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Innovation & destruction créatrice

Éric Woerth : « Dépasser la question du prix du produit pour localiser l’industrie de demain en France »

6min
#Innovation & destruction créatrice Débats

Le député LR de l’Oise et président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale estime que le rôle de l’État reste fondamental en matière d’innovation, tout en plaidant pour plus d’efficacité et une meilleure articulation avec le privé. Éric Woerth affirme aussi la pertinence de l’échelon régional et considère que l’Union européenne a fait des progrès à l’occasion de la crise. Il souhaite que la France aille chercher un point de croissance supplémentaire d’ici à un an, grâce à la relance et l’innovation.

 

Sociétal.- Quelle appréciation portez-vous sur l’innovation en France, sa répartition entre le public et le privé, et son rang sur l’échiquier mondial ? Quelles sont ses particularités en France ?

Eric Woerth.- L’innovation est clairement soutenue dans la plupart des Etats par la recherche publique. Le rôle de l’Etat est fondamental car il donne l’impulsion initiale, par plusieurs canaux différents, au travers de ses agences et par le biais des commandes publiques. Et la recherche privée intervient pour la suite. En France, la recherche correspond à un peu plus de 2% du PIB, ce qui n’est pas suffisant et ne nous met pas parmi les premiers de la classe alors que l’innovation est essentielle car elle est créatrice du progrès. C’est par la technologie que nous progressons et que les modes de vie en société changent. Les révolutions technologiques conduisent à des évolutions sociétales fondamentales fondées sur la capacité à innover, c’est-à-dire faire et produire différemment.

Nous sommes encore à un moment-clef de notre histoire, au sortir d’une crise qui nous a atteint physiquement et qui a remis en cause la façon dont on vit dans le monde et le rapport aux autres passant par beaucoup de nouveautés dans les rapports sociaux. Chacun a touché du doigt ces changements, ce qui revoie à l’innovation : transformation du modèle de croissance, du modèle de communication, du modèle énergétique…

L’Etat dispose-t-il des bons outils pour soutenir la recherche ? Le crédit d’impôt-recherche (CIR) est-il toujours adapté dans sa configuration actuelle ?

Si il a été remis en cause dans certains rapports, le CIR a résisté à toutes les majorités, il pèse plus de 6 milliards d’euros. Sans CIR, la France n’accueillerait pas autant de chercheurs et d’unités de recherche sur son sol. C’est un outil fondamental qu’il faut au contraire développer. Il faut le compléter en amont, dans l’aval, mieux réfléchir à l’articulation public-privé pour le rendre encore plus efficace.

Comment favoriser cette articulation public-privé ?

En France il y a toujours des concepts à mode , on s’enthousiasme pour « la Barda », l’agence américaine sur les biotechs qui est en réalité une agence comme il en existe dans d’autres domaines tels la défense. Ce sont au fond des grandes agences centralisées qui récupèrent de l’argent public et de l’argent privé et qui le distribuent en fonction des projets aux versants de recherche publique et privée. En France, au contraire, nous connaissons une dispersion d’outils (Inserm, CNRS…) : ce sont des structures en général convenablement dotées mais qui ont tendance à reproduire des modèles centralisés et qui manquent sans doute d’une intégration industrielle.

Philippe Aghion défend l’idée d’une « BARDA à la française » et des dirigeants de start-up comme Alexandre Le Vert (Osivax) estiment qu’elle manquerait aujourd’hui pour la France. Qu’en pensez-vous ?

Je me méfie des engouements subits pour des notions employées avec le qualificatif  « à la française ». Je souhaite surtout que cela soit efficace. La recherche nécessite à mon avis de la centralisation avec des outils dont nous disposons déjà - CNRS, Agence Nationale de la Recherche, etc.-, autrement dit des instruments de pilotage de projets de recherche, qui ont tendance, c’est vrai, à parfois se marcher sur les pieds et dont la liaison avec les industriels est encore insuffisante.

Mais l’important est cette centralisation de la recherche, publique et privée, parce qu’à un moment donné elles se confondent, c’est d’ailleurs tout le sens de la BARDA. Alors on peut introduire de nouvelles structures, recréer l’ Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans laquelle les laboratoires seraient moins dispersés. Mais l’Inserm existe déjà avec des chercheurs de grande qualité. L’important est que les commandes arrivent, que l’argent soit là, que les chercheurs aient de l’argent pour leur laboratoire. L’Etat doit mettre plus d’argent de façon concentrée, les thèmes des recherches doivent être validés par les sachants, et les chercheurs aux manettes doivent être choisis parmi les meilleurs. C’est le meilleur dispositif possible.  

