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Sociétal - François Ecalle
Confiance & dette globale

François Ecalle : La soutenabilité de la dette publique : une question de confiance

3min
#Confiance & dette globale Analyses

Le Président de l’association Finances Publiques et Économie (FIPECO) qui fut également rapporteur général du rapport de la Cour des comptes, décrypte les conditions de la soutenabilité de la dette et démontre comment elle est inextricablement liée à la confiance. 

La dette publique de la France a fortement augmenté en 2020 et son montant a dépassé 115 % du PIB à la fin de l’année. Les dernières prévisions du Gouvernement la situent à la fin de 2022 à un niveau un peu plus bas en pourcentage du PIB (113,5 %), mais seulement parce que le PIB devrait fortement rebondir en 2021 et 2022 après sa chute en 2020. Beaucoup de nos compatriotes se demandent si un tel niveau d’endettement est « soutenable » et ne présente pas des risques excessifs. 

Cette note montre que la soutenabilité de la dette publique est surtout une question de confiance et précise certaines des conditions de cette confiance. 

Une question de confiance 

La dette publique est celle de l’ensemble des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale (l’État, les collectivités territoriales, les administrations de sécurité sociale ainsi que les établissements publics contrôlés par l’Etat ou des collectivités locales et dont l’activité est principalement non marchande). Comme elle est portée par l’État à hauteur de 79 % de son montant, on parlera ici de l’Etat pour désigner les administrations publiques par souci de simplification. 

La soutenabilité de la dette publique peut être définie comme la capacité de l’État à honorer les engagements pris lorsqu’il emprunte, à savoir payer les intérêts dus et, surtout, rembourser le principal de ses emprunts, dont le montant est beaucoup plus important que la charge d’intérêts, éventuellement en réempruntant (toujours en réempruntant pour un pays comme la France qui est en déficit depuis près de 50 ans). 

Si les créanciers de l’État ont un doute sur cette soutenabilité, ils considèrent qu’ils prennent un risque en lui prêtant et ne le font qu’en majorant la prime de risque intégrée au taux d’intérêt de leurs prêts. L’augmentation de la charge d’intérêts qui en résulte aggrave le déficit et la dette publics, renforçant ainsi les craintes des créanciers qui majorent de nouveau le taux d’intérêt requis pour continuer à prêter. 

Ce processus se termine par un défaut de paiement ou, le plus souvent, par une négociation entre l’État et ses créanciers, le premier essayant de convaincre les seconds qu’ils perdront moins en restructurant leurs créances qu’en provoquant un défaut de paiement. Cette négociation est généralement facilitée par l’intervention d’institutions internationales, notamment le FMI, qui peuvent apporter des fonds à l’État en difficulté. Il reste que celui-ci doit toujours mettre en œuvre des mesures douloureuses de redressement de ses comptes publics sous une contrainte extérieure qui remet en cause sa souveraineté.  

Les économistes ont cherché à déterminer un seuil d’endettement public, en pourcentage du PIB, au-delà duquel le risque de déclenchement d’une telle crise des finances publiques devient particulièrement fort, mais ils ne l’ont pas trouvé. Si le Japon n’éprouve pas de difficultés pour financer son déficit et rembourser une dette publique supérieure à 200 % du PIB depuis 10 ans, les conditions de financement de la dette espagnole se sont fortement dégradées en 2011-2012 alors même qu’elle était égale à seulement 60 % du PIB fin 2010. 

La soutenabilité de la dette publique dépend de multiples facteurs spécifiques à chaque pays et à chaque période, dont certains sont très qualitatifs comme la crédibilité des politiques publiques ou la solidité des institutions. Au total, c’est surtout la confiance des investisseurs qui compte. Il faut arriver à les convaincre que la dette publique est sous contrôle et que l’Etat pourra toujours réemprunter pour payer les intérêts et rembourser le principal de ses emprunts. Certaines des conditions de cette confiance peuvent être précisées. 

