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Sociétal - Antoine Frérot

Détruire pour créer est-il une des lois d’airain de l’économie ? En fracturant et remodelant des filières économiques solidement établies, la révolution digitale confère une nouvelle actualité à la « destruction créatrice », que Joseph Schumpeter avait théorisée au XXème siècle.

Si certaines activités se créent et prospèrent en détruisant les anciennes, beaucoup se développent à côté ou dans leur prolongement. La création n’est donc pas toujours destructrice, fort heureusement. Mais l’indispensable renouvellement des produits fournis par l’entreprise exige d’avoir le courage d’abandonner des activités obsolètes ou en passe de le devenir, afin d’en financer d’autres promises à un meilleur avenir. Ce qui nous renvoie au dilemme de l’innovateur : il est difficile pour une entreprise d’engager des innovations de rupture, quand son intérêt semble être de préserver le statu quo. C’est en croisant intérêts à court et long termes, que l’entreprise peut sortir par le haut de cette impasse.

Pour Schumpeter, la logique du capitalisme pousse inexorablement les entreprises à innover, sans quoi elles périclitent. Les crises aussi appellent à innover, comme celle engendrée par le coronavirus. Elles accélèrent l’innovation, parce qu’elles défont la routine et les règles, brisant les digues qui bloquent la créativité. Elles invalident la formule : « nécessité fait loi », car durant les crises, la nécessité défait en partie « la loi interne » de l’entreprise.

Le succès des entreprises dépend de leur inventivité. Aujourd’hui, elles doivent innover plus, innover mieux, innover plus vite. Pour y parvenir, il leur faut donner une chance aux innovations radicales, afin d’évaluer leur portée réelle, qui est souvent sous-estimée au départ. Combien sont ceux qui, à l’origine, avaient prévu le succès d’Internet, avant que celui-ci ne décolle ? Les idées vraiment novatrices sont des transgressions. À leur début, elles sont minoritaires et leurs auteurs vivent dans une inconfortable marginalité créatrice. L’entreprise doit donc les protéger, pour que leurs idées puissent révéler leur potentiel.

Les pouvoirs publics également doivent protéger et soutenir les innovations stratégiques, jusqu’à ce qu’elles deviennent viables. Or de nombreux gouvernements, qui devraient porter le long terme, ne le portent pas assez, parce que trop de sujets sont urgents à leurs yeux.

À chaque vague d’innovation, les sociétés s’inquiètent de leur impact sur le travail. Il en va ainsi pour celle de l’intelligence artificielle et de la robotique qui, dans beaucoup de secteurs, détruira des emplois. Cette révolution industrielle incite à agir, afin de compl.ter l’innovation digitale d’une innovation sociale, celle-ci atténuant les impacts de celle-là sur l’emploi ; de repenser la formation et l’apprentissage, afin de gérer au mieux la transition entre les activités qui disparaîtront et celles qui naîtront. C’est là que doivent intervenir les responsables politiques et économiques, en favorisant des business models qui soutiennent la reconversion professionnelle et la création d’emplois. Faute de quoi la « disruption digitale » risque fort de s’accompagner d’une « disruption sociale ».

Ce qui implique d’élargir la manière d’évaluer l’innovation. De même que la performance de l’entreprise doit être évaluée, non pas uniquement au plan financier, mais de façon plurielle, l’innovation doit être elle aussi évaluée de façon plurielle, à l’aune de critères techniques, économiques, environnementaux et sociaux.