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Confiance & dette globale

Bertrand Candelon : Le niveau de la dette était déjà important avant la pandémie

3min
#Confiance & dette globale Analyses

Depuis maintenant près de deux ans, la crise de la COVID a bouleversé notre quotidien en limitant notre mobilité, nos contacts sociaux et plus globalement notre vision de la société. Les gouvernements ont mis en place dans l’urgence des plans de soutien exceptionnels et d’une ampleur jamais vue. Par exemple, le plan de relance américain est au moins 5 fois plus important que celui que le président Obama avait mis en place pour la grande crise financière de 2008. Ces interventions vont immanquablement augmenter les dettes publiques, qui atteignent des niveaux jamais vu dans l’histoire. Qu’en est-il de la situation française ? La question de sa soutenabilité se pose de manière accrue et va faire l’objet de toutes les attentions au cours de la prochaine élection présidentielle de 2022.  Des actions politiques vont devoir être menées, afin d’éviter un défaut de paiement et l’apparition d’une crise souveraine similaire à celle de la période 2010-2012. De plus, il sera important d’ancrer ces actions dans le cadre européen afin de pouvoir en bénéficier. Pour y voir plus clair sur l’endettement français  Bertrand Candelon a répondu aux questions de l’Institut Louis Bachelier (ILB) pour la revue Sociétal. 

Propos recueillis par Ryadh Benlahrech, responsable éditorial chez Institut Louis Bachelier

Sociétal.- Où en est la dette publique française et est-elle soutenable ?  

Bertrand Candelon.- La dette publique de la France a logiquement explosé durant la crise de la Covid-19 pour atteindre près de 115 % du PIB à la fin de l’année 2020. L’augmentation des dépenses publiques au cours de la pandémie s’est avérée nécessaire pour éviter l’effondrement complet de l’économie. Dans ce contexte, les dépenses publiques ont joué leur rôle contracyclique. Elles ont permis de compenser les salaires des personnes mises au chômage partiel durant les restrictions (confinements, couvre-feux), d’aider les entreprises en difficulté en les indemnisant, et de les soutenir avec des prêts garantis par l’État (PGE). Cependant, le niveau de la dette était déjà important avant la pandémie avec un découplage important avec ceux de l’Allemagne et des Pays-Bas comme l’indique la figure 1 ci-dessous. 

Cette situation a engendré une diminution des marges fiscales disponibles (ce qu’on appelle l’espace fiscal) de la France, qui s’est retrouvée avec moins de marge de manœuvre que ses deux voisins pour soutenir l’économie en 2020 et la relancer en 2021. Autrement dit, on en revient à l’analogie toute simple avec la fable de ”la cigale et la fourmi“, qui s’applique à la France : lorsque la situation économique était favorable, elle a continué à dépenser au lieu d’épargner et de réduire son endettement. Heureusement que la Banque Centrale Européenne (BCE) a mis en place, depuis la grande crise financière de 2008, une politique monétaire très accommodante basée sur des rachats de titres privés et publics, mais aussi des taux d’intérêt proches de zéro. Dans ces conditions, la charge de la dette devient nulle et deux stratégies sont alors possibles, soit les emprunts s’accroissent énormément, soit un désendettement s’enclenche. Or, depuis la crise des dettes souveraines de la zone euro en 2012, la France n’a que très peu utilisé cette situation favorable pour se désendetter contrairement à ses voisins. D’ailleurs, nous montrons dans un article de recherche récent intitulé, Fragmentation in the European Monetary Union : Is it really over?, que même si les écarts de taux restaient faibles entre pays européens, l’hétérogénéité de leurs liens se sont accrus au cours de la pandémie, faisant courir le risque d’une fragmentation européenne : si un choc quelconque se produisait, une nouvelle crise des dettes souveraines pourrait survenir en Europe.   

