de la dépense publique et non par une hausse des prélèvements obligatoires qui sont déjà au plus haut en France. Si la Banque centrale nous offre du temps, il nous faut engager des réformes structurelles susceptibles de générer des économies car celles-ci mettent toujours du temps pour produire leurs effets budgétaires. Enfin, il nous faudra à tout prix préserver les dépenses utiles à la croissance, sans quoi, le redressement des comptes publics sera vraiment une mauvaise opération budgétaire. Retenons des erreurs du passé : s’il faut réaliser des économies en traquant les dépenses inefficaces, il ne faut pas pour autant « sabrer » dans les investissements publics.
J’insiste ici sur la nécessité d’investir pour la transition écologique car ce débat ne doit pas occulter notre « dette climatique ». Chaque euro non dépensé en investissement climat aujourd’hui se reportera sur les générations futures. Ainsi, les services de l’Insee ont récemment évalué notre « dette climatique » à 150% du PIB. Cela nous donne la mesure des efforts qui seront à entreprendre en la matière.