À la fois lettre de mission et contrat social, la raison d’être suscite l’adhésion des parties prenantes en répondant à la question du sens.
Désormais, la loi française reconnaît que l’objectif de l’entreprise ne se réduit pas à faire du profit - ce que tout patron sait d’expérience - mais qu’elle a une raison d’être plus large, embrassant d’autres parties prenantes que ses seuls actionnaires. Ainsi, c’est en 2019 qu’a été reconnue, dans la loi PACTE [1], la nécessité de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux pour le bon exercice de l’activité de l’entreprise, et que celle-ci a été invitée à formuler une raison d’être qui ne se limite pas au service des actionnaires. Pourtant, au début du XXème siècle, Henry Ford déclarait déjà : « L’entreprise doit faire des profits, sinon elle mourra ; mais si l’on tente de faire fonctionner l’entreprise uniquement sur le profit, alors elle mourra aussi car elle n’aura plus de raison d’être. »
En deux ans, plus d’une centaine d’entreprises françaises ont défini leur raison d’être : un quart d’entre elles l’ont inscrite dans leurs statuts et d’autres s’apprêtent à le faire. S’agit-il de simples déclarations d’intention ou orienteront-elles les choix stratégiques ? L’avenir le dira. Les doutes instillés par quelques entreprises se dotant d’une raison d’être par opportunisme n’entament ni la sincérité de la démarche des autres entreprises, ni la portée de ce dispositif.
Le concept de raison d’être est utile à la gouvernance de l’entreprise, à condition qu’il ne demeure pas un concept ! Pour qu’elle serve pleinement, elle doit faire office d’opérateur critique : autrement dit, l’entreprise doit pouvoir se fonder sur elle pour analyser, dresser un bilan, agir. À cette fin, trois chantiers doivent être conduits : faire en sorte que la raison d’être soit prise en compte dans les décisions du conseil d’administration et infuse la stratégie ; qu’elle soit portée par toute la chaîne managériale et déclinée dans l’ensemble de l’organisation ; apporter la preuve de sa bonne mise en oeuvre, en instaurant et publiant des indicateurs de suivi.
À travers sa raison d’être, l’entreprise explicite sa finalité et les ressorts ultimes de son action, ainsi que ce qui fait sa singularité et donc sa force. À la fois lettre de mission et contrat social, la raison d’être suscite l’adhésion des parties prenantes en répondant à la question du sens. Elle aide les dirigeants à relever deux défis inhérents à toute entreprise : donner du sens à l’action de l’entreprise dans la société et donner du sens au travail des salariés dans l’entreprise.
En déterminant le rôle et la place de l’entreprise dans la société, en la repositionnant dans le temps long, la raison d’être contribue à l’émergence d’un capitalisme plus responsable et plus patient. La formuler ancre les actions de l’entreprise dans le long terme. La raison d’être a d’ailleurs vocation à accompagner l’entreprise sur la longue durée, au cours de ses différentes phases de développement, traversant les plans stratégiques successifs… et aussi les crises. Celle que nous avons vécue en 2020, avec la pandémie de coronavirus, a constitué une épreuve de vérité pour la raison d’être des entreprises : si malgré un tel choc, une entreprise a appliqué sa raison d’être, alors, sans hésitation, on peut conclure que sa démarche est honnête et enracinée au plus profond d’elle-même
Toutefois, à multiplier les engagements, les entreprises multiplient les risques. Il en va de la raison d’être comme des objectifs RSE, des chartes éthiques, des valeurs. Les agences de notation, les associations, les salariés prennent les entreprises au mot et vérifient si elles respectent leurs engagements. Plus les entreprises se parent d’une raison d’être ambitieuse, plus elles s’exposent à l’examen de la cohérence entre leurs paroles et leurs actes. La règle du jeu est claire : la raison d’être amène les parties prenantes à soutenir l’entreprise, mais en cas de manquement grave à celle-ci, l’entreprise est plus vulnérable aux critiques.
À qui et comment l’entreprise est-elle utile ? C’est en définitive la grande question qui lui est posée en ce début de XXIème siècle. Et c’est à cette question que répond notamment la raison d’être. Car la raison d’être est l’autre nom de l’utilité de l’entreprise, car elle établit en quoi l’entreprise participe à l’intérêt général. Aujourd’hui, on demande aux entreprises de jouer un rôle plus large et plus inclusif envers les sociétés dans lesquelles elles évoluent. Partout, on les appelle à créer de la valeur sociale, en plus de créer de la valeur économique.
Ne nous trompons pas ! C’est parce qu’une entreprise est utile qu’elle est prospère, et non l’inverse. C’est son utilité qui est à l’origine de son attractivité auprès de ses clients, c’est son utilité qui nourrit l’engagement de ses collaborateurs, c’est son utilité qui assoit sa notoriété auprès de ses partenaires, c’est son utilité qui accroît la fidélité de ses actionnaires sur le long terme. Plus une entreprise démontrera qu’elle est au service de l’ensemble de ses parties prenantes, plus elle sera acceptée et soutenue, et plus elle aura d’opportunités et de marge de liberté pour se développer et faire fructifier son plein potentiel.
[1] Le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) vise à lever les obstacles à la croissance des entreprises, à toutes les étapes de leur développement : de leur création jusqu’à leur transmission, en passant par leur financement. La loi PACTE : pour la croissance et la transformation des entreprises a été promulguée le 22 mai 2019.