Pour un futur président de la République, être au cœur du pilotage des politiques de recherche, et de formation qui vont de pair sont des priorités pour faire en sorte de rester nous-mêmes maitres de notre destin en France et en Europe. Il faut l’assumer, donner des chiffres, et ne pas se contenter de projets de lois pluriannuelles qui encadrent les choses mais qui souvent ne sont pas respectées. On a besoin au niveau européen d’une recherche et d’une innovation très fortes mais également d’hommes et de femmes suffisamment bien formés. L’urgence est d’augmenter de niveau de compétences en France sinon on décrochera.

Comment retenir nos chercheurs en France ?

Il faut bannir toutes les limites d’âge, les payer correctement et leur donner un environnement propice à la création. Le financement de l’innovation et de la recherche, publique et privée, doit être prioritaire en liaison au moins avec les grandes entreprises. Et parallèlement il faut que les systèmes de formation soient bien dotés et surtout plus efficaces. En France, on n’est pas assez formé par rapport au monde que l’on doit affronter. 

Êtes-vous à l’aise avec l’idée de réindustrialiser la France ?

Oui évidemment. Tous les chiffres montrent qu’on a totalement décroché par rapport à l’Allemagne avec une industrie quasiment deux fois moins importante, même par rapport au nord de l’Italie, mais on a gardé tout de même plus d’industries sur notre sol que l’Angleterre. Il ne faut pas vraiment chercher à faire revenir des industries parties ailleurs car on y perdrait beaucoup de temps et d’énergie. Il faut simplement faire revenir celles qu’on considère comme stratégiques comme celle du médicament par exemple, et cela quel que soit le prix. On doit accepter de payer le prix fort car la souveraineté a un prix. Dans ce domaine, c’est une logique de souveraineté qui s’impose.

C’est l’industrie qui tire l’innovation par le haut et c’est bien l’industrie de demain qu’on doit localiser. On ne doit pas relocaliser mais localiser ! On doit tout faire pour qu’en dehors des problématiques de marché (coût du travail, proximité des marchés, accès à des brevets, etc.) on localise les activités à venir dans notre pays et en Europe. Les progrès technologiques doivent être réalisés sur notre sol et le coût du travail doit être absorbable. Pour qu’il en soit ainsi, cela implique que le contenu en valeur ajoutée des produits soit très élevé, que la fiabilité et la qualité des produits soient plus fortes que s’ils étaient produits ailleurs et qu’on accepte justement de les payer aussi plus chers parce qu’ils sont de meilleure qualité. Le problème est qu’on n’est pas du tout organisé selon ce modèle. Tous les industriels qui appellent à réindustrialiser sont en effet les premiers à d’abord analyser le prix d’un produit. On doit être capable à un moment de dépasser cette notion de prix et accepter qu’on soit dans un monde où les prix soient plus élevés et donc notre pouvoir d’achat un peu plus faible. Des prix plus élevés appellent aussi des salaires plus élevés, des marges plus élevées pour les entreprises et donc une dynamique positive.

L’industrie a encore une mauvaise image dans une partie de l’opinion par rapport au souci de la préservation de la planète. Qu’en pensez-vous ? Par ailleurs, comment concilier la relocalisation d’industries et l’intégration des externalités négatives dans le prix des produits au risque de compromettre leur compétitivité ?

En-dehors de l’image de l’industrie, il y a évidemment tout le contenu écologique et sociétal de la production. Nous avons en effet toute une série de normes de vie qui doivent se retrouver dans les produits qu’on achète, de l’égalité hommes-femmes, à l’environnement au non-travail des enfants. S’ils n’intègrent pas nos propres normes éthiques, ces produits doivent être taxés, par exemple, à travers l’instauration d’une taxe sociale à côté de la taxe carbone, qui complique l’importation d’un certain nombre de biens qui dérogent à nos valeurs de façon claire et nette. Nos normes sociales fondamentales doivent être respectées indépendamment de la question du prix.