Les conditions de la confiance 

  1. Stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB 

Pouvoir stabiliser la dette publique, en pourcentage du PIB, est la principale condition de sa soutenabilité mise en avant par les études économiques. Elle peut et doit augmenter pendant les périodes de récession ou de fort ralentissement de l’activité économique pour soutenir les ménages et les entreprises puis relancer la croissance, mais il faut pouvoir en reprendre le contrôle dans les périodes normales pour la stabiliser ou la réduire. 

Les économistes ne savent pas à quel niveau elle doit être stabilisée et se contentent d’observer que plus ce niveau est élevé plus le risque de défiance des créanciers de l’État et de crise est important. 

La dette publique est stabilisée en pourcentage du PIB si sa croissance est identique à celle du PIB en valeur. Comme la dette en fin d’année est égale à la dette à la fin de l’année précédente majorée du déficit de l’année en cours, on peut facilement établir que le déficit permettant de stabiliser la dette à un certain niveau est égal au produit de cette dette par le taux de croissance du PIB en valeur. 

Si la croissance du PIB en valeur est de 3,0 % par an au cours des prochaines années (soit, par exemple, une croissance en volume de 1,5 % et une inflation de 1,5 %), comme le prévoit le Gouvernement, il faudra ramener le déficit public de 5,0 % du PIB (prévision officielle pour 2022) à 3,5 % puis le maintenir à ce niveau pour stabiliser la dette à 115 % du PIB. 

La France étant à la première ou à la deuxième place de l’OCDE pour le taux de ses prélèvements obligatoires, elle n’a plus beaucoup de marges pour les augmenter et il faudra donc faire un effort d’économies de l’ordre de 1,5 point de PIB sur les dépenses publiques, encore plus important sur les dépenses de fonctionnement si nous voulons accroître les investissements nécessaires à la lutte contre le changement climatique. C’est un peu plus que les économies réalisées dans les années 2011-2019 avec des mesures telles que le recul de deux ans de l’âge minimal de départ en retraite, le gel du point de la fonction publique pendant près de dix ans, une forte baisse des dotations de l’État aux collectivités locales qui les a obligées à réduire d’abord leurs investissements puis leurs dépenses de fonctionnement. Il n’est pas sûr que des mesures de cette ampleur soient acceptables par la société française après deux ans de « quoi qu’il en coûte ». 

Cet effort sur le total des dépenses publiques est indépendant du niveau et de l’évolution des taux d’intérêt. Si la charge d’intérêt de la dette publique est constante en pourcentage du PIB, l’effort à réaliser sur les dépenses primaires (hors intérêts) sera également de 1,5 point de PIB ; si cette charge diminue, l’effort sur les dépenses primaires pourra être plus faible ; si elle augmente, il devra être plus fort. 

Maintenir le déficit public à 3,5 % du PIB pour stabiliser la dette à 115 % du PIB est toutefois incompatible avec les règles budgétaires actuelles de la zone euro. Ces règles seront renégociées mais le résultat de cette renégociation est très incertain, notamment parce qu’un fossé très inquiétant s’est creusé entre deux groupes de pays : à la fin de 2020, 7 pays de la zone euro (tous au sud sauf la Belgique) avaient une dette supérieure à 110 % du PIB et 12 pays avaient une dette inférieure à 85 % du PIB (tous au nord sauf Malte), dont 8 pour lesquels elle était au-dessous du seuil de 60 %. Le maintien des règles actuelles ou d’éventuelles nouvelles règles pourraient obliger la France à faire un effort bien plus important de redressement de ses comptes. 

  1. Pouvoir ne pas compter indéfiniment sur la banque centrale 

Aujourd’hui, l’État peut s’endetter sans limites parce que la Banque centrale européenne (BCE), comme les banques centrales de beaucoup d’autres pays de l’OCDE, maintient des taux d’intérêt très bas à des échéances relativement longues et achète des quantités considérables de titres obligataires émis par les État de la zone euro. A la fin de 2020, la Banque de France détenait, pour le compte de la BCE, environ 20 % de la dette publique française. Les créanciers de l’État comptent sur la banque centrale pour lui permettre de se refinancer sans difficulté. 

