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Clarence Michel : Pour une taxation des titres inversement proportionnelle à leur durée de détention

Travailler sur la raison d’être des organisations nous a permis de rendre encore plus évidente une idée qui aurait pu (du ?) être reprise depuis longtemps par le monde politique et syndical. [...]

Une idée qui semble être à la base du concept de développement durable dans une économie de marché : lier la durée de détention d’un titre financier à la taxation liée à la vente de celui-ci. Un investisseur qui est là sur la durée pourrait être ainsi récompensé et voir le montant qu’on lui prélève édulcoré. Par contre, la spéculation de court terme aurait un prix, une augmentation significative de l’imposition des plus values réalisées. Cela pourrait s’accompagner d’une simplification fiscale et d’une harmonisation Européenne pour compléter le tableau et achever la transformation de notre pays.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le débat sur la taxation des produits financiers a très peu évolué depuis la fin du vingtième siècle… On retrouve d’un côté, la partie de la population qui demande l’instauration d’une taxation sur les transactions financières. Le sujet a été remis au goût du jour par le rapporteur du budget du Parlement Européen, le Français Pierre Larrouturou, qui a entamé une grève de la faim sur le sujet en octobre 2020. Dans l’esprit collectif, le modèle de de type de taxe à l’origine, c’est la fameuse taxe « Tobin », proposée en 1972 par le futur prix Nobel d’économie keynésien James Tobin. Dans son idée, cette taxe concernait alors les transactions monétaires et visait à limiter la volatilité des taux de change. Par extension, les mouvements altermondialistes, souvent très à gauche et représentée par des ONG comme Attac, ont détourné l’idée initiale, au grand dam de James Tobin, pour l’orienter vers une taxe sur les transactions financières. En France, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, au début de la présidence de François Hollande a d’ailleurs mis en place dans la loi de finances 2012 une taxe de ce type, uniquement Française et pour les sociétés dont la capitalisation boursière est supérieure à 1 milliard d’euros. L’Angleterre est le seul autre pays Européen à avoir une taxe du même type, censée aider à « réguler le marché boursier ».

Face à ces modèles qui ont démontré une certaine efficacité en termes de rentrées fiscales, mais pas la moindre évolution des activités de trading haute fréquence qui étaient visées originellement, le débat continue, mais sans nouvelles approches. Contre cette taxe, il existe une opposition idéologique très forte, en provenance des milieux financiers notamment et des pays dits frugaux, hostiles par principe à ce type d’outil fiscaux. Ils arguent notamment qu’une telle taxe n’aurait de sens que si elle était appliquée à l’échelle de la planète, car elle risque de détourner des capitaux hors de l’Union Européenne… Cet argumentaire rend l’instauration d’une telle taxe quasi impossible… Et le débat avance très peu, car si chacun a son idée de la façon dont pourrait être employé l’argent récolté grâce à la taxe (!!), personne ne propose de raisonnement assez séduisant intellectuellement sur ce qui pourrait justifier une évolution de la taxation des produits financiers.

Quand on observe les prises de paroles, tout du moins en Europe et aux États-Unis sur le sujet, combien de citoyens très impliqués dans ce débat cherchent à le transcender réellement pour trouver une solution ? Après avoir mené quelques recherches, nous avons bien trouvé quelques mécanismes d’abattement, en France et dans d’autres pays, liés à la durée de détention des titres pour les dirigeants associés d’une société notamment. Mais pas de défenseurs d’une refonte totale de la taxation, qui permettrait une réinvention et un dépassement du capitalisme dans sa forme actuelle. Non, en lieu et place, il y a même un système qui pousse au contraire à la revente rapide des titres, le Service de Règlement Différé. Et un grand nombre d’acteurs qui utilisent la thématique de l’urgence écologique et les idées de la décroissance pour remettre purement et simplement en cause l’économie de marché.