Quant à l’image de l’industrie, elle a beaucoup changé. Je ne connais pas de collectivité territoriale qui n’accepterait pas de développer une vraie zone industrielle ou d’implanter telle ou telle entreprise industrielle. Au contraire l’industrie devient très porteuse même si le secteur éprouve des difficultés à recruter pour des raisons parfois de salaires ou de contraintes concernant le travail (travail de nuit etc.). Mais le secteur est devenu beaucoup plus inclusif, les centres de formation gérés par les secteurs industriels doivent se développer, l’apprentissage doit devenir la norme, les salaires doivent être plus élevés et l’industrie doit aussi gérer sa chaine de sous-traitance. Les grands industriels ont des responsabilités vis-à-vis des autres industriels qui les suivent. Des codes de sous-traitance doivent être mis en place et respectés. Dans le secteur automobile, des industriels ne doivent pas faire porter sur leurs sous-traitants tout le poids de leurs changements.  

Un ministère de l’Industrie a-t-il encore un sens en France ? Faut-il le renforcer et le rendre distinct de Bercy ?

Autant je crois à l’idée d’agences opérationnelles gérant les systèmes de recherche, autant je pense qu’un ministère de l’Industrie doit rester ce qu’il est aujourd’hui. Il ne doit pas déterminer les nouveaux plans quinquennaux comme dans le passé. Il doit orienter les crédits publics, coordonner stratégiquement les dotations aux agences et avec les différentes parties prenantes. Une structure étatique industrielle est évidemment nécessaire mais l’avenir industriel ne doit pas être dicté par l’Etat.

Le Haut-Commissariat au plan lancé par Emmanuel Macron et dirigé par François Bayrou doit-il être pérennisé ?

À mon avis, non. Un Haut-Commissariat au Plan ne me parait pas indispensable. L’Etat doit évidemment tenter de prévoir, mais d’autres organismes comme France Stratégie, placés auprès du Premier ministre, qui avaient remplacé le commissariat au Plan, existaient déjà. Sans supprimer ces organismes, on a recréé un commissariat : il ne faut pas changer tout le temps !

L’Etat doit fixer les grandes lignes, travailler à dix ou vingt ans, ce que les entrepreneurs ne peuvent pas toujours faire, orienter et se montrer très souple, et bien sûr avoir les moyens nécessaires pour le faire. Parallèlement il faut que les sujets de recherche aboutissent conformément à des critères d’efficacité.

À propos des aides publiques, on pointe souvent leur distribution uniforme, une sorte de saupoudrage. Ne gagnerait-on pas en efficacité en les fléchant selon les secteurs d’excellence et vecteurs d’emploi ?

Sans doute. L’Etat doit agir avec une vision stratégique, sans réflexes bureaucratiques et dans une démarche de mission. Le fléchage des crédits doit s’effectuer en lien avec les industriels et les chercheurs. Car dans la recherche il y une forte dimension internationale avec des labos de plusieurs pays qui travaillent ensemble, des publications mondiales... En fait, je crois à la centralisation des moyens et à la déconcentration et à la décentralisation des résultats et du travail. Une bonne centralisation au départ des crédits vers les différents organismes (CNRS, Inserm, Agence Nationale de la Recherche) me paraît indispensable à condition que ces crédits soient évalués et soumis à une transparence. Il faut donner un certain nombre d’objectifs…et de résultats.

Qu’il s’appelle commissariat au plan ou autrement, je suis favorable à un organisme de prospective attaché à l’Etat avec des publications en accès libre, qui travaille à 10 ou 15 ans et qui permette aux politiques de s’organiser. Mais aujourd’hui ce n’est pas le cas, le Haut-Commissariat travaille dans l’actualité, se demande s’il faut introduire ou non de la proportionnelle. Cherchez l’erreur ! 

Joe Biden a annoncé aux Etats-Unis des plans sectoriels très fortement dotés financièrement comme pour les semi-conducteurs avec un soutien bipartisan au Capitole. N’est-ce pas un exemple à suivre ?

On ne manque pas de plans en France. On l’a fait par exemple pour l’aéronautique. Prenez le cas de Naval Group, un groupe qui était jadis une direction d’administration centrale et est devenu un groupe privé, resté proche de l’administration, qui vend des sous-marins à l’Australie. Ou encore Thales, une entreprise bourrée de technologies et de recherche, très liée à l’Etat, mais qui porte indépendamment ses propres engagements. La recherche c’est d’abord un résultat !  