Cette situation n’est cependant pas durable. Si l’inflation actuelle se répercute dans les évolutions salariales et ainsi s’autoentretient durablement, la BCE, comme les autres banques centrales, devra relever ses taux d’intérêt et/ou réduire ses achats de titres publics. Les Etats devront alors revenir sur les machés financiers pour placer leurs titres et maintenir la confiance des investisseurs. 

Ceux-ci peuvent certes espérer, en cas de forte hausse de la prime de risque d’un Etat, que la BCE déclenchera le programme d’achats de titres publics en quantités illimitées qui concrétise le « whatever it takes » de Mario Draghi. Ils pourraient cependant se rappeler que le bénéfice de ce programme est soumis à la condition d’un accord du pays concerné avec le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), une sorte de Fonds monétaire international (FMI) à l’échelle européenne, que cet accord impliquerait des mesures de redressement des comptes publics et que des gouvernements ont déjà fait savoir qu’ils ne l’accepteraient jamais. 

Beaucoup d’acteurs des marchés financiers pensent probablement que la BCE fera néanmoins toujours tout pour éviter le défaut de paiement d’un État fondateur de la zone euro, même si celui-ci refuse de prendre des mesures impopulaires de consolidation budgétaire. Ils ne devraient cependant pas exclure le développement de mouvements populistes favorables à une sortie de la zone euro dans le nord de l’Europe, agitant des slogans tels que « nous ne voulons plus payer pour les pays méditerranéens ». Une zone monétaire n’est pas forcément éternelle. La zone euro pourrait éclater et le retour des pays du sud à des monnaies faibles se traduirait par de fortes pertes de pouvoir d’achat pour leurs habitants. 

  1. Limiter l’endettement global du pays 

Certains observateurs des comptes publics s’inquiètent de la part importante de la dette publique française qui est détenue par des non-résidents (48 % à la fin de 2020 et 60 % si on exclut les titres achetés par la Banque de France). 

Ce risque doit être relativisé même si certaines études montrent que les non-résidents vendent plus rapidement les titres d’un État dont les perspectives de remboursement se dégradent. En effet, les résidents sont parfois les premiers à faire fuir leurs capitaux hors du pays lorsque les nouvelles sont mauvaises. L’agence France Trésor a d’ailleurs toujours promu le placement des OAT auprès de banques ou de fonds de pension étrangers au motif que ces placements sont une marque de confiance. 

Si les pouvoirs publics cherchaient néanmoins à augmenter la part des ménages ou entreprises qui résident en France dans le financement de l’Etat, ces nouveaux placements financiers manqueraient aux entreprises françaises, à taux d’épargne inchangé, et celles-ci devraient trouver de nouveaux financements auprès des non-résidents. 

L’épargne française est inférieure à l’investissement, pour l’ensemble des agents économiques (ménages, entreprises et administrations publiques), ce qui se traduit comptablement par un déficit de la balance de nos paiements courants avec le reste du monde. Une partie de nos investissements est financé chaque année par des prêts ou des apports en fonds propres venant d’autres pays. A la fin de 2020, l’écart entre les actifs des résidents vis-à-vis du reste du monde et les actifs des non-résidents vis-à-vis de la France (notre « position extérieure nette ») était fortement négatif (- 30 % du PIB), et c’est là que se trouve le problème le plus important. 

La position extérieure nette constitue la principale différence entre le Japon et l’Espagne (elle est très fortement positive pour le Japon et négative pour l’Espagne). Elle peut expliquer la perte de confiance des créanciers de l’Espagne dans la soutenabilité de sa dette publique en 2011-2012 alors même qu’elle était nettement inférieure à celle du Japon. Il faut donc avoir une vision globale de l’endettement et ne pas regarder seulement celui des administrations publiques. 

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La dette publique est soutenable si l’État garde la confiance de ses créanciers. Celle-ci est largement subjective et dépend de multiples facteurs, mais certains d’entre eux sont sans doute plus importants. En particulier, l’État doit pouvoir ne pas compter indéfiniment sur les interventions de la banque centrale et montrer qu’il est capable de stabiliser sa dette publique en pourcentage du PIB. Il doit en outre porter la même attention à l’endettement du pays vis-à-vis du reste du Monde qu’à la dette publique.