Pour l’heure, la dette de la France est soutenable, car les intérêts de la dette sont négatifs, mais cette situation n’est pas un équilibre de long terme. Avec la hausse de l’inflation en Europe, la BCE s’interroge sur la fin de ses programmes de rachat de dettes publiques et sur le calendrier de remontée des taux à appliquer. Et lorsque les taux remonteront, la situation deviendra plus compliquée concernant la soutenabilité de la dette publique. Pour que la dette reste soutenable, il faudrait qu’elle génère plus de croissance qu’elle ne coûte d’intérêt. Actuellement, avec une croissance faible, la soutenabilité ne pose pas de problème, car les taux sont nuls. En revanche, si les taux remontent à 3 % ou 4 %, ce qui ne constitue pas un niveau hors du commun d’un point de vue historique, il faudrait une croissance qui soit au moins supérieure à ce niveau. Or, depuis la crise de 2008, on a observé une baisse de la croissance potentielle (“nouvelle normalité”) : dans les pays avancés, elle atteint 1,5 % contre 3 % auparavant. Et la crise de la Covid-19 pourrait encore réduire davantage cette croissance potentielle (“nouvelle nouvelle normalité”) et la ramener autour de 1%. Ces craintes sont fondées, car plusieurs facteurs associés à la crise de la Covid-19 peuvent jouer sur la croissance future : la baisse du capital humain en raison des fermetures des écoles et des universités, la chute des investissements en recherche & développement (R&D) et la forte hausse des inégalités. Nous verrons leurs conséquences seulement dans quelques années, mais il est urgent de mettre en place des politiques, comme un plan pour augmenter l’efficience scolaire ou l’accentuation du crédit impôt recherche, pour contrer ces effets potentiellement dévastateurs pour la croissance future.   

Comment réduire son niveau ?  

La dette ne constitue pas un problème en soi si elle est efficiente et que la consommation ou les investissements publics génèrent de l’activité. Pour que ces derniers soient efficaces, ils doivent produire de l’activité supérieure aux taux d’intérêt. En clair, il faut dépenser dans les secteurs industriels stratégiques, ainsi que dans ceux pourvoyeurs d’emplois en adoptant une feuille de route pragmatique plutôt qu’idéologique. À long terme, il est évident que les investissements dans la R&D et l’éducation sont des générateurs de croissance. Pour les allocations à d’autres secteurs, l’analyse des effets multiplicateurs et le calcul des retours sur les investissements publics sont nécessaires. Si certains investissements ne sont pas rentables, il faut les stopper, tout en accompagnant le redéploiement des effectifs licenciés. Cependant, au cours de la pandémie, le soutien massif des autorités a permis de sauver de la faillite des entreprises qui étaient déjà condamnées. Un autre exemple concerne la formation continue. En 2003, lors de la crise du SRAS à Hong-Kong, des formations étaient obligatoires pour les personnes confinées. C’est dommage que ce dispositif n’ait pas pu être mis en place en France et plus largement en Europe. Pour conclure cette réponse, j’estime que la mauvaise solution serait de réduire les dépenses, comme après la crise de 2008. Nous avions alors observé que la politique d’austérité avait eu un effet inverse par rapport à celui escompté : la croissance avait baissé plus que le déficit public (multiplicateur supérieur à 1) entraînant une détérioration du niveau de la dette par rapport au PIB. À l’inverse, lorsqu’il y aura plus de croissance dans le futur, il ne faudra pas répéter les mêmes erreurs et en profiter pour se désendetter et ramener le niveau de la dette publique dans les niveaux imposés par les critères du traité de Maastricht. 

Quel rôle peut et doit jouer l’Europe ?  

Si le plan de relance européen, qui consiste en une émission commune de titres publics et donc en une mutualisation des dettes en Europe, a le mérite d’exister, il n’est seulement que de 1,5 % du PIB de la zone euro. Comme évoqué précédemment, notre dernier article de recherche montre qu’un choc, par exemple une hausse des taux d’intérêt, pourrait conduire à une fragmentation de la zone euro. Face à cette menace, une des possibilités consisterait à augmenter le plan de relance européen de quelques points supplémentaires pour rassurer les investisseurs et limiter ainsi les primes de risques sur les titres souverains de certains pays, en particulier périphériques. En contrepartie de cet effort européen supplémentaire, il faudrait instaurer une surveillance encore plus stricte des budgets nationaux de la part des instances européennes. Il y a déjà le conseil de stabilité financière au niveau du G20, nous pourrions imaginer la création d’un fonds monétaire européen avec une visite annuelle dans chaque pays, à l’image des missions du Fonds Monétaire International (FMI). L’accroissement de la mutualisation des dettes permettrait de gérer les futures hausses des taux d’intérêt en limitant les primes de risques sur les pays les plus fragiles et donc d’éviter une nouvelle crise en Europe.  


Bertrand Candelon est professeur de finance internationale à l’Université Catholique de Louvain et à l’Université de Maastricht. Il est également directeur scientifique du programme de recherche Modélisation des Risques Financiers et extra-Financiers, une initiative commune de l’Institut Louis Bachelier avec la société de conseil en investissement financiers Insti7. Spécialisé en macroéconomie et dans les crises économiques, il a été membre du groupe de monitoring économique (ERMG) mis en place par le Premier Ministre Belge au cours de la première phase de la crise de la COVID et collabore avec le Fonds Monétaire International. Il publie régulièrement des articles dans les plus grandes revues internationales.