Dans le plan de relance, il y a effectivement le redéploiement d’un certain nombre de crédits en fonction de secteurs, en faveur de l’hydrogène, de l’Intelligence artificielle (IA), du numérique, de l’Airbus des batteries. Mais nous sommes sur des sujets où la France a déjà pris du retard. Concernant les batteries, les Allemands étaient à la manœuvre depuis bien longtemps. BMW avait compris que la valeur ajoutée d’une voiture se trouvait dans la batterie, l’énergie et le numérique plutôt que dans la qualité des amortisseurs ou la puissance du moteur.

On a besoin de recentrer tout cela au niveau européen à partir de crédits européens. L’Europe a fait de vrais progrès pendant cette crise même si cela n’a pas toujours été perçu par la population, les réflexes ont été les bons : emprunter pour investir, aider à un plan hydrogène français pour concevoir une filière européenne de l’hydrogène… Avoir eu une stratégie européenne d’achat de vaccins a été aussi positif même si je mesure les difficultés de mise en œuvre. Procéder autrement aurait obligé l’armée française à protéger les camions de vaccins arrivant en France ! Plus sérieusement, cela aurait été un accélérateur d’éclatement de l’Europe.

Quant au plan massif de Joe Biden, on doit bien comprendre que les Etats-Unis sont un pays et que l’Europe n’en est pas un. On voudrait à la fois avoir les résultats, le management et les modes décisionnels d’un pays et en même temps on ne le souhaite pas car on a très peur que l’Europe écrase l’identité des nations. A un moment donné, il faut choisir !

Que pensez-vous de la pertinence de l’échelon régional ? Des structures d’aide régionales sont-elles utiles ?

L’échelon régional devrait être bâti autour de la formation, essentielle pour l’innovation. C’est le bon niveau de décision. On a vraiment des progrès à faire là-dessus. Les régions sont le bon outil d’analyse des besoins en formation et probablement les plus réactives. Elles sont proches de leurs milieux industriels car suffisamment grandes en taille et encore dans la proximité. Les modes de financement accessibles au niveau régional doivent être renforcés.

Cela est arrivé avec le fonds de solidarité et dans l’accès aux Prêts garantis par l’Etat (PGE) qui intégraient des parts régionales. Celles-ci, mises en avant lors du premier confinement, ont quelque peu disparu avec le temps. Des banques publiques régionales ou des sociétés d’économie mixte (SEM) sont utiles pour drainer l’argent local. L’idée d’une proximité régionale est fondamentale et le triptyque Régions-France-Europe s’articule bien, ce sont de bonnes chaînes de commandement.

À l’heure de l’Airbus des batteries, des propositions se font jour dans l’optique de bâtir des géants européens. Serait-il opportun de recourir à un golden share pour par exemple obliger Sanofi à localiser et garantir un périmètre européen dans l’optique d’un Airbus de la santé ?

Je suis très dubitatif sur cette proposition. Les industriels doivent garder leur liberté d’entreprendre. Même s’il faut aussi garder de la protection notamment sur les brevets. Cela doit être surtout du cas par cas. Dans le domaine de la localisation de la production, pour des industries très stratégiques, et aussi pour des importations et les rachats d’entreprise, on a bien sur besoin d’outils de protection.

Sanofi n’a pas été au rendez-vous , ils n’ont pas pris le bon chemin pour trouver le vaccin contre la Covid-19. Cela n’a rien à voir avec une norme administrative ou à un problème de droit des sociétés ! On croit que la recherche fonctionne avec d’énormes entreprises. Enorme erreur ! Dans le domaine technologique, c’est le big bang, ce sont les toutes petites entreprises qui découvrent, qui éclatent ensuite pour devenir parfois très grosses. Rares sont les très grandes entreprises qui vont faire des progrès technologiques fondamentaux dans leurs propres labos. D’ailleurs, elles recherchent toutes des pépites industrielles ou technologiques avec lesquelles collaborer.  

Que pensez-vous de la thèse de Philippe Aghion sur la destruction créatrice, selon laquelle pour développer les dispositifs d’innovation il faut s’appuyer sur trois piliers : l’État, les entreprises et la société civile ? Comment régler le curseur et quelles sont les meilleures imbrications de ces trois composantes ?

On ne peut être que d’accord. La question est celle du bon dosage. C’est un problème de chaîne. L’État est le bien commun et il a la capacité de lever l’impôt. L’Etat doit maitriser sa dépense publique de fonctionnement pour mieux se concentrer sur la dépense d’investissement. Cette libération ne libère du progrès et un supplément de croissance que si derrière il y a des entreprises qui produisent, des biens qui s’achètent et des salaires qui sont versés. Le lien État-entreprises est fondamental, il doit être sain, et ne pas rester sur un terrain mouvant. Au bout du compte, des produits se créent, se retrouvent sur les marchés et permettent de faire évoluer la société, avec une valeur ajoutée plus forte, des salaires tirés vers le haut, plus de pouvoir d’achat et donc des créations d’emplois.