Pourtant, il y a une idée qui nous semble-t-il mériterait d’être réellement examinée. Cette idée qui nous anime depuis des années n’a pas été loin d’être abordé lors de la passionnante conférence de M. Roger Baudoin sur gouvernance et raison d’être le 19 octobre dernier. M. Baudoin a en effet fait clairement référence a la durée de détention d’une action, qui pourrait être un déterminant de la qualification des différents types d’actionnaires. Si l’on va plus loin, on obtient la proposition que nous voulons formuler ici et qui s’appuierait sur les fondements du fonctionnement du capitalisme et sur les limites de celui-ci. Le débat étant concentré depuis ses origines sur la vieille opposition entre partisans et adversaires du marché, l’heure ne serait-elle pas venue d’essayer de les réconcilier en partie en proposant une solution qui soit en mesure de relancer le dialogue, y compris avec la frange raisonnable des écologiques ? Qui permette d’interroger sur les finalités de la bourse ? La solution que nous proposons reviendrait à introduire un remplacement de la fiscalité existante, qui s’opère à la vente des titres et applique un taux unique, lié à l’appréciation de la valeur de celui-di (ou à sa dépréciation, il y a alors crédit d’impôt). À la place de ce système, nous proposons l’introduction d’un taux évolutif, qui prendrait enfin en compte l’essentiel, à savoir la durée de détention du titre. Les vrais investisseurs, ceux qui partagent la vision de Warren Buffet sur le rôle fondamental des marchés dans le financement d’une entreprise seraient gagnants, puisqu’on pourrait se permettre de baisser la pression fiscale… Et bien entendu, il faudrait mener cette révolution non à l’échelle de la France, mais à l’échelle de l’Union Européenne, qui a grand besoin de grands projets fédérateurs… Les spéculateurs ne disparaitraient pas pour autant, mais la part de leurs gains éventuels revenant à la collectivité deviendrait elle bien plus importante. Et permettrait ainsi de contribuer à un financement des priorités Européennes (qui ne sont pas l’objet de cet article…). Grâce à ce système simple, clair, lisible, nous pourrions progresser dans notre ambition de réconcilier les citoyens et les marchés. En ramenant la bourse et les produits financiers à leur rôle originel, prendre enfin en compte la durée de détention des titres financiers pourraient constituer une avancée majeure dans l’acceptation des marchés par le grand public.

Le système capitaliste a prouvé depuis plus d’un siècle son caractère indépassable pour créer des richesses. L’économie de marché a contribué à la prospérité de la planète. Mais elle est menacée aujourd’hui par plusieurs sujets : la colère des citoyens vis à vis des politiques, le mal être au travail de si nombreux individus ayant perdus confiance dans leurs entreprises, la perte de confiance dans les institutions, etc. La crise en cours est une menace de taille sur tout le système et sur les démocraties usées Occidentales. En appliquant une réforme fiscale de grande ampleur, qui s’appuie sur ce principe, tout en simplifiant la fiscalité en général pour la rendre plus lisible et idéalement en harmonisant ce qui peut l’être avec nos voisins, nous aurions les bases de ce qui peut permettre de nous relever durablement. Le capitalisme est amené à muer et muter comme jamais auparavant, en lien avec les profondes mutations induites par le changement climatique et les progrès technologiques. Schumpeter avait attiré notre attention sur les limites liées à l’excès de concentration notamment, qui va peut-être amener un prochain gouvernement Américain a démantelé Google par exemple. À une époque ou l’épargne privée atteint des sommets, ou les dettes publiques sont elles aussi vertigineuses, au lieu d’en arriver à des solutions confiscatoires qui pourraient déstabiliser toute la société, le moment n’est-il pas venu d’être enfin véritablement créatif ?

Clarence Michel, Fondateur de 3-COM et Purpose Info 3-COM

Cabinet de conseil fondé en avril 2020 à Aix-en-Provence, spécialisé dans l’identité et la culture des organisations et plus particulièrement l’histoire, les valeurs, la raison d’être et la vision. Purpose Info est un rendez-vous mensuel autour de la raison d’être. Les premiers épisodes ont permis de recueillir les avis d’experts tels que Jean-Charles Simon, Bertrand Valiorgue, Martin Richer et Michel Albouy.


[1] https://www.ouest-france.fr/europe/ue/ces-europeens-veulent-taxer-les-transactions-financieres-7045168

[2] https:// www.capital.fr/entreprises-marches/taxe-transactions-financieres-1341710

[3] https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/la-taxe-sur-les-transactions-financieresva-rapporter-plus-que-prevu-a-letat-1242790

[4] https://www.societal.fr/baudoin-roger-gouvernance-et-raison-detre

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