Avez-vous des exemples des modèles de pays inspirants à cet égard ?

Nous nous situons entre les pays anglo-saxons et les pays nordiques. Il faudrait emprunter un peu des deux : le goût entrepreneurial des démocraties anglo-saxonnes où on peut oser et créer, et le coté très rigoureux des démocraties nordiques dans l’emploi des fonds et dans l’efficacité.

Sans vouloir copier un pays en particulier, il faudrait quand même parvenir au modèle allemand industriel. État et Landers y ont tiré dans le même sens et les entreprises se gèrent de façon très indépendante tandis que la puissance de feu allemande les aide beaucoup à l’export.

Quant à l’opinion publique évoquée par Philippe Aghion, elle ne peut plus accepter un taux de chômage de plusieurs points au-dessus de celui de nos voisins, quelle que soit la croissance. Il faut réduire le chômage, le transformer en heures travaillées grâce à un système de formation et le droit du travail qui le permettent.  

Comment résister aux GAFAM ? Qui gouverne aujourd’hui le monde ?

On ne peut pas laisser des entreprises devenir aussi influentes que des Etats au risque de perdre nos libertés. Ce ne sont pas les mêmes logiques. Permettre à des entreprises d’avoir le monopole des données, ne rien comprendre sur leur utilisation réelle, être démuni comme de nombreux Etats face à de véritables boites noires, tout cela n’est pas acceptable. Les mouvements qu’opèrent les Etats-Unis à ce sujet sont bienvenus. La limite se situe quand un Etat devient plus faible qu’une entreprise. À ce moment-là, les pouvoirs publics doivent reprendre la main. Il n’y a aucune raison non plus d’avoir des capitalisations de cette importance.

Nous avons clairement laissé partir le train de l’Intelligence artificielle (IA). Il y a beaucoup d’autres sujets où nous pourrons nous distinguer. Par exemple nos industriels de la défense, très clients de nouvelles technologies, ne sont pas du tout décrochés. Nous sommes à la croisée des chemins sur notre capacité à décider de notre destin. Il n’y a pas de destin sans technologie et sans maîtrise de celle-ci.

Mais une question se pose : comment fait-on pour continuer à développer l’automatisation, la robotisation, l’innovation sans détruire de l’emploi ? Évidemment les emplois se créent s’il existe les systèmes de formation nécessaires.  

Que retenez-vous comme signes positifs et négatifs de la période de crise sanitaire ?

Sur le plan humain, lors du premier confinement surtout, on a connu une vraie solidarité, une envie de communion, quelque chose de capital dans une société par ailleurs très tendue.

On a aussi vu que l’étatisation à outrance commençait à avoir ses propres limites et faiblesses. En fait on ne sait pas prévoir, on n’a pas fait confiance aux acteurs locaux. La relation régions-Etat n’a pas été optimale. Au fur et à mesure, les choses se sont faites dans un dialogue transpartisan. Le modèle étatisé est pétri de vertus mais il faut que la centralité accepte que les pouvoirs locaux s’exercent. Les dix derniers kilomètres doivent être franchis à un moment donné par les pouvoirs locaux.

Enfin, les questions de souveraineté se sont imposées. La souveraineté est une doctrine d’identité nationale qui aboutit aux solutions contraires du souverainisme qui est un enfermement. On doit accepter d’assumer la concurrence. On doit juste s’y préparer et éviter toute naïveté.

J’espère que de tout cela on tirera des conséquences et qu’on vivra dans un monde un peu meilleur que celui d’hier. Il faudra tirer de vraies conséquences sur les inégalités sociales, les modes de travail, les relations des uns aux autres, notre capacité à assumer notre souveraineté, à investir plutôt qu’à dépenser. Si la France ressort d’ici à un an avec un point de croissance potentielle supplémentaire fondée sur la relance et sur l’innovation, ce sera une grande satisfaction. On doit aller chercher ce point de croissance durablement. La France ne peut pas vivre avec un niveau de vie qui ne corresponde pas à sa richesse réelle.     

 

 

Propos recueillis Philippe Reiller et Aude